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Mossoul, Irak : Nous recevons les patients « qui ont eu de la chance »
4 avril 2017
- mis à jour le 2 avril 2018
Jonathan Whittall travaille depuis trois semaines dans une unité de traumatologie que MSF a récemment ouverte au sud de Mossoul, en Irak. MSF a reçu plus de 1296 patients depuis l’ouverture de l’hôpital le 16 février. Près de la moitié d’entre eux sont des femmes (261 patients) et des enfants de moins de 15 ans (395 patients). Dans cette interview, Jonathan décrit les soins de traumatologie dispensés 24 heures sur 24 par les membres irakiens et expatriés de son équipe totalement mobilisée.
A quoi ressemble une journée habituelle dans l’hôpital ?
Il n’y a pas de journée habituelle dans cet hôpital. Chaque jour, nous voyons les pires des plus atroces blessures infligées par cette guerre. Il y a un flux quasi-constant de patients et tous ont vécu des choses terribles.
Une famille entière a été tuée, il ne reste qu’un survivant ; un père et son fils ont été bloqués pendant des jours sous les décombres de leur maison après une frappe aérienne et ils viennent seulement de rejoindre notre hôpital pour chercher des secours ; un petit garçon est arrivé avec une blessure par balle à la tête ; le père d’un autre garçon nous raconte que son fils a reçu une balle d’un sniper et a été soigné chez lui pendant des jours avant d’arriver à notre hôpital paralysé ; un bébé arrive avec une blessure par balle ; un jeune homme de 21 ans sévèrement malnutri avec une blessure à la tête causée par des coups de crosse est allongé sur un brancard ; un homme est décédé, à son arrivée, de blessures qu’il a reçues alors qu’il protégeait son fils d’explosions...
Pour chacun de ces cas, il y en a des centaines d’autres tout aussi horribles.
Qui sont les patients que vous soignez ?
Nous prenons en charge les cas les plus sévères. Nous avons monté cette unité pour traiter ce que nous appelons « les cas rouges ». Ce sont les patients qui souvent ont besoin sur le champ d’une opération chirurgicale vitale ou d’une opération de stabilisation pour survivre. Nos deux blocs opératoires sont presque toujours occupés pour traiter ces cas. Ensuite nous envoyons les patients dans d’autres hôpitaux aussi rapidement que possible de manière à être toujours prêts à recevoir d’autres « cas rouges » ou des afflux de blessés.
Ces deux derniers mois, les équipes MSF à Mossoul et dans les environs ont reçu plus de 2000 patients ayant besoin de soins d’urgence ou vitaux, et la très grande majorité de ces patients devaient être soignés pour des blessures liées au conflit. Dans l’hôpital de traumatologie où je travaille au sud de Mossoul, nous avons reçu 1296 patients de ce type.
Quels types de blessures traitez-vous ?
Nous voyons tous les types de blessures de guerre que vous pouvez imaginer : des blessures par balle multiples, des blessures causées par des explosions, de graves brûlures. Nous faisons de notre mieux pour traiter les conséquences médicales d’une guerre urbaine de forte intensité qui s’abat sur une population piégée. Tout le monde est en danger.
Outre l’étendue de leurs blessures, l’état dans lequel nos patients arrive est aussi très troublant, beaucoup ont vécu assiégés et bloqués pendant des mois, ils n’ont pas mangé plusieurs jours durant, ont peur et sont déroutés. Ils arrivent souvent pieds nus, couverts de boue après avoir marché sous la pluie et traversé les lignes de front dans la nuit, avec rien d’autre sur le dos que leurs vêtements.
Nos médecins et nos chirurgiens traitent aussi des blessures causées par les séquelles de la guerre. Il y a juste quelques mois, la ville où nous sommes basés se trouvait sur la ligne de front mais aujourd’hui c’est un centre de réception pour les dizaines de milliers de familles qui ont fui Mossoul-Ouest. Un soir, nous avons reçu plusieurs patients blessés par l’explosion d’une mine près du camp où vivent des personnes déplacées de Mossoul et un matin cette semaine, nous avons reçu un enfant d’ici, âgé de quatre ans, qui est décédé à l’arrivée après avoir joué avec une munition qui a explosé dans ses mains.
Comment les patients arrivent à l’hôpital ?
Il est très difficile pour les patients d’arriver jusqu’à un centre de soins. Ceux que nous recevons ont souvent été stabilisés dans des postes médicaux plus proches de la ligne de front. Nous recevons les patients « qui ont eu de la chance ».
D’après ce que j’ai vu à l’hôpital, il me semble que la plupart des patients que nous recevons ont été blessés au milieu de tirs quand la ligne de front avançait dans leur quartier. Beaucoup sont blessés en tentant de prendre la fuite. Nous avons vu des patients avec des blessures à l’arrière de la tête qui ressemblent à des blessures de tirs de snipers, nous avons aussi vu des patients qui ont été blessés par des raids aériens.
Pour ceux qui sont blessés par des frappes aériennes ayant lieu plus loin dans les zones sous contrôle du groupe Etat islamique, il semble qu’il leur faille plusieurs jours avant de pouvoir accéder à des soins médicaux au sud de Mossoul. D’après ce que j’ai compris, c’est seulement quand la ligne de front bouge dans leur quartier qu’ils ont une chance d’arriver à un centre de soins. Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait qu’un très grand nombre de personnes seraient bloquées et blessées à l’intérieur de Mossoul et incapables d’accéder à une aide médicale à l’extérieur.
Ces derniers jours, l’hôpital a été très calme, le plus calme qu’il ait été depuis que l’on a commencé. Mais nous ne pensons pas que cela soit parce que la violence dans Mossoul-Ouest a cessé. C’est un calme sinistre ; les frappes aériennes se poursuivent mais les patients n’arrivent pas jusqu’à nous.
Quel impact a ce travail sur l’équipe avec laquelle vous travaillez ?
L’équipe qui travaille dans cet hôpital vient de différentes régions d’Irak et de différents pays au monde. Nous avons du personnel médical venant de Mossoul qui ne peut plus travailler dans leurs hôpitaux, des expatriés qui ont travaillé lors de nombreuses guerres et ont des décennies d’expérience en chirurgie traumatologique et aussi une équipe non médicale de gardiens, d’interprètes et de logisticiens qui font tourner l’hôpital.
Pour les membres de l’équipe qui viennent de Mossoul, il est particulièrement difficile de voir le niveau de destruction et de souffrance endurée par les personnes de leur communauté. Les autres membres de l’équipe qui viennent de la ville où nous sommes basés essayent de recoller les morceaux de leur vie après que les combats se sont éloignés de la ville il y a quelques mois.
Notre hôpital est entouré de maisons détruites. Tout le monde a perdu quelqu’un dans cette guerre. Toutefois j’ai trouvé dans cet hôpital l’un des meilleurs esprits d’équipe que j’ai jamais connus. Tout le monde travaille jour et nuit et est de garde, prêt à s’adapter et à trouver des solutions pour que nous puissions continuer à sauver des vies. Nous sommes tous extrêmement fiers du travail fait ici.
Les activités de MSF en Irak
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