Mohammad était tellement terrorisé, qu’il ne s’est pas arrêté et a continué à courir. Tout ce qu’il entendait, raconte-t-il, c’était une pluie de balles continue et le vacarme des gens qui criaient.
Dans la forêt, il a trouvé des centaines d’autres personnes qui se cachaient derrière des arbres. Elles sont restées là toute la journée, terrorisées et craignant une nouvelle attaque. La fusillade a fait rage pendant des heures – du lever au coucher du soleil. « Tout le monde avait peur, priant Dieu, pleurant et se demandant ce qui était arrivé à leurs proches », explique-t-il.
Après la tombée de la nuit, les coups de feu ont cessé. Toutefois ni lui, ni les autres n’ont osé sortir de leur cache et ont passé la nuit en silence, dans la forêt.
Tôt le lendemain matin, Mohammad et les autres ont commencé à rentrer. Alors qu’ils arrivaient dans le village, il a vu un de ses voisins s’effondrer en larmes quand il a découvert ses proches morts ou blessés.
Il imaginait le pire, à mesure qu’il se rapprochait de sa maison – trouver sa femme, sa mère et ses six sœurs tuées.
« Finalement, je suis arrivé à ma maison. En entrant, j’ai trouvé tout le monde en train de pleurer, ils croyaient que j’étais mort. Nous étions tellement sous le choc qu’il n’y a eu à cet instant aucune expression de joie. C’est à ce moment-là que j’ai décidé que nous irions au Bangladesh, où nous pourrions être en sécurité. J’ai promis à ma famille que je prendrai soin d’eux. Personne ne mourrait ici », raconte Mohammad.
La famille a rapidement emporté quelques vêtements et couvertures qu’ils possédaient et sont partis le même jour à 6 heures du matin.
Ils ont payé un pêcheur pour les emmener de l’autre côté de la rivière Naf, qui sépare le Myanmar et le Bangladesh. En l’espace d’une semaine, ils ont trouvé une place dans le camp tentaculaire à Cox’s Bazar au Bangladesh, où avec l’aide d’une ONG, ils ont construit un abri en bambou pour se protéger.
Comme près de 620 000 Rohingyas depuis la répression du mois d’août, ils ont trouvé refuge dans des camps où ils vivent dans des conditions déplorables. Heureux d’être en vie, ils craignent toutefois l’avenir.
Mohammad et sa femme se sont mariés il y a 10 mois et ils attendent aujourd’hui leur premier enfant. « Elle est enceinte de 3 mois, mais mon enfant va naître ici comme un animal », dit-il.
Son père était fermier et est décédé à l’âge de 37 ans. Mais Mohammad s’est démené tout au long de sa jeunesse pour prendre sa vie en main et avoir un impact sur sa communauté. Il a obtenu en 2011 un diplôme de physique de l’université de Sittwe dans l’État de Rakhine, devenant ainsi le premier membre de sa famille à avoir fait des études.
Il est presque impossible pour les Rohingyas d'accéder à l'enseignement supérieur. De sévères restrictions de mouvement affectent également leur accès à l'éducation primaire ainsi qu'aux soins de santé de base. Désireux d'aider néanmoins les jeunes de sa communauté, Mohammad a créé avec sept autres enseignants, sa propre école d’enseignement secondaire dans son village.
Maintenant, avec le village détruit par les flammes et ses rêves d’un avenir meilleur brisés, Mohammad a perdu espoir.
« Nous sommes en sécurité maintenant, mais nous n’avons pas encore séché nos larmes, surtout lorsque nous évoquons ou que nous nous remémorons ce que nous avons vu dans le village », explique-t-il.