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Liban : quand les crises successives privent les populations d’accès aux soins

Une rue du camp de Shatila à Beyrouth. 2020. 
Une rue du camp de Shatila à Beyrouth, Liban, 2020. Karine Pierre/Hans Lucas / Instagram : @pics_stone

Depuis fin 2019, le Liban fait face à l’une des pires crises économiques que le pays ait connues depuis des décennies, dans un climat d’instabilité politique et de troubles sociaux. La pandémie de Covid-19, puis les terribles explosions qui ont ravagé la capitale Beyrouth au mois d’août 2020, ont participé à dégrader davantage les conditions de vie et d’accès aux soins d’une grande partie de la population.

Au cours de l'année écoulée, les équipes travaillant dans les cliniques MSF ont constaté une augmentation de la vulnérabilité des patients qui sont nombreux à faire état de difficultés financières liées à la situation économique du pays. Pour certains, cela impacte notamment leur capacité à suivre correctement leur traitement. Les conséquences sur le bien-être psychologique des personnes sont également visibles et constituent une préoccupation majeure pour MSF.

« Cette situation a accentué les besoins de la population. La pression socio-économique surtout rend le coût des produits de base, dont la nourriture, de plus en plus difficile à assumer pour beaucoup, explique le Dr. Caline Rehayem, coordinatrice médicale adjointe de MSF au Liban. Les frais médicaux sont également devenus prohibitifs pour les personnes les plus vulnérables. Ce contexte est de nature à compliquer l'accès aux soins et dégrader l'état de santé de la population, et nos équipes sur le terrain ont déjà commencé à observer des signaux de détérioration. »

Aggravation de la pauvreté

Plus de la moitié de la population libanaise est confrontée à la pauvreté selon l'Onu, soit près de deux fois plus que l'an dernier. La situation est pire pour le million de réfugiés syriens dans le pays, dont près de 89 % vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Un nombre croissant de Libanais ont frappé aux portes des cliniques Médecins Sans Frontières au cours de l'année dernière, incapables de continuer à couvrir leurs frais médicaux. Dans celle d'Hermel, dans la partie nord de la vallée de la Bekaa, le nombre de patients atteints de maladies chroniques a plus que doublé entre 2019 et 2020. À Arsal, une autre ville de la vallée de la Bekaa, le nombre de consultations pédiatriques au sein de la clinique de MSF a également connu une augmentation de 100 % en l'espace d'un an.

Fatima habite à Hermel, dans le nord de la plaine de la Beka, Liban. 2020. Karine Pierre/Hans Lucas for MSF / Instagram : @pics_stone

 
Fatima habite à Hermel, dans le nord de la plaine de la Beka, Liban. 2020. Karine Pierre/Hans Lucas for MSF / Instagram : @pics_stone  

Le système de santé libanais fortement privatisé était déjà un obstacle important pour les personnes les plus vulnérables dans le pays, qui luttaient pour accéder à des soins à un prix abordable. Le taux annuel d’inflation, qui a atteint plus de 133 % en novembre 2020, a touché à la fois la population libanaise et les réfugiés, et a eu un impact direct sur leur capacité à accéder aux soins de santé.

« Il y a deux mois, mon mari a perdu son travail. Nous avons toujours été pauvres, mais au moins, avant, on s’en sortait, explique Fatima, une Libanaise de 58 ans qui vit à Hermel et souffre de graves complications dues au diabète. Nous mangeons surtout des lentilles, du boulgour et des pommes de terre, beaucoup de pommes de terre. Ce n'est pas un très bon régime pour mon état de santé, mais c'est tout ce que nous pouvons nous permettre. Sans MSF, pour mes traitements, je devrais compter sur la charité des gens. »

Ahmed vit avec ses trois enfants dans un abri de fortune, Liban. 2020. Karine Pierre/Hans Lucas for MSF / Instagram : @pics_stone
Ahmed vit avec ses trois enfants dans un abri de fortune, Liban. 2020. Karine Pierre/Hans Lucas for MSF / Instagram : @pics_stone

Ahmed, quant à lui, est un réfugié syrien qui vit dans un campement informel dans la périphérie d’Arsal. Il y a quatre mois, sa plus jeune fille, Zeinab, a été diagnostiquée anémique. « Elle avait l'air très malade. Elle était très pâle et ne mangeait quasiment rien. Le médecin nous a prescrit un supplément de fer et nous a conseillé de lui donner plus de légumes et de haricots. Nous ne pouvons plus nous permettre de manger de la viande. Tous les prix ont au minimum quadruplé et cela ne fait qu'empirer. »

Une crise après l'autre

La pandémie de Covid-19 qui touche le pays depuis le printemps, puis la terrible explosion du port de Beyrouth en août 2020, n'ont fait qu'aggraver la situation désastreuse du Liban. Le fragile système de santé publique, qui était déjà confronté à des pénuries régulières de médicaments et matériels médicaux en raison de la crise financière, a été davantage mis à mal.

L'explosion, qui a fait des milliers de blessés et des centaines de milliers de déplacés, a également détruit des infrastructures, dont plusieurs hôpitaux. L'entrepôt central du ministère de la Santé, où étaient stockées toutes les fournitures médicales nationales, a également sérieusement été endommagé.

Mariam est âgée de 49 ans. Elle est mère de huit enfants, Liban. 2020. Karine Pierre/Hans Lucas for MSF / Instagram : @pics_stone
Mariam est âgée de 49 ans. Elle est mère de huit enfants, Liban. 2020. Karine Pierre/Hans Lucas for MSF / Instagram : @pics_stone

Un sondage mené par les équipes de MSF sur un échantillon aléatoire de 253 patients atteints de maladies non-transmissibles, vus dans le cadre de notre réponse d’urgence suite à l'explosion de Beyrouth [1], a montré que 29 % d'entre eux avaient déjà interrompu ou rationné leur traitement médical avant l'explosion. Près de la moitié de ces patients ont mentionné des difficultés financières comme étant la principale raison, tandis que 11 % ont déclaré que c'était dû à la pénurie de médicaments.

« Quand je me rends au centre de santé, ils me disent souvent qu'il n'y a pas de médicaments disponibles. Les pharmacies aussi sont régulièrement à court de médicaments », explique Mariam, Libanaise et mère de huit enfants, qui vit à Abdeh, dans le nord du Liban. Mariam souffre de plusieurs maladies chroniques, notamment du diabète et de problèmes cardiovasculaires. Son plus jeune fils est asthmatique.

« Je suis anxieuse quand je pense à ce qui arriverait si je ne pouvais plus travailler. Comment pourrais-je me procurer tous les médicaments ? Il faudrait que je choisisse entre les médicaments pour mon fils et mes propres traitements. »

Réponse à la Covid-19

Pour aider le système de santé publique débordé à faire face à la pandémie, MSF a intensifié sa réponse à la Covid-19 au Liban depuis août 2020. MSF a temporairement transformé son hôpital de Bar Elias, dans la vallée de la Bekaa, en une structure pour les patients atteints de la Covid-19, avec une capacité de 20 lits, dont 5 lits pour les soins intensifs. MSF soutient aussi un centre d'isolement à Sibline, dans le sud du pays. En outre, les équipes de MSF participent à des activités de dépistage, de promotion de la santé et de formation en lien avec la Covid-19 dans différents endroits du pays.

© Karine Pierre/Hans Lucas for MSF

Depuis l'explosion, le système de santé publique lutte également contre le nombre croissant de cas de Covid-19 dans le pays, passé de moins de 200 cas par jour avant l'explosion à une moyenne de 1 500 par jour en décembre 2020. Ainsi à ce jour, plus de 200 000 cas ont été enregistrés.

Une population à bout

De nombreux patients qui font appel aux services de santé mentale de MSF présentent des symptômes liés à une détresse émotionnelle, de la dépression, de l'anxiété et du désespoir.

« Je me sens déprimé et tellement inutile. La situation économique au Liban est désastreuse. J'espère seulement que nous ne finirons pas à la rue », témoigne Tawfik, un réfugié palestinien qui vit dans le camp de Shatila, à Beyrouth et dont la famille dépend entièrement des organisations onusiennes et humanitaires pour survivre.

Tawfik a 70 ans. Il habite dans le camp de Shatila, Liban. 2020. Karine Pierre/Hans Lucas for MSF / Instagram : @pics_stone
Tawfik a 70 ans. Il habite dans le camp de Shatila, Liban. 2020. Karine Pierre/Hans Lucas for MSF / Instagram : @pics_stone

Une situation similaire à celle de Fatima qui vit à Hermel. « Je pleure beaucoup et je me sens coupable pour ma fille qui doit assumer des responsabilités qu’elle ne devrait pas avoir à son âge. Rien de ce à quoi je pense ne me réconforte, dit-elle. La crise économique a été le coup de grâce. Tout ce que je voudrais, c'est pouvoir vivre décemment. »

« Nous essayons d'aider autant que possible dans un contexte aussi complexe et nous sommes déterminés à continuer à le faire, déclare Dr. Caline Rehayem. Mais nos capacités sont également limitées et nous ne pouvons pas répondre à tous les besoins. C’est désolant de constater que la population devient toujours plus vulnérable et que de plus en plus de personnes ont besoin d'un soutien médical. »


[1] Sondage téléphonique réalisé du 9 au 22 septembre 2020.

Notes

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