« Avant de rejoindre MSF, j'ai travaillé seize ans dans l'hôpital de Ljubljana. J'ai commencé comme infirmière de bloc "volante", puis après sept années passées dans différents services chirurgicaux, je suis devenue infirmière de bloc en chef en chirurgie reconstructive et pour brûlés. Je suis restée cinq ans à ce poste. J'ai ensuite passé deux années en tant que gestionnaire de bloc, c'était nouveau et les défis à relever étaient nombreux. Enfin, je suis me suis consacrée à la formation des infirmiers de bloc débutants.
Dire qu'on souhaite "aider ceux qui sont dans le besoin" sonne un peu superficiel, frivole même, mais il y a une part de vrai. Je crois vraiment qu'après que votre vie soit posée et lorsque tout va bien, il arrive un moment où il faut partager son savoir faire et son expérience avec d'autres ; avec ceux qui n'ont pas la même chance. Alors pourquoi ne pas s'engager dans une organisation humanitaire ?
J'ai été recrutée par le bureau autrichien de MSF, c'était en octobre dernier. J'ai suivi une formation puis j'ai attendu mon premier départ en mission. A la fin janvier, MSF m'a proposé de partir à Gaza, dans leur programme de chirurgie réparatrice. Ce n'est pas un projet d'urgence, plutôt une mission de moyen - long terme qui dépend de la disponibilité des chirurgiens qu'MSF parvient à recruter et à envoyer sur ce terrain. Même si ma famille avait quelques réticences au départ, à cause de la mauvaise "réputation" de cet endroit, je n'ai pas eu de doutes. Finalement, à force de me voir aussi enthousiaste, mes proches m'ont soutenue.
Je suis arrivée à Gaza deux jours avant un pic de violence entre Israéliens et Palestiniens. Un conflit qui a duré cinq jours. Quand ça a commencé, notre coordinateur de projet a reçu des tonnes de SMS d'alerte et bien sûr je n'étais pas rassurée ! J'ai essayé de rester aussi calme que possible, paniquer n'aurait pas aidé. Pendant ces cinq jours, je me suis sentie en sécurité et très bien informée. Venir d'ex-Yougoslavie m'a peut être aidée ? Il y a vingt ans, nous avons nous aussi connu la guerre d'indépendance dont on sait à quel point elle fut terrible...
Mon poste à Gaza était celui d'infirmière superviseur de bloc. Je gérais, dirigeais, formais, évaluais, coordonnais, organisais, planifiais etc. toutes les activités en lien avec les opérations chirurgicales. Nous travaillions dans un hôpital de campagne MSF, sous tentes, installé devant l'hôpital Nasser de Khan Younis, une ville située à 20 kilomètres au sud de la ville de Gaza où MSF a son bureau et sa maison.
Du fait des événements, sur un mois de mission, nous n'avons pu opérer que quatre jours. Mais nous avons décidé de mener un maximum d'opérations par jour.
Sur toute la bande de Gaza, des affiches informent et invitent les patients potentiels à se présenter à nos équipes. La veille du début des opérations, 200 patients ont été minutieusement examinés par les chirurgiens, palestinien et expatrié. Au final, sur les quatre jours, 25 personnes ont été opérées et nous avons posé des pansements sur deux patients sédatés.
On commençait à opérer à 7h30 et on terminait vers 18h. On se débrouillait pour effectuer sept à huit opérations par jour. 70% de nos patients avaient moins de cinq ans. Le plus jeune avait sept mois, le plus vieux 60 ans. La majorité souffrait de contractures de la peau consécutives à des brûlures ; d'autres de malformations congénitales, comme des syndactylies (accolement et fusion plus ou moins complète de deux ou plusieurs doigts ou orteils entre eux). Certains avaient déjà été opérés une première fois lors de la mission chirurgicale MSF précédente. Nous avons également opéré deux personnes brûlées, en urgence.
A Gaza, il y a beaucoup d'explosions de bouteilles de gaz domestique. Les coupures d'électricité sont quotidiennes et, pour se chauffer ou cuisiner, les gens utilisent des bonbonnes de gaz en mauvais état et/ou de piètre qualité.
Des enfants brûlés, ça arrive tous les jours malheureusement à Gaza...
Avant de commencer à travailler, j'ai visité l'hôpital Nasser. J'ai rencontré les chirurgiens plastiques palestiniens, le médecin chef du département des brûlés aussi. L'infirmière en chef m'a fait visiter ce service : en tout, ils ne disposent que de cinq lits et de 50 m² ; des rideaux tiennent lieu de murs. Dans l'une des chambres, il y avait un petit garçon de dix ans. Sa mère et sa grand-mère étaient à ses côtés. Deux jours auparavant, il avait été victime de l'explosion d'une bouteille de gaz. Ses deux mains et son visage étaient brûlés au troisième degré. Il était allongé, les yeux ouverts, dans son lit. Dans les jours qui ont suivi, j'ai beaucoup pensé à lui, à la façon dont il serait - ou pas - pris en charge...
Deux semaines plus tard, nous commencions à opérer sous la tente et le chirurgien palestinien nous a demandé si nous étions d'accord pour opérer, en urgence, un jeune garçon brûlé. J'ai tout de suite pensé à lui et j'avais raison ! Le lendemain, j'ai vu arriver ce garçon, totalement épuisé, très amaigri et pâle. J'étais triste pour lui car de toute évidence il souffrait depuis plus de deux semaines ! Après l'avoir anesthésié, nous l'avons baigné pour mieux évaluer l'étendue des dégâts. Il devait être opéré aux mains et au front.
Je l'ai revu cinq jours plus tard, lorsque nous avons changé ses pansements sous sédation. Il avait toujours l'air d'un fantôme et ne supportait pas qu'on le touche, il avait trop mal. Il aura encore besoin de beaucoup de sessions de pansements et de kinésithérapie, mais je pense qu'il a eu de la chance de pouvoir être opéré par MSF, simplement parce, désormais, il bénéficie de soins appropriés et de qualité. »