Offensive à Marib au Yémen : situation alarmante pour les déplacés, dont le nombre augmente

Un homme devant sa tente du camp de personnes déplacées d'Al-Khuseif à Marib au Yémen. Il vit là avec famille composée de 8 personnes. Yémen. 2021.
Un homme devant sa tente du camp de personnes déplacées d'Al-Khuseif à Marib au Yémen. Il y vit avec sa famille composée de 8 personnes. Yémen. 2021. © Hesham Al Hilali

Depuis février 2020, une offensive est en cours sur la ville yéménite de Marib, où MSF dispense des soins dans un centre médical et par le biais de cliniques mobiles. Le mouvement Ansar Allah, qui contrôle le nord du Yémen et notamment la capitale Sanaa, tente de prendre le contrôle de cette ville, la plus grande encore sous contrôle gouvernemental. Des combats violents ont lieu sur les lignes de front toutes proches et des missiles balistiques tirés par Ansar Allah ont causé la mort de civils à Marib. Cette offensive accroît la vulnérabilité des dizaines de milliers de personnes déplacées qui avaient trouvé refuge dans cette ville jusque-là relativement préservée.

Selon les autorités locales, la population de Marib serait passée de 500 000 à près de trois millions d’habitants ces dernières années. Sa situation géographique, économique et militaire, ses ressources pétrolières et gazières et le fait qu’elle ait longtemps été considérée comme un des endroits les plus sûrs du pays, ont poussé de nombreux Yéménites qui fuyaient la guerre à s’y installer.

Cependant, avec le déplacement des lignes de front, la situation s’est nettement détériorée, comme en témoignent certaines personnes déplacées. « Nous n'avons même pas de couvertures, déclare Aafia, une mère de famille installée à Marib. Mes enfants n'ont pas de vêtements chauds et je n'ai pas assez de nourriture pour eux. Je n'ai pas de maison en briques. Ce n'est qu'une tente qui n'arrête même pas le vent en hiver. »

Abdu Sabit avec deux de ses filles lors d'une consultation dans la clinique mobile MSF du camp d'Al-Khuseif à Marib. Yémen. 2021.
 © Hesham Al Hilali
Abdu Sabit avec deux de ses filles lors d'une consultation dans la clinique mobile MSF du camp d'Al-Khuseif à Marib. Yémen. 2021. © Hesham Al Hilali

Alors que certains nouveaux arrivants sont parvenus à trouver un logement, nombre d’entre eux sont obligés de vivre sur l’un des 150 sites qui accueillent les personnes déplacées. Abdu Sabit est originaire de Taïz et a déjà été déplacé deux fois à cause du conflit. Il habite avec sa famille élargie, soit 31 personnes, dans deux petites tentes du site d’Al-Khuseif.  « Nous ne prenons que du thé et du pain toute la journée, explique-t-il. Cela fait un mois que ma famille et moi n'avons pas pris un bon repas. Nous prendrons tout ce qui nous sera donné comme aide. » Ce Yéménite  n’a aucun moyen de subvenir aux besoins de sa famille et dépend de l’aide humanitaire pour sa survie.

Une femme transporte du pain pour le petit-déjeuner. Camp de déplacés à Al-Khuseif à Marib. Yémen. 2021.
 © Hesham Al Hilali
Une femme transporte du pain pour le petit-déjeuner. Camp de déplacés à Al-Khuseif à Marib. Yémen. 2021. © Hesham Al Hilali

La vie dans ces camps est également rendue difficile par l'absence de matériaux pour construire des abris solides et par le manque d’accès à l’eau potable et à des latrines fonctionnelles. Certains habitent dans des cabanes construites à partir de branches ramassées dans le désert avoisinant, de bâches récupérées dans des décharges ou de sacs de sable. Ces conditions de vie précaires constituent un risque sanitaire majeur.

Augmentation de la malnutrition

Médecins Sans Frontières fournit des services médicaux aux habitants de Marib par le biais de huit cliniques mobiles et d'un centre de soins de santé primaire. « Les conséquences de ces conditions de vie sur la santé physique et psychologique de ces personnes sont alarmantes, explique le Dr Muhammad Shoaib, coordinateur médical pour MSF. Il existe un risque élevé d'épidémies, notamment de rougeole, de choléra et de Covid-19. Les organisations humanitaires travaillant à Marib doivent accroître leurs activités en matière de distribution alimentaire, d'eau, d'assainissement, d'abris et de soins de santé. »

Un infirmier MSF prend le périmètre brachial d'une enfant qui souffre de malnutrition, dans la clinique mobile du camp de déplacés d'Al-Sweida à Marib. Yémen. 2021.
 © Hesham Al Hilali
Un infirmier MSF prend le périmètre brachial d'une enfant qui souffre de malnutrition, dans la clinique mobile du camp de déplacés d'Al-Sweida à Marib. Yémen. 2021. © Hesham Al Hilali

Les équipes MSF reçoivent un nombre croissant de patients, en particulier des enfants, souffrant de maladies liées à l'insalubrité et aux conditions de vie difficiles. Entre les mois d'octobre et de décembre 2021, les équipes MSF ont constaté une augmentation de 44 % du nombre de patients par rapport aux trois mois précédents. 66 % de ces patients étaient des enfants. Il y a également eu une augmentation de 11 % des cas de malnutrition.

Selon l’Organisation internationale pour les migrations, près de 60 000 personnes ont été déplacées par le conflit à Marib depuis le mois de septembre 2021. Des combats intenses sont en cours à la périphérie de la ville et les déplacements continuent. « Nous avons vraiment peur jour et nuit, raconte Abdu Sabit, qui habite à quelques kilomètres seulement de la ligne de front. Habituellement, il y a une pause d'environ une heure, puis nous recommençons à entendre les combats. Je ne suis pas inquiet pour moi, mais pour les enfants de ma famille. Si les explosions venaient à se rapprocher, je pense que nous partirions en courant, mais sans savoir où aller. »

Les plus vulnérables

Les effets du conflit ont un impact particulier sur deux des groupes les plus vulnérables de la région : les migrants africains et la communauté Muhamasheen, un groupe ethnique minoritaire et marginalisé. Même lorsque la ligne de front se déplace et que le danger se rapproche, ces personnes n’ont souvent ni la capacité ni les moyens de se mettre à l’abri. « Nous sommes 40 femmes à vivre dans une seule tente », explique Arkani, 20 ans. Elle fait partie d’un groupe de centaines de migrants éthiopiens actuellement bloqués au Yémen alors qu'ils tentaient de traverser le Yémen vers l'Arabie saoudite. « Nous n'avons pas de vêtements chauds, de couvertures ou de draps pour faire face au froid. Nous sommes trop nombreux pour le peu de nourriture qu’on arrive à obtenir », conclut-elle.

« Marib est dans une situation d'urgence. La population, en particulier les groupes vulnérables tels que les personnes déplacées, les migrants et les Muhamasheen, est gravement touchée par les multiples déplacements qu'elle a subis. Les organisations humanitaires et les autorités locales n'étaient tout simplement pas prêtes pour faire face à un tel afflux de personnes déplacées. Il est peu probable que le conflit à Marib se termine rapidement. Nous craignons qu’il y ait davantage de déplacements et que les besoins augmentent encore », déclare Elisabeth Bijtelaar, cheffe de mission MSF.

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