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Yémen : existe-t-il un risque de «famine imminente» dans le pays?

Des Yéménites attendent des membres de leur famille à l'entrée de l'hôpital MSF de Haydan. Yémen. Mars 2018.
Des Yéménites attendent des membres de leur famille à l'entrée de l'hôpital MSF de Haydan. Yémen. Mars 2018. © Agnes Varraine-Leca/MSF

Caroline Seguin, responsable des projets de MSF au Yémen, revient sur les récentes alertes au risque de famine dans ce pays en guerre depuis près de 4 ans.

Il y a un mois, l’ONG Save the Children diffusait un communiqué de presse alertant sur le sort de 5,2 millions d’enfants menacés par une famine imminente au Yémen. Famine qui pourrait être « la pire famine des 100 dernières années » selon les Nations unies… Est-ce qu’on peut parler de famine imminente au Yémen ?

Quand on parle de famine, on parle de franges entières de la population, adultes et enfants, qui meurent des effets combinés du manque de nourriture et des maladies qui y sont associées.

On voit des taux de malnutrition sévères très élevés, associés à une mortalité également très importante, comme nous l’avons vu par exemple en Éthiopie en 1984, au Soudan du Sud en 1998, en Angola en 2002 ou plus récemment dans certaines zones enclavées au nord du Nigeria en 2016. Ce n’est pas la situation que nous observons dans les projets où nous traitons des enfants souffrant de malnutrition, dans les gouvernorats de Hajjah, Ibb, Taiz, Amran et Saada. Et les données que nous recueillons dans les centres de santé que nous soutenons ne suggèrent pas l’existence de poches de famine dans ces zones, ou une famine imminente.

Sur quoi se basent ces alertes au risque de famine ?

Il faut bien comprendre qu’il est impossible aujourd’hui pour les acteurs humanitaires présents au Yémen d’avoir un aperçu global de la malnutrition à l’échelle du pays. Ni les agences onusiennes ni les ONG ne sont en capacité de mener des études nutritionnelles de grande ampleur qui permettraient d’avoir cet aperçu car elles n’ont pas accès à de nombreuses zones du pays, pour des raisons de sécurité, notamment à cause des bombardements et des combats, mais aussi pour des raisons administratives et politiques, l’accès à ces zones dépendant du bon vouloir des autorités locales. Il n’existe donc aucune donnée de qualité sur lesquelles on peut se baser pour annoncer une famine imminente au Yémen.

Une voiture carbonisée à proximité de la salle des urgences de l'hôpital d'Abs, soutenu par MSF. L'hôpital a subi une attaque aérienne de la coalition menée par l'Arabie saoudite. Yémen. Août 2016.
 © Rawan Shaif
Une voiture carbonisée à proximité de la salle des urgences de l'hôpital d'Abs, soutenu par MSF. L'hôpital a subi une attaque aérienne de la coalition menée par l'Arabie saoudite. Yémen. Août 2016. © Rawan Shaif

De même que nous n’avons par exemple aucune idée du nombre de morts qu’a fait ce conflit, nombre qui reste figé à 10 000 depuis août 2016, et que tout le monde répète à l’envi : les effets de distorsion de la réalité au Yémen sont puissants, notamment parce que l’accès des journalistes dans le pays reste extrêmement contrôlé par les autorités, et de fait très limité. Les médias deviennent la caisse de résonnance de faits et de chiffres qui restent difficilement vérifiables.

Que voient nos équipes sur le terrain ?

Concernant la malnutrition, nous voyons surtout des enfants en bas âge en état de malnutrition aiguë sévère, notamment dû à un arrêt trop rapide de l’allaitement maternel ou du fait d’une maladie antérieure qui entraîne un état de malnutrition. Nous traitons ces enfants avec des aliments thérapeutiques hyper nutritifs, et en parallèle nous soignons la maladie qui a entraîné l’état de malnutrition par des traitements médicamenteux. Il y a effectivement des endroits où les taux de malnutrition aiguë sévère sont en augmentation, comme c’est le cas dans le gouvernorat d’Amran, d’après les données collectées dans notre hôpital de Khamer : il y a par exemple eu deux fois plus d’admissions d’enfants souffrant de malnutrition en septembre 2018, par rapport à l’année précédente. Mais ce n’est pas une situation homogène à l’échelle du pays.

Hussein et sa petite-fille en consultation à l'hôpital MSF de Haydan. Yémen. Mars 2018.
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Hussein et sa petite-fille en consultation à l'hôpital MSF de Haydan. Yémen. Mars 2018. © Agnes Varraine-Leca/MSF

Ce que nous voyons, c’est surtout une détérioration générale des conditions de vie de la population qui n’a plus accès à des centres de santé, soit parce qu’ils ont été détruits par les combats, soit parce qu’ils sont désertés par le personnel médical, qui n’est plus payé depuis août 2016. Nous voyons des civils pris au piège de campagnes de bombardements massives, notamment dans le nord du pays, et des populations blessées ou déplacées à cause des combats au sol. D’après les informations recueillies par le Yemen data project, un système de collecte de données indépendant des parties au conflit, près d’un tiers des raids aériens ont visé des cibles non-militaires depuis mars 2015, et les bombardements sur les véhicules civils ont augmenté en 2018 par rapport à l’année dernière.

Il y a une évidente dégradation des conditions économiques, avec une perte de pouvoir d’achat. Le prix de la farine est quasiment 80 % au-dessus de son prix d’avant le début de la guerre, et celui de l’essence a augmenté de 130 %. Cependant, les dynamiques sociales au Yémen permettent encore aux plus vulnérables d’être soutenus et aidés par la communauté, ce qui limite probablement les conséquences du manque d’accès à la nourriture pour certaines familles. Mais les Yéménites meurent aussi parce qu’ils n’ont pas l’argent pour payer le transport et accéder aux trop rares structures de soins fonctionnelles du pays. Ce sont ces problèmes auxquels la population est confrontée et auxquels MSF tente de répondre, avec des contraintes fortes d’accès et de sécurité.

Notes

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