Par conséquent, malgré les protestations et les promesses du gouvernement britannique, la plupart des personnes ne pourront pas être expulsées du Royaume-Uni, mais elles ne pourront pas non plus présenter de demande d'asile, travailler ou bénéficier de l'aide des services publics. Au lieu de cela, elles se retrouveront coincées en détention illimitée, quelque part au Royaume-Uni. Puisqu’aucun dispositif n'a apparemment été mis en place pour accueillir les dizaines de milliers de personnes qui continueront d'arriver au Royaume-Uni par bateau chaque année, l'ensemble du plan semble irréaliste et irréalisable. Cette proposition qui sera extrêmement coûteuse et qui, en réalité, ne peut que conduire à exacerber la détresse, la souffrance et la vulnérabilité des personnes vivant dans les circonstances les plus précaires.
L'intimidation, la violence et les traitements dégradants perpétrés sans relâche par les deux pays au nom de la "surveillance des frontières" se sont révélés totalement inefficaces pour empêcher les personnes d'arriver dans le nord de la France ou pour tenter de traverser la Manche afin de trouver refuge au Royaume-Uni. Les mesures de dissuasion ne font que pousser les personnes en quête de sécurité à entreprendre des voyages de plus en plus dangereux, désespérés et parfois mortels. Les deux naufrages qui ont eu lieu dans la Manche au cours des seize derniers mois, au cours desquels 36 hommes, femmes et enfants se sont noyés ou sont présumés morts, en sont la preuve la plus aiguë et la plus tragique.
Après plus de 20 ans de politiques infructueuses et plus de 1,28 milliard d'euros de fonds publics français et britanniques gaspillés, il est temps pour vous et vos gouvernements d'admettre que les mesures de dissuasion sont inefficaces et coûteuses d’un point de vue humains. La criminalisation des migrations et de l'aide humanitaire ne fait que détourner la responsabilité de vos gouvernements vers les réseaux de passeurs et encourager un climat d'hostilité. Les Etats ont l'obligation légale de garantir les droits de l'Homme et de s'assurer que leurs politiques ne mettent pas en danger les personnes en quête de sécurité, notamment en développant des voies sûres et légales pour les personnes en migration.
Il est grand temps pour la France et le Royaume-Uni d’abandonner une politique qui créé délibérément de la souffrance, de l'exclusion et des morts en mer, et d'adopter une approche digne, humaine et responsable en matière de migration. Ce sommet ne doit pas déboucher sur des accords et des engagements financiers en faveur d'un renforcement des patrouilles frontalières, de la surveillance et de la violence d'État. Il doit au contraire offrir l'opportunité d’un changement de cap pour améliorer et élargir d'urgence les conditions d'accueil des migrants dans le nord de la France et au Royaume-Uni.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, l'expression de nos salutations distinguées.
Thierry Allafort-Duverger, directeur général, MSF France
Dr Natalie Roberts, directrice générale, MSF Royaume-Uni