Taïz au Yémen : vivre sur la ligne de front

Deux hommes marchent dans la ville de Mawza. Décembre 2018. Yémen.
La population du gouvernorat de Taïz peine à survivre dans une zone où les conséquences de la guerre se font sentir  aussi bien au niveau économique que sanitaire. © Agnes Varraine-Leca/MSF

Taïz, troisième ville la plus peuplée du Yémen, est le théâtre d'une féroce guerre civile depuis le début du conflit dans le pays en 2015. Les tirs de roquettes et les affrontements incessants ont mis à mal l'économie et le système de santé au détriment de la population, piégée de part et d'autre de la ligne de front.

« La peur constante et l'impression d'être proche de la mort sont des sentiments horribles. Une fois, un obus a touché ma sœur et lui a blessé un œil. Je ne pourrai jamais oublier cette vision d'elle en sang. A chaque bombardement, mes enfants, terrifiés, courent se cacher sous les couvertures », explique Wafa Muhammad Abdullah.

Wafa, 30 ans, habite Taïz, autrefois connue comme la capitale culturelle du Yémen. Comme elle, près d'un million d'habitants vivent dans les affrontements permanents depuis plus de six ans. Fusillades, bombardements et frappes aériennes ont fait de nombreux morts et blessés, et ont créé d'innombrables traumatismes psychologiques parmi la population.

Après des années de combats intenses, la ville porte les stigmates de la guerre et la ligne de front parcourt Taïz d'est en ouest, telle une cicatrice. Couverte de mines, la zone est désormais un no man's land en plein cœur de la ville, surveillé par des tireurs d'élite. 

Hesham, un habitant de la ville, se souvient avoir été victime d'un tir de sniper. « J'étais en face de l'hôpital yéménite suédois pour accompagner ma fille qui souffre d'épilepsie. Je l'ai laissée avec sa mère un moment et en sortant j'ai été touché par un sniper dans l'épaule gauche. J'essayais d'arrêter le saignement avec ma main quand j'ai marché sur une mine qui a explosé instantanément. J'ai perdu ma jambe dans l'explosion. »

Des mines antipersonnel désamorcées. Mawza est située dans le gouvernorat de Taïz, à 45 minutes de route à l'est de la ville de Mocha. C'est une région très pauvre et rurale, les gens dépendent de leur terre pour se nourrir et gagner de l'argent. La zone a été reprise du contrôle d'Ansar Allah par les forces fidèles au président Hadi, soutenues par la coalition dirigée par les Saoudiens et les Émirats, au début de l'année 2018. Les combats ont endommagé les champs et donc les moyens de subsistance des 13 000 habitants de Mawza. Alors que les troupes militaires se retiraient, des milliers de mines terrestres et d'engins explosifs improvisés (EEI) ont été placés dans la région.
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Des mines antipersonnel désamorcées. Mawza est située dans le gouvernorat de Taïz, à 45 minutes de route à l'est de la ville de Mocha. C'est une région très pauvre et rurale, les gens dépendent de leur terre pour se nourrir et gagner de l'argent. La zone a été reprise du contrôle d'Ansar Allah par les forces fidèles au président Hadi, soutenues par la coalition dirigée par les Saoudiens et les Émirats, au début de l'année 2018. Les combats ont endommagé les champs et donc les moyens de subsistance des 13 000 habitants de Mawza. Alors que les troupes militaires se retiraient, des milliers de mines terrestres et d'engins explosifs improvisés (EEI) ont été placés dans la région. © Agnes Varraine-Leca/MSF

Le centre-ville est coupé du reste du pays. Taïz est sous l'administration du gouvernement du Yémen, internationalement reconnu, tandis que le côté nord de la ville fait partie du gouvernorat de Taïz, contrôlé par Ansar Allah. Pour éviter la ligne de front, un voyage qui prenait 10 minutes avant le conflit nécessite environ cinq à six heures. Les déplacements sont aujourd'hui coûteux, longs et épuisants.

Le conflit a également engendré, comme ailleurs dans le pays, des défis économiques importants : augmentation des prix de la nourriture et d'autres produits de première nécessité - parfois jusqu'à 500 fois le prix initial - diminution du pouvoir d'achat, paiementsdes salaires rares et aléatoires, notamment pour les employés du gouvernement tels que les agents de santé, et fermeture de plusieurs établissements médicaux.

« Je travaille comme infirmière pédiatrique à l'hôpital Al-Thura de Taïz. Je ne perçois pas régulièrement mon salaire alors j'exerce un deuxième travail de nuit dans un hôpital privé. Les prix des denrées alimentaires sont si élevés que mes deux salaires ne suffisent pas pour mener une vie correcte », explique Ahmad. Plus de la moitié des établissements de santé publics au Yémen sont totalement ou partiellement non fonctionnels. Certains de ceux qui sont ouverts sont sur le point de fermer, faute de médicaments, de personnels et de fonds. Et la population a des difficultés à se procurer des médicaments.  

Hanan Rasheed Abdu Ali, 40 ans, a été admise au service postopératoire après avoir accouché de son troisième enfant par césarienne à la maternité de l'hôpital d'Al-Jamhouri, soutenue par MSF dans la ville de Taïz. Hanan a parcouru sept heures de route depuis la ville d'Aden, où elle habite avec son mari, pour bénéficier d'une césarienne qu'elle n'aurait pas eu les moyens de payer dans un hôpital public ou privé.

En tant que plaque tournante aux niveaux économique, éducatif et sanitaire de la région, le siège de Taïz a créé un effet de ruissellement négatif non seulement sur la ville et le gouvernorat, mais aussi sur les zones environnantes.

Personnes déplacées par le conflit dans la localité de Mocha, gouvernorat de Taïz.
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Personnes déplacées par le conflit dans la localité de Mocha, gouvernorat de Taïz. © Agnes Varraine-Leca/MSF

Les habitants de Taïz sont largement tributaires du soutien apporté par les acteurs humanitaires. MSF soutient les services de santé depuis le début de l'année 2016, notamment des services de santé reproductive depuis une évaluation en 2020. « MSF travaille des deux côtés de la ligne de front, en fournissant des soins maternels et néonatals gratuits de qualité, ce qui est l'un des plus grands besoins de la région », a déclaré Emilio, coordinateur du projet MSF. La maternité de l'hôpital d'Al-Jamhouri, désormais soutenue par MSF, assiste environ 350 accouchements par mois, et les équipes admettent 50 nouveau-nés dans l'unité de soins spécialisés. Plus de 1 500 femmes sollicitent mensuellement des services prénatals ou postnatals à l'hôpital.

Notes

    À lire aussi