Les adolescents séropositifs, soit les personnes âgées de 10 à 19 ans selon l’Organisation Mondiale de la Santé, représentent une population particulièrement vulnérable. Pourtant, ils restent largement négligés par la réponse à la pandémie de VIH – à l’échelle globale, régionale mais aussi au sein des cohortes de patients MSF. Au Myanmar, les adolescents représentent environ 5% des quelque 35 000 personnes séropositives suivies par MSF.
Ce groupe de patients, ni enfants ni adultes, ont des besoins spécifiques et font face à des problématiques particulières en matière de prévention et traitement du VIH. Parce que cela rajoute des complications et demande de l’attention supplémentaire, ce groupe de patients finit par être souvent négligé dans les programmes VIH, avec des résultats accablants : le nombre de nouvelles infections et de décès liés au VIH est en augmentation dans la région Asie et Pacifique. Selon le récent rapport de l’ONUSIDA « Get on the Fast-Track — The life-cycle approach to HIV », les adolescents séropositifs présentent les taux les plus inquiétants de mauvaise observance de leur traitement et d’échecs thérapeutiques.
Trois fois plus de risques d'échecs thérapeutiques que les adultes
Une analyse de notre cohorte de patients au Myanmar permet de dresser un tableau similaire et également inquiétant : nos patients adolescents ont presque trois fois plus de probabilités d’être en situation d’échec thérapeutique dans le cadre d’un traitement antirétroviral (ARV) dit ‘de première ligne’ que les adultes. Leur traitement doit alors être changé vers un traitement dit ‘de deuxième ligne’: 16% de nos patients adolescents le reçoivent, contre seulement 6% des adultes. Ce constat est déjà désolant lorsqu’on sait que selon des études préliminaires, les adolescents démarrent leur traitement en meilleure santé que les adultes, et qu’une fois sous traitement, leur taux de CD4 peut être plus élevé que celui des adultes. Mais il est encore plus accablant de constater que les traitements de deuxième ligne semblent ne pas être efficaces pour eux. Les résultats des tests de charge virale chez 90% de notre cohorte d’adolescentes montrent que près de 20% de ceux qui suivent un traitement antirétroviral présentent une charge virale détectable, signe que le traitement ne marche pas dans leur cas.
Nous ne pouvons pas déterminer les raisons exacts qui expliquent un taux si élevé d’échecs dans ce groupe spécifique de patients, mais il s’agit d’un constat que nous faisons dans d’autres projets VIH dans d’autres pays. Il s’agit probablement d’un mélange de déterminants spécifiques à l’adolescence en général, et à des facteurs sociaux et environnementaux – dont la stigmatisation – en particulier.
L’adolescence est un âge de tourments et d’agitation. Les jeunes oscillent entre bonheur et dépression, confiance en soi et manque d’auto-estime, idylles et déchirements amoureux. Pour de nombreux adolescents séropositifs, ces ‘montagnes russes’ émotionnelles comportent des retournements supplémentaires. La plupart de ces patients n’osent pas révéler leur condition en dehors de leur famille, pas même à leurs amis les plus proches. Ils ont honte, et ils ont peur d’être mis à l’écart si leur séropositivité était connue. Ils supportent mal les « règles » (l’un des mots les plus détestés par les adolescents) qui accompagnent le fait d’être séropositif. La routine – devoir prendre régulièrement ses médicaments (et le fait de devoir les prendre en cachette de ses amis, alors qu’il y a un million d’autre chose qui leur passent par la tête) – pose un sérieux problème en termes d’observance du traitement ARV.
Une population particulièrement vulnérable
Il y a également de nombreux facteurs sociaux et culturels qui rendent les adolescents particulièrement vulnérables aux échecs de traitement. La majorité de ces jeunes patients sont nés de parents séropositifs, et beaucoup d’entre eux sont orphelins. Parmi 177 adolescents séropositifs (âgés de 10 à 19 ans) dans notre projet de Dawei, 67,4% disent être orphelins, avoir perdu leurs deux parents (18,6%) ou vivre dans une famille monoparental (48,8%). Au Myanmar, les ARV n’ont été disponibles dans le système de santé public qu’il y a un peu plus de 10 ans – et l’accès est resté de toute manière limité. Les parents des enfants que nous prenons en charge aujourd’hui n’ont sans doute bénéficié d’un programme de mise à disposition d’ARV quand les enfants sont nés, et nombre d’entre eux sont morts depuis. Leurs enfants ont dû alors assumer rapidement la responsabilité de gagner leur vie. Environ 30% des jeunes inclus dans notre analyse ont déclaré ne pas avoir été à l’école, ou ne pas l’avoir terminée.
Grandir dans un orphelinat ou chez d’autres membres de la famille, souvent l’un des grands-parents, n’arrange pas les choses pour ces adolescents, déjà en proie à un tourbillon d’émotions et de changements physiques et psychologiques, lorsqu’il s’agit de gérer leur maladie. L’annonce de leur séropositivité est un moment très délicat et extrêmement important. Ils doivent comprendre le danger mortel représenté par leur maladie, et sa nature chronique, pour comprendre l’importance d’un respect rigoureux de la prise de médicaments. Cet élément sera fondamental pour garantir leur observance du traitement. L’éducation sexuelle est un autre élément fondamental, car c’est à cet âge que la sexualité se réveille. Mais au Myanmar, comme dans plein d’autres sociétés, parler de sexe est un tabou culturel. Il est alors difficile pour les jeunes d’apprendre les joies, les risques et les responsabilités qui accompagnent une vie sexuelle active. Cela l’est encore plus lorsque l’on a grandi sans parents, ou lorsque la principale figure de référence à qui demander conseil ou se confier appartient à deux générations auparavant.
Des modèles de soins sur mesure
La liste des problèmes pourrait continuer. Mais il existe un ‘stricte minimum’, que nous tous, en tant que soignants, parents, enseignants ou juste êtres humains, devrions avoir à cœur : un environnement favorable et bienveillant envers les adolescents séropositifs, pour qu’ils se sentent compris et à même de suivre correctement leur traitement. Ceci implique des modèles de soins ‘sur mesure’, pour qu’ils puissent vivre comme de normaux adolescents : leur mettre à disposition des conseillers HIV et des éducateurs qui ‘parlent leur langue’, qui n’ont pas peur d’inclure l’éducation sexuelle dans leurs échanges, et qui les prennent au sérieux ; des enseignants qui ne discriminent pas ces adolescents, mais qui les autorisent à prendre leur traitement pendant les heures de cours, et qui diffusent des messages de soutien et d’éducation au VIH dans les classes ; des familles et des communautés qui comprennent les moyens de transmissions et de prévention, au lieu d’éviter de manger dans la même assiette ou d’interdire d’emprunter leurs vêtements.
A MSF, nous devons encore comprendre mieux ces problèmes, en tant que potentiels obstacles à une bonne prise des ARV, et donc possibles causes des taux d’échec plus élevés chez les adolescents séropositifs. Dans nos projets au Myanmar, nous avons fait des efforts pour améliorer notre prise en charge et nos soins pour ce groupe spécifique de patients, par exemple en analysant la situation de cette cohorte, et en surveillant de près les résultats virologiques. Les prochaines étapes pourraient être l’élargissement de l’offre de soutien par les paires, des activités de conseil mieux adaptées, ou encore des activités de sensibilisation et de dépistage proactives mieux ciblées. En attendant, en tant que soignants, ou juste êtres humains, nous devons agir ensemble, et nous devons le faire dès aujourd’hui, pour garantir un avenir à cette génération ; pour ne pas la laisser filer.
MSF fournit des ARV au Myanmar depuis 2003, et mène actuellement des projets de prise en charge du VIH et de la tuberculose dans les Etats de Yangon, Shan et Kachin, ainsi que dans la région de Tanintharyi. En septembre 2016, MSF donnait accès aux ARV à 34 877 patients dans ces projets, dont 1 807 âgés entre 10 et 19 ans.
Fernanda Rick est un médecin brésilien, spécialiste en maladie infectieuse, qui travaille avec MSF depuis 2014. Elle est actuellement la coordinatrice médicale du projet VIH de MSF à Dawei, dans la région de Tanintharyi.