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Haïti : à Port-au-Prince, « On a l’impression de vivre au milieu d’une guerre »

Violence in Port-au-Prince
Des hommes armés échangent des tirs avec les forces de police dans le quartier de Bel Air à Port-au-Prince. Mars 2024. © Corentin Fohlen/Divergence

Depuis le 28 février, Port-au-Prince est ravagée par les combats menés par des groupes armés qui tentent de prendre le contrôle de la capitale haïtienne. La Dr Priscille Cupidon, responsable des activités médicales de MSF, livre son témoignage sur la situation.  

Je suis médecin dans la capitale d'Haïti, Port-au-Prince, et j'entends tous les jours des coups de feu alors que les groupes armés et la police se disputent le contrôle de notre ville.

Ce type d'affrontement a commencé il y a plusieurs années, mais ces dernières semaines, ils sont devenus de plus en plus violents. On a l’impression de vivre au milieu d’une guerre. Le 28 février, il a été annoncé que les élections haïtiennes pourraient être reportées jusqu'en août 2025. Rapidement, des groupes armés, déjà actifs à Port-au-Prince et parfois rivaux, se sont unis contre le gouvernement, attaquant des postes de police, des administrations, des banques, des installations portuaires, les aéroports et d'autres institutions de l'État.

Photo n°7 avec 5,4% des votes - Haïti : Vue des destructions occasionnées par les nombreux combats entre les groupes armés et les forces de police dans le quartier de Carrefour à Port-au-Prince en Haïti en mars 2024.

© Corentin Fohlen/Divergence
 © Corentin Fohlen/Divergence
Photo n°7 avec 5,4% des votes - Haïti : Vue des destructions occasionnées par les nombreux combats entre les groupes armés et les forces de police dans le quartier de Carrefour à Port-au-Prince en Haïti en mars 2024. © Corentin Fohlen/Divergence © Corentin Fohlen/Divergence

La violence se propage désormais comme une gangrène et nous menace tous. Dans toute la ville, de nombreuses personnes ont fui parce que leurs maisons ont été incendiées ou pillées par des groupes armés qui ont attaqué leurs quartiers. De plus en plus de zones se vident au fur et à mesure que le conflit progresse. Des dizaines de milliers de personnes se sont installées dans des écoles, des églises ou des terrains de sport dans des conditions indignes où elles perdent leur intimité et sont encore plus vulnérables. 

D'autres restent dans des maisons devenues invivables, exposées aux tirs croisés et aux pillages. Les violences récentes ont même rendu l'accès à l'eau potable plus difficile dans certains quartiers, les camions-citernes ne pouvant les réapprovisionner. 

Une réponse urgente est nécessaire 

La situation à Port-au-Prince est une crise humanitaire et elle exige une réponse urgente, en particulier pour les besoins vitaux tels que les soins de santé, l'eau et l'assainissement. 

Vue de la zone de Delmas 18, après des  combats entre des groupes armés et les forces de police. © Corentin Fohlen/Divergence
Vue de la zone de Delmas 18, après des combats entre des groupes armés et les forces de police. © Corentin Fohlen/Divergence

Je supervise une partie des cliniques mobiles de Médecins Sans Frontières à Port-au-Prince, qui fournissent des soins de santé dans certains quartiers dans lesquels la violence est endémique. Nous constatons les effets directs et indirects de la violence sur la santé de nos patients. Il s'agit notamment d'adultes qui luttent pour gérer des maladies chroniques telles que le diabète, et d'enfants souffrant de fièvres et de diarrhées. Le stress extrême provoque souvent des traumatismes psychologiques ou de l'hypertension. De nombreuses personnes souffrent d'infections cutanées dues à un manque d’accès à l’eau. 

Notre équipe s'est rendue le 19 mars dans un quartier du centre-ville auquel nous n'avions pas eu accès depuis le 29 février. Les barricades et les combats empêchaient jusque-là l’organisation de nos cliniques mobiles. Les besoins médicaux dans cette zone sont très importants et risquent d’augmenter. Des patients, dont certains souffrent de tuberculose, n’osent pas sortir de leur quartier à cause des combats.  

Vue de la rue qui mène à la cathédrale de Port-au-Prince et des destructions occasionnés par les combats. Mars 2024. 
 © Corentin Fohlen/Divergence
Vue de la rue qui mène à la cathédrale de Port-au-Prince et des destructions occasionnés par les combats. Mars 2024.  © Corentin Fohlen/Divergence

Les femmes que nous avons reçues dans nos cliniques mobiles ces derniers mois ont souvent été confrontées à des violences, y compris des viols. En tant que médecin et en tant que femme, je peux dire que beaucoup ont peur d'en parler, parce que la menace est toujours présente dans leur communauté. La stigmatisation peut également rendre ces femmes réticentes à se manifester, car elles ne veulent pas que leur famille et leurs voisins sachent ce qui leur est arrivé. 

Nous faisons tout notre possible pour qu’elles se sentent en sécurité lorsqu'elles se confient à nous, mais beaucoup sont déjà enceintes ou atteintes d'une infection sexuellement transmissible à ce moment-là. Nous les orientons et les accompagnons dans notre clinique dédiée à la prise en charge des violences sexuelles.

Un système de santé qui s’effondre 

Depuis des années, les professionnels de santé en Haïti travaillent dans un environnement difficile. Les crises politiques et économiques qui s'aggravent dans le pays ont affaibli les établissements médicaux qui ont peu de moyens. Notre système de santé part à la dérive. 
 
Comme beaucoup d’Haïtiens, les travailleurs de santé ont également été touchés par la violence au fur et à mesure que la situation se détériorait. De nombreux médecins et infirmiers ont quitté le pays, vers les États-Unis notamment. Parmi eux, il y a certains de mes amis et de mes anciens collègues.

Un homme circule à moto dans les rues en feu de Port-au-Prince, en proie aux combats menés par les gangs qui tentent de prendre le contrôle de la capitale haïtienne.

En novembre 2024, à la suite de graves menaces proférées à l’encontre de son personnel par des membres des forces de police haïtiennes, MSF a temporairement suspendu ses activités à Port-au-Prince. La prise en charge des patients a pu reprendre partiellement en décembre.  

Mars 2024. Haïti. © Corentin Fohlen/Divergence
Un homme circule à moto dans les rues en feu de Port-au-Prince, en proie aux combats menés par les gangs qui tentent de prendre le contrôle de la capitale haïtienne. En novembre 2024, à la suite de graves menaces proférées à l’encontre de son personnel par des membres des forces de police haïtiennes, MSF a temporairement suspendu ses activités à Port-au-Prince. La prise en charge des patients a pu reprendre partiellement en décembre.   Mars 2024. Haïti. © Corentin Fohlen/Divergence

Cette violence empêche les patients et le personnel de se rendre dans les établissements médicaux. Certains hôpitaux, comme l'hôpital universitaire d'État d'Haïti, ne peuvent actuellement pas fonctionner. Un autre hôpital universitaire, Saint-François de Sales, a été vandalisé et les jeunes médecins ne peuvent plus y terminer leur formation. Le seul hôpital universitaire public encore en activité est celui de La Paix, mais il est souvent surchargé et manque de moyens. Les conséquences de cette dégradation sont potentiellement tragiques. 

Le principal port et l'aéroport d'Haïti sont fermés et la République Dominicaine a renforcé les restrictions à la frontière entre les deux pays. Compte tenu de l'agitation de ces dernières semaines, le départ des professionnels d'Haïti, y compris les médecins et autres travailleurs de la santé, pourrait s'accélérer lorsque les déplacements deviendront à nouveau possibles. 

Les professionnels de santé qui sont encore en Haïti font de leur mieux pour fournir des soins à la population. Mais eux aussi ont besoin de soins de santé, en particulier d’un soutien en santé mentale, car ils sont les témoins directs des conséquences de la violence et de la cruauté qui s’abattent sur Port-au-Prince. 

Aujourd'hui, nous travaillons, nous rentrons chez nous et nous nous enfermons, comme dans une cage, avec le sentiment d’avoir perdu le droit de vivre sereinement. 

Notes

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