Thomas est assis dans une des salles de l’hôpital de Bria, les doigts des deux mains amputés, le bras gauche cassé et la jambe soutenue par un fixateur externe suite aux coups de machette qui lui ont ouvert la cuisse presque jusqu’à l’os. « Il était 8 heures du matin le mardi 16 mai, j’étais chez moi avec ma famille et des amis que nous hébergions. Ils ont déboulé avec des machettes et des gourdins, ont chassés les femmes et commencé à nous tabasser. Ils nous traitaient d’Anti-Balaka, mais moi je suis guide de safari depuis presque 40 ans… », s’exclame Thomas, 65 ans, peut-être 70, l’une des victimes des combats qui ont secoué la ville du 15 au 18 mai 2017.
Surnommée Bria la scintillante en raison des nombreuses mines de diamant de la région, cette ville de 47 000 habitants est sous le joug des groupes armés. Il y a le quartier musulman où résident notamment les combattants du FPRC, les UPC qu’on appelle « arabes » pour les distinguer des UPC peuhls desquels ils se sont séparés, les quartiers chrétiens où se sont organisés des forces dites d’«auto-défense »... Une toile complexe d’alliances et de mésalliances qui parfois s’embrase comme cela a été le cas mi-mai. Ce sont alors les quartiers chrétiens qui ont été visés, mais en novembre 2016 et en mars 2017, ce sont les communautés peuhls qui ont été les principales victimes des violences. Depuis, ils sont plus de 2 800 personnes à avoir trouvé refuge dans l’enclave de Gobolo, sous protection des forces onusiennes.
En Centrafrique, il ne semble plus y avoir de distinction entre civils et combattants : la population le sait bien et c’est pourquoi elle fuit dès qu’elle le peut. A Bria, des quartiers entiers ont été désertés et les maisons gardent les traces des combats : impacts de balles, murs noircis par les flammes, maisons sans toit... « Je n’ai nulle part où rentrer, continue Thomas. Tout a été détruit et pillé. Tous les cadeaux que j’avais reçu de mes clients européens en remerciement de mes services de guide ont été volés. J’ai tout perdu. Pour l’instant ma famille et moi avons trouvé refuge à l’hôpital, mais si nous devons partir, nous irons en brousse, nous ne retournerons pas dans notre quartier. » Comme Thomas et sa famille, ils sont environ 6 000 à préférer passer leurs nuits dans l’enceinte de l’hôpital, où les déplacés et leurs étals de marché côtoient désormais les patients et le personnel de santé.
Environ 41 000 personnes, soit plus de 85% des habitants de la ville de Bria, ont fui leur foyer. La majorité de ces nouveaux déplacés ont rejoint le site de PK3, où ils espèrent être en sécurité. Le site a été aménagé pour 3 000 personnes suite aux combats de novembre 2016 ; il en abrite aujourd’hui 25 000 et ce nombre augmente de jour en jour. Au cœur du camp, les personnes qui sont arrivées il y a huit mois sont les mieux installées. Tout autour ce sont des installations de fortune : quelques bâtons, une ou deux bâches qui ont pu être sauvées du pillage des maisons, une natte posée à même le sol. La petite forêt qui entourait le site a disparu en quelques jours sous les coups de hache des nouveaux déplacés qui tentent d’installer un abri pour leur famille. C’est la saison des pluies et si les enfants courent partout lorsqu’il fait beau, toute les familles se regroupent les pieds dans la boue sous les quelques mètres de bâches quand la pluie tombe. Ironiquement, les déplacés ont surnommé le site le Ledger, du nom du plus grand hôtel de Bangui.
Un marché improvisé dans le camp de PK3. © MSF
Dans le camp de PK3, MSF a intensifié les cliniques mobiles mises en place en novembre dernier pour les enfants de moins de 15 ans : les équipes y ont réalisé plus de 600 consultations ces deux dernières semaines, principalement pour le paludisme. MSF a aussi mis en place un approvisionnement en eau, car le manque d’eau et de latrines sur le site laisse craindre le pire en cas d’épidémies. La réponse humanitaire à Bria reste lente, et les nouveaux arrivants n’ont toujours pas reçu de biens de première nécessité comme des bâches en plastique ou du savon. Les cas pédiatriques sévères sont référés à l’hôpital où MSF a aussi pris en charge 44 blessés, dont Thomas, entre le 15 et le 18 mai 2017.
En plus du site de PK3, les cliniques mobiles de MSF se rendent à Kolaga, à 10 kilomètres au sud de Bria où des déplacés sont arrivés récemment des quartiers sud de la ville mais aussi des villages en périphérie et des zones plus reculées où des exactions ont lieu dans l’ignorance, si ce n’est dans l’indifférence de tous.
La clinique mise en place par MSF dans le camp de PK3. © MSF
MSF offre également des consultations à la population de Gobolo, l’enclave dans la ville de Bria, où la population Peulh est prisonnière de l’insécurité depuis le mois de novembre 2016. Une vieille femme, deux jeunes garçons, deux jeunes filles et beaucoup d’enfants ont marché plus de 50 kilomètres depuis que leur campement s’est fait attaquer il y a quinze jours au milieu de la nuit par une centaine d’hommes armés de machette et d’armes automatiques. Les huit hommes de la famille, deux femmes et un bébé ont été tués alors que les autres membres ont profité de la panique pour se cacher dans les hautes herbes. Leur moyen de subsistance et l’héritage de toute une vie a été volé : 300 bœufs et 100 moutons. Les survivants du massacre sont restés cachés quelques jours craignant le retour des hommes armés pour les achever, puis avec l’aide de commerçants musulmans, ils ont rejoint Bria où les casques bleus les ont escortés jusqu’à l’enclave de Gobolo.
Les attaques sur Thomas et sur cette famille peuhl font partie d’un nombre croissant d’événements à Bria et dans l’Est de la RCA où les civils sont de plus en plus pris pour cible. Toutes les communautés sont exposées dans ce cycle de violence qui se nourrit d'attaques à répétition et de représailles.
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