Ebola en RDC : face à l’opacité de l’OMS, MSF appelle à la création d’un comité indépendant pour gérer la vaccination

Un patient atteint d'Ebola pris en charge par MSF dans le Centre de Traitement d'Ebola de Butembo, en RDC. Novembre 2018
Un patient atteint d'Ebola pris en charge par MSF dans le Centre de Traitement d'Ebola de Butembo, en RDC. Novembre 2018 © John Wessels

Ebola a tué plus de 2 100 personnes en RDC, avec un taux de létalité de 67%, comparable à celui de l’épidémie d’Ebola qui a frappé l’Afrique de l’Ouest de 2014-2016. Pourtant, des traitements qui augmentent sensiblement les chances de survie des malades et un vaccin qui a démontré son effet protecteur sont aujourd’hui disponibles. Un des problèmes majeurs réside aujourd’hui dans le fait qu’en pratique le vaccin est rationné par l’Organisation mondiale de la Santé, et que trop peu de personnes à risque sont aujourd’hui protégées. MSF appelle à la création d’un comité de coordination international indépendant afin de garantir une gestion transparente des programmes de vaccination Ebola, et d’assurer que les vaccins profitent au plus grand nombre possible de personnes exposées au virus.

Plus d’un an après le début de l’épidémie d’Ebola au nord est de la RDC, la maladie a tué plus de 2 100 personnes, environ deux tiers des personnes infectées par le virus. Près de 40% des décès surviennent en dehors des centres de santé, chez des personnes qui n’ont pas eu accès à des soins médicaux. Ces taux sont relativement stables depuis le début de l’épidémie[1]. Bien que le rythme de transmission de la maladie semble en train de s’infléchir, certains foyers sont toujours actifs depuis un an tandis que d’autres se réactivent.

« On a trop pointé la défiance de la communauté et son ignorance supposées comme des obstacles majeurs dans la lutte contre la maladie. En réalité, davantage de gens demanderaient à être vaccinés si on leur faisait savoir clairement qu’ils peuvent être protégés du virus grâce à un vaccin qui a démontré son efficacité [2], tout comme ils chercheraient à obtenir des soins dès l’apparition des symptômes si on leur faisait savoir clairement qu’ils ont de grandes chances de guérir en recevant rapidement un des traitements (qui ont récemment fait leurs preuves) [3]. Nous devons arrêter de faire des communautés les premiers responsables de leurs morts, et leur donner plus d’accès concret aux traitements et aux vaccins », déclare Dr Natalie Roberts, coordinatrice d’urgence pour MSF.

Les efforts combinés du ministère de la Santé et de l’Organisation mondiale de la Santé ont permis de vacciner plus de 225 000 personnes avec le vaccin rVSV-ZEBOV. Mais ce nombre reste largement insuffisant, comme l’illustre le fait que l’épidémie touche à nouveau des zones censées avoir été couvertes : le rythme de vaccination est trop lent et seule une fraction de la population éligible en a bénéficié jusqu’à présent [4] une situation due en partie à un système opaque de gestion des vaccins.

« Nous pensons qu’il est nécessaire et réaliste de doubler le rythme de vaccination : jusqu’à 2 000-2 500 personnes pourraient être vaccinées chaque jour, contre un rythme actuel de 500 à 1000 personnes. Nous disposons d’un vaccin efficace ; d’équipes de vaccinations prêtes à être déployées ; la chaîne de froid nécessaire à l’acheminement du vaccin est fonctionnelle ; le nombre de doses nécessaires pour couvrir les besoins actuels et l’extension de la couverture vaccinale est disponible, comme vient de le confirmer récemment l’entreprise pharmaceutique Merck qui le produit. Enfin, la vaste majorité de la population souhaite être vaccinée. Malgré ces éléments objectifs, la mise à disposition effective du vaccin sur le terrain, les critères d’éligibilité et leur application font l’objet de restrictions inexplicables », déclare Dr Isabelle Defourny, Directrice des opérations pour MSF. « Les travailleurs de santé eux-mêmes, dont on sait qu’ils sont particulièrement exposés et censés à ce titre bénéficier de la vaccination en priorité, ont déclaré à Beni, où la transmission du virus reste particulièrement active, n’avoir bénéficié de la vaccination que pour deux tiers d’entre eux. »

Les efforts de MSF pour étendre l’accès à la vaccination en collaboration avec le ministère de la Santé, et en conformité avec les recommandations du groupe SAGE, le groupe consultatif d’experts de l’OMS se sont heurtés au contrôle extrême imposé par l’OMS sur l’approvisionnement en vaccins et les critères d’éligibilité. Les équipes de vaccination de MSF au Nord Kivu ne reçoivent ainsi qu’au compte-gouttes des doses réservées à des personnes inscrites sur des listes prédéfinies.

« La réactivité est clé dans une épidémie : les équipes médicales doivent être en capacité de proposer un traitement ou un vaccin sur la base des besoins constatés sur le terrain. Si une mère s’est occupée d’un enfant malade infecté par Ebola, nous ne voulons pas seulement confirmer le diagnostic et traiter l’enfant, nous devons aussi rapidement proposer à la mère un traitement prophylactique post exposition qui peut prévenir le développement de la maladie, et vacciner les membres de son entourage afin qu’ils soient protégés contre le virus si elle s’avérait malade. Mais notre capacité à évaluer la situation en temps réel et à réagir de façon adaptée est sévèrement limitée par un système beaucoup trop rigide. C’est comme si des pompiers n’étaient autorisés qu’à verser un verre d’eau par jour sur un incendie ! Tous les jours nous voyons des personnes dont on sait qu’elles sont des contacts de personnes malades, et qui n’ont pas bénéficié du vaccin alors qu’elles rentrent clairement dans les critères », poursuit Dr Roberts.

Les raisons derrière ces restrictions restent obscures : le vaccin rVSV-ZEBOV a démontré son innocuité et son efficacité avec des essais cliniques dont un essai de phase III en Guinée en 2015. En l’absence d’homologation, le ministère de la Santé congolais et l’OMS autorisent son administration en « accès élargi » dit aussi « usage compassionnel », et peut donc être théoriquement délivré largement aux personnes exposées. Merck vient de déclarer qu’en plus des 245 000 doses déjà délivrées à l’OMS, ils étaient prêts à envoyer 190 000 autres doses si nécessaire, et que 650 000 autres seraient mises à disposition dans les 6 à 18 prochains mois.

« Pour se donner toutes les chances de faire le meilleur usage possible d’outils de prévention expérimentaux dans un contexte d’épidémie comme celle à laquelle la RDC est confrontée, la transparence est primordiale : comment pouvons-nous aider les autorités congolaises à planifier et prioriser le déploiement du vaccin et espérer que la population ait confiance dans un système opaque pour des acteurs de santé de première ligne comme MSF ? », déclare Natalie Roberts. 

MSF appelle en urgence à la création d’un comité de coordination international indépendant, sur le modèle de l’International Coordination Group créé en 1997 qui est composé de MSF, de la Fédération internationale de la Croix Rouge, de l’OMS et de l’Unicef, et qui a fait la preuve de son efficacité dans la gestion d’épidémies massives de méningite, de fièvre jaune et de choléra et d’accès limité aux vaccins. Ce groupe rassemblerait des partenaires mandatés pour améliorer la coordination de la vaccination, garantir la transparence sur la gestion des stocks et le partage des données, stimuler des discussions ouvertes avec les producteurs de vaccins, et au final assurer que les vaccins bénéficient au plus grand nombre possible de gens exposés au virus.

Les équipes de MSF interviennent dans l’épidémie d’Ebola qui frappe le nord-est de la RDC depuis sa déclaration en août 2018. Elles ont été impliquées dans plusieurs activités : soins aux patients Ebola confirmés ou probables, vaccination des travailleurs de santé de première ligne, renforcement des mesures d’hygiène et de contrôle des infections dans les centres de santé, sensibilisation dans les communautés. Elles travaillent également dans de nombreux centres de santé au Nord Kivu et en Ituri afin de permettre à la population générale d’accéder à des soins de santé pendant l’épidémie d’Ebola.


[1] A la date du 18 septembre 2019, les données cumulées de l’OMS font état de 2108 décès sur 3150 cas, avec un taux de mortalité global de 67% depuis le début de l’épidémie. Les données de la cellule Analyse à Goma (ministère de la Santé, CDC, Epicentre) d’août 2019 montre que le taux de mortalité était encore supérieur à 60% ce mois-là et que 43% des décès ont eu lieu dans la communauté.

[2] Le vaccin rVSV-ZEBOV a montré son innocuité et sa haute efficacité contre la souche Zaïre du virus Ebola après une phase III d’essai Clinique en Guinée pendant l’épidémie de 2014-2016. Ce vaccin a été recommandé par le groupe d’experts SAGE (Strategic Advisory Group of Experts on Immunization) pour faire face aux épidémies d’Ebola causées par la souche Zaïre du virus.

[3] En août 2019, le Comité de surveillance et de suivi des données (Data and Safety Monitoring Board –DSMB) pour l’essai clinique de quatre traitements contre virus Ebola, a recommandé l’arrêt de l’étude afin que tous les futurs patients puissent recevoir les traitements REGN-EB3 ou mAb114, car les résultats préliminaires ont indiqué que ces deux médicaments offraient une plus grande chance de survie que les deux autres.

[4] Si l’on se base sur la recommandation de vacciner entre 150 et 200 contacts pour chaque cas confirmé d’Ebola, les 3000 cas confirmés au total auraient dû entraîner la vaccination de 450 000 à 600 000 personnes, soit le double du chiffre actuel. En août 2019, avec 261 cas confirmés, seules 21 000 personnes ont été vaccines (81 personnes par cas confirmé).

Notes

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