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L’hépatite C, cette épidémie dont les morts n’intéressent personne

Des infirmières testent des échantillons de sang pour dépister des cas d'hépatite C lors d'une campagne active de recherche de cas dans un village du district de Moung Ruessei au Cambodge.
Des infirmières testent des échantillons de sang pour dépister des cas d'hépatite C lors d'une campagne active de recherche de cas dans un village du district de Moung Ruessei au Cambodge. © Simon Ming/MSF

La maladie, dont la journée mondiale a lieu ce mercredi, continue de faire 300 000 morts par an alors que des médicaments efficaces existent. Les prix exorbitants de l’industrie pharmaceutique ne sont pas un obstacle : les gouvernements peuvent agir pour épargner des vies.

Un point de vue défendu par la Dr Graciela Diap, chef de projet hépatite C de l’initiative Médicaments contre les maladies négligées (DNDi) et Mickaël Le Paih, responsable des programmes de Médecins Sans Frontières (MSF) au Cambodge, dans une tribune parue dans le journal Libération le 27 juillet 2021.

L’hépatite C est un cas unique parmi les maladies infectieuses : elle peut facilement se soigner mais continue pourtant de tuer. De Buenos Aires à Kuala Lumpur en passant par Delhi, ce sont des millions de personnes qui pourraient être facilement guéries - à condition de le vouloir.

En France, un traitement complet contre l’hépatite C, qui ne coûte que quelques dizaines d’euros à produire, est vendu... 24 000 euros. Un prix qui complique les efforts du gouvernement pour diagnostiquer et soigner les 200 000 personnes atteintes dans l’Hexagone. En Amérique latine, moins de 1% des 4 millions de porteurs du virus sont traités : revenez quand vous serez davantage malade, se voient répondre les patients.

Ce virus, qui se transmet par le sang, provoque, s’il n’est pas traité, cirrhoses, cancers du foie, et peut causer la mort après de longues souffrances. Sur les 58 millions de personnes estimées atteintes dans le monde, seulement 13% ont été soignées depuis 2014. Cette “épidémie silencieuse” tue dans l’indifférence quasi-générale 300 000 personnes par an.

Grâce à des avancées scientifiques spectaculaires – récompensées par le dernier Nobel de médecine - nous disposons pourtant de médicaments efficaces, les antiviraux à action directe (AAD) : un traitement sous forme de comprimés, pris quelques semaines sans effets secondaires. Mais si peu y ont accès qu’il y a presque autant de nouvelles contaminations que de patients guéris chaque année.

Amer goût de déjà-vu. Comme lors des années 2000, quand des millions de personnes sont décédées du VIH faute d’accès équitable aux antirétroviraux, l’innovation médicale n’atteint pas ceux qui en ont besoin. Facilement soignable, l’hépatite C continue de tuer.

Comment expliquer ce surplace meurtrier ?

Les prix exorbitants ont longtemps été l’explication avancée. Le premier AAD, le Sofosbuvir, commercialisé en 2013 par la firme américaine Gilead, était vendu 84 000 dollars par traitement - soit 1000 dollars le comprimé - un prix hors de portée de la plupart des patients. Mais depuis, notamment sous la pression des sociétés civiles, les prix ont chuté de façon spectaculaire grâce aux licences volontaires octroyées aux fabricants de génériques. Médecins Sans Frontières (MSF) se procure ainsi le traitement pour seulement 75 dollars pour ses projets dans les pays à faibles revenus.

Ces prix varient toutefois selon les pays et leurs capacités de négociation avec les firmes pharmaceutiques. Dans la plupart des pays à revenus intermédiaires, trop riches pour avoir accès aux génériques mais pas assez pour payer le prix fort, les AAD restent inaccessibles. Notamment en Asie du Sud-Est ou en Amérique Latine, où la présence de brevets interdit tout générique.

La Malaisie offre un contre-exemple remarquable : en 2017, résistant aux intimidations du géant pharmaceutique et du gouvernement américain, Kuala Lumpur a invoqué un impératif de santé publique pour décréter une « licence obligatoire » qui lui permet de produire à bas coûts le Sofosbuvir sans l’accord du détenteur du brevet. Les prix ont chuté. Des patients en attente de traitement depuis une décennie ont pu être soignés en quelques semaines.

Cette licence obligatoire n’était qu’une étape : la Malaisie a aussi lancé une ambitieuse campagne de dépistage pour identifier les porteurs du virus et les soigner. Le pays est passé à la vitesse supérieure en développant, puis en enregistrant, en partenariat avec la Drugs for Neglected Diseases initiative (DNDi) et MSF, un nouveau médicament, le Ravidasvir. Il s’agit d’un AAD efficace et sûr, non-breveté, conçu pour être le moins cher possible – un « médicament politique » visant à bousculer le modèle traditionnel de développement pharmaceutique.

Résultat de cette approche volontariste : la Malaisie est l’un des rares pays qui pourraient éliminer la maladie d’ici 2030 – objectif affiché par l’OMS.

Mais rares aussi sont les décideurs politiques prêts à de tels efforts. Les traitements étant inabordables, la plupart renoncent à mettre en place les campagnes nationales nécessaires pour dépister les millions de malades vivant sans symptômes, avant qu’ils ne développent cirrhoses et cancers. Peut-être parce que beaucoup de victimes de l’hépatite C appartiennent à des communautés souvent stigmatisées, telles que les homosexuels ou les toxicomanes. Les priorités sanitaires des gouvernements le démontrent, tous les morts ne se valent pas.

Une autre approche innovante en Asie est motif d’espoir : au Cambodge – pays qui a accès aux génériques - un projet de MSF a démontré que les AAD permettaient de simplifier le modèle de soins et de donner aux infirmières un rôle crucial pour le dépistage et le suivi des cas simples. 20 000 patients ont ainsi été traités, presque tous ont guéri. La passation du projet aux autorités cambodgiennes est notamment facilitée par le coût faible des traitements.

Organisations et bailleurs de fonds internationaux ont là un rôle crucial à jouer. Il n’existe toujours aucun organisme mondial dédié à la lutte contre l’hépatite C, tel que le Fonds Mondial pour le VIH, la tuberculose et le paludisme, par exemple. Des mécanismes internationaux de financements doivent être mis sur pied pour faciliter l’accès à des outils de diagnostics et médicaments à meilleur marché.

La réponse à l’autre pandémie, celle de COVID-19, démontre une fois de plus que tant que les avancées de la recherche médicale ne profitent qu’aux plus privilégiés, les maladies infectieuses continuent de se propager. L’hépatite C pourrait être éliminée. Pour qu’elle cesse de tuer, seul fait défaut le courage politique.

Notes

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