Lutter pour survivre après avoir tout perdu dans le nord-est du Nigeria

Hôpital MSF à Pulka en mars 2017.
Hôpital MSF à Pulka, en mars 2017. © Malik Samuel/MSF

Des dizaines de milliers de Nigérians ont perdu leur foyer et leurs moyens de subsistance en raison du conflit opposant les forces gouvernementales et Boko Haram dans le nord-est de leur pays. Les déplacements et la peur ont façonné leur vie, les contraignant à fuir vers Pulka, une petite ville nigériane devenue une destination prioritaire pour nombre d'entre eux.

Pendant plus de 10 minutes, Ahmed*, 57 ans, parle les sourcils froncés, visiblement en colère. De façon soudaine et inattendue, son visage s'éclaire d'un sourire alors qu'il se tait, ferme doucement les yeux et remue la tête. Ce moment de bonheur survient lorsqu'il évoque sa vie passée à Kirawa, un village de l’État de Borno situé dans le nord-est du Nigeria, avant le début des conflits.

Pour appuyer ses propos, il sort de sa poche quatre cartes d'identité. L'une d'elles appartient à sa femme, une autre atteste son appartenance à un parti politique maintenant disparu, tandis que les deux autres l'identifient comme membre de deux associations d'agriculteurs. Pour Ahmed, il est très important d'être officiellement reconnu en tant qu'agriculteur : « Je pouvais récolter jusqu'à 20 sacs de céréales par an à Kirawa, déclare-t-il avec le sourire. Je cultivais du sorgho, du maïs, des oignons, des tomates et d’autres aliments. Nous pratiquions l'agriculture tout au long de l'année, pendant la saison des pluies comme pendant la saison sèche. »

C'était à l’époque où le pays était en paix, avant que le conflit entre les troupes du gouvernement et Boko Haram ne perturbe la vie des populations civiles et ne le force à fuir avec sa famille au Cameroun, de l'autre côté de la frontière marquée par un fleuve. Ils y ont vécu pendant un an avant de décider de rejoindre d'autres personnes revenant au Nigeria suite au harcèlement constant des soldats camerounais, qui d'après lui les ont incités à retourner dans leur pays natal.

En danger au Nigeria, indésirables au Cameroun

« Les soldats n'arrêtaient pas de nous pousser à partir. Dans une telle situation, que pouvions-nous faire ? Nous avions entendu que d'autres Nigérians réfugiés au Cameroun se faisaient embarquer dans des camions, sans pouvoir emporter leurs affaires personnelles, et nous ne voulions pas attendre que le même sort nous soit réservé, raconte Ahmed. Nous avons donc décidé de partir avant qu'ils ne nous emmènent vers un endroit inconnu. Nous nous sommes réunis et avons pris le départ aux alentours de 3 heures du matin. Au lever du jour, vers 8 heures, nous avions déjà atteint le point de contrôle militaire avant d'entrer dans Pulka (une ville située dans la zone de Gwoza, dans le sud de l'État de Borno, à 15 kilomètres du Cameroun) ».

De nombreuses personnes arrivent à Pulka chaque jour depuis les villages alentours de la région de Gwoza. Depuis décembre 2016, lorsque les militaires ont intensifié leurs opérations, le nombre de déplacés arrivés en ville a augmenté et Pulka a enregistré plus de 11 300 nouveaux arrivants au cours de cette période.

« Je suis venue avec ma fille depuis Barawa en février à cause de l'insurrection. J'ai passé trois jours sur la route en la portant sur mon dos. Il m’était difficile de suivre le rythme des autres avec lesquels nous voyagions. Je ne pouvais pas me reposer car ils auraient continué sans moi », déclare Asha*, une femme dont le père a été capturé et tué par Boko Haram il y a environ un an.

Les arrivants racontent leur lutte pour survivre. Il n'y avait pas d'hôpitaux ou de marchés car tous ont été brûlés ou détruits, et leurs activités agricoles étaient très limitées. La plupart d'entre eux arrivent ainsi en mauvaise santé à cause des privations qu'ils ont dû endurer. Faibles et affamés, certains doivent être transportés dans des charrettes.

Un MSF vérifie l'état de santé d'un enfant. © Malik Samuel/MSF

Un MSF vérifie l'état de santé d'un enfant. © Malik Samuel/MSF

Une vie difficile à Pulka

Actuellement, on estime que plus de 42 000 personnes vivent à Pulka. Cette population est composée de personnes déplacées à l'intérieur du pays, de rapatriés et de membres de la communauté d'accueil. La situation de la ville en matière de sécurité reste instable, et les entrées et sorties sont fortement réglementées par les forces militaires, empêchant les populations civiles de s'éloigner suffisamment pour exploiter les terres ou ramasser du bois de chauffage.

C'est pourquoi les résidents dépendent largement des distributions de nourriture effectuées par le gouvernement ou les ONG. Bien que de la nourriture soit disponible, les personnes souffrent toujours de la faim, parfois pendant plusieurs jours, en raison du manque de bois de chauffage. Deux morceaux de bois de chauffage coûtent 50 Naira (0,15 $ US), ce qui représente un prix élevé pour la population tout en étant insuffisant pour cuisiner un repas de famille.

La présence limitée des acteurs humanitaires et l’arrivée continue de nouveaux arrivants à Pulka augmentent encore la pression sur les rares ressources disponibles pour les déplacés, en particulier sur les services de soins de santé et l’approvisionnement en eau.

Le bois de chauffage, bien qu'essentiel, reste hors de prix pour de nombreuses familles. © Malik Samuel/MSF

Le bois de chauffage, bien qu'essentiel, reste hors de prix pour de nombreuses familles.
© Malik Samuel/MSF

*Les noms ont été modifiés.

Notes

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