RCA : quel retour pour les déplacés et réfugiés après les violences autour de Paoua ?

Des habitants de la région de Paoua. République centrafricaine. 2018.
Des habitants de la région de Paoua. République centrafricaine. 2018. © MSF/Anaïs Deprade

Jusque-là relativement épargnée par les explosions de violences, la région de Paoua a été touchée par de violents affrontements entre groupes armés début 2018. Les combats et les attaques avaient poussé de nombreux habitants à abandonner leur village.

Alors que le calme semble à nouveau régner dans une partie de la région, les déplacés et réfugiés sont partagés quant à la possibilité de rentrer chez eux.

En quelques semaines, près de 100 000 personnes avaient fui les exactions indiscriminées et les violences de masses contre la population : plus de 60 000 s’étaient déplacées vers la ville de Paoua, dont la population avait quadruplé, et près de 30 000 s’étaient réfugiées au Tchad voisin.

En cause : des violences extrêmes menées par deux groupes armés à l’encontre de la population. Révolution Justice d’un côté et le Mouvement National pour la Libération de la Centrafrique de l’autre ; entre les deux, des hommes, des femmes et des enfants, agriculteurs pour la plupart, qui avaient livré aux équipes de Médecins Sans Frontières le récit d’exactions terribles.

Entre peur et nécessité

Quelques mois après ces événements, les impératifs agricoles et une relative accalmie ont poussé de nombreux villageois à retourner chez eux. « Il faut rentrer au village pour labourer. Certains de mes amis y sont déjà et cela se passe bien, la sécurité est assez bonne », avance Pascal. Il habite Paoua depuis plus de six mois et s’apprête à regagner son village, Bénamkouna, situé à quelques kilomètres de là.

Un village de la région de Paoua. République centrafricaine. 2018.
 © MSF/Anaïs Deprade
Un village de la région de Paoua. République centrafricaine. 2018. © MSF/Anaïs Deprade

Ce mouvement de retour dans les villages n’est cependant pas suivi par tout le monde. En janvier 2018, Élisabeth a été poursuivie par des cavaliers armés, qui « débusquaient les familles dans les herbes comme du gibier. »

Élisabeth habite un abri collectif de Paoua avec ses quatre enfants, depuis qu'elle a fui son village. République centrafricaine. 2018.
 © MSF/Anaïs Deprade
Élisabeth habite un abri collectif de Paoua avec ses quatre enfants, depuis qu'elle a fui son village. République centrafricaine. 2018. © MSF/Anaïs Deprade

Malgré l’importance de la saison des labours et des semailles, qui a commencé à la mi-juin, la peur des violences la pousse à rester à Paoua, où elle habite avec ses quatre enfants. « On ne sait pas ce qui se peut passer, si les groupes armés sont encore dans les parages. Les casques bleus et les militaires sont là, mais pour combien de temps ? Si tout est détruit, qu’est-ce qui m’attend là-bas ? », explique-t-elle. Selon les agences des Nations unies, plus de 2 000 personnes déplacées seraient encore installées dans la ville de Paoua.

Pillage et destruction

Les équipes MSF sont retournées en juin et juillet 2018 sur les différents axes de la région de Paoua pour évaluer la situation humanitaire et sanitaire. Le village de Béboura a été relativement épargné, contrairement à d’autres, situés plus au Nord, qui ont été entièrement détruits. Il donne néanmoins une bonne idée des difficultés qui compliquent le retour des habitants.

Un centre de santé pillé après l'attaque d'un groupe armé. République centrafricaine. 2018.
 © MSF/Anaïs Deprade
Un centre de santé pillé après l'attaque d'un groupe armé. République centrafricaine. 2018. © MSF/Anaïs Deprade

En premier lieu, les bâtiments du village, désertés par les habitants qui ont fui les attaques, ont été largement pillés. Le centre de santé appuyé par MSF a également été dévalisé, les installations endommagées et les stocks de médicaments ont disparu. Sur la même période, il y a un an, plus de 600 consultations pédiatriques étaient réalisées chaque mois dans le centre.

À l’état de désolation générale s’ajoute un problème crucial, celui de l’accès à l’eau. Des trois pompes à eau que comptent Béboura, une seule fonctionnait encore correctement lors de la visite des équipes MSF. « Stopper l’accès à l’eau est une technique classique et efficace pour faire fuir la population et l’empêcher de revenir », explique l’un des habitants du village.

Les équipes de Médecins Sans Frontières lors de l'évaluation de la situation humanitaire et sanitaire d'un village. République centrafricaine. 2018.
 © MSF/Anaïs Deprade
Les équipes de Médecins Sans Frontières lors de l'évaluation de la situation humanitaire et sanitaire d'un village. République centrafricaine. 2018. © MSF/Anaïs Deprade

Enfin, la crainte de nouvelles attaques et affrontements est une inquiétude partagée au sein de la population. Trois jeunes femmes auraient été tuées par des miliciens et jetées à la va-vite sous quelques branchages, alors qu’elles ramassaient des fruits à Béboura.

Réfugiés au Tchad : retour impossible

À une centaine de kilomètres de Paoua, les quelque 29 000 Centrafricains (HCR) réfugiés au Tchad n’envisagent tout simplement pas de retour. Ils ont fui des villages situés au nord de Paoua, une zone dans laquelle la sécurité est encore volatile.

Sophie, réfugiée centrafricaine au Tchad. 2018.
 © MSF/Candida Lobes
Sophie, réfugiée centrafricaine au Tchad. 2018. © MSF/Candida Lobes

Sophie, rencontrée à Békan, dans le centre de santé soutenu par MSF, est catégorique : « C’est impossible de retourner en Centrafrique. Nous n’avons rien ici, mais nous sommes en sécurité. » Ses deux frères ont été tués sous ses yeux dans l’attaque de son village, Bébingui, situé à une soixantaine de kilomètres de Paoua et à proximité immédiate de la frontière tchadienne.

Réfugiés au Tchad

Le sud du Tchad accueille plus de 100 000 réfugiés centrafricains. Avec 28 réfugiés pour 1 000 habitants, le Tchad est le deuxième pays d’Afrique en termes de nombre de réfugiés accueillis, derrière l’Ouganda.

Dans cette région du Tchad, qui voit régulièrement des Centrafricains franchir la frontière pour fuir les affrontements et les exactions, une quarantaine de villages ont accueilli les réfugiés.  « Quand ils sont arrivés, ils n’avaient rien. Il y avait beaucoup d’enfants, ils avaient faim. Nous leur avons donné de la nourriture, du savon, des vêtements et nous les avons hébergés dans nos maisons car ils en avaient besoin », explique Samuel Naijkuman, un habitant du village de Bédakousan, qui accueille Sophie et d’autres familles centrafricaines.

Rentrer, c’est aller vers la mort

« Des gens en tenue militaire sont arrivés à Bengatoko : ils ont ramassé tout ce qu’il y avait à manger et ensuite ils s’en sont pris à nous. Certains ont été tués au village. Aujourd’hui encore, si quelqu’un essaie de retourner, de récupérer quelques affaires, il risque d’être tué.  C’est déjà arrivé plusieurs fois. Les assaillants ont brûlé notre maison, volé notre bétail, je n’ai plus rien. Si on retourne en Centrafrique, qu’est-ce qu’on va faire? Qu’est-ce qui nous attend là-bas ? Rentrer, c’est aller vers la mort. »

Mirabelle, une mère qui a fui Bengatoko en RCA, pour se réfugier au Tchad.

© MSF/Candida Lobes

Médecins Sans Frontières intervient en urgence dans le sud du Tchad pour renforcer l’accès aux soins pédiatriques pour les populations réfugiées et locales. Entre février et mai 2018, plus de 4 000 consultations médicales ont ainsi été réalisées grâce des cliniques mobiles. Les équipes de l’association soutiennent également les centres de santé de Békan et Bégoné et ont mis en place une unité de stabilisation de 20 lits.

L’impact des violences en RCA fragilise d’autant plus cette région où 15 % de la population vit en situation d’insécurité alimentaire selon les agences des Nations unies.

En République centrafricaine, le soutien de MSF aux centres de santé en périphérie de Paoua a progressivement repris au fur et à mesure du retour de la population. Plus de 50 000 consultations ambulatoires ont été réalisées entre janvier et juillet 2018.

Notes

    À lire aussi