El-Geneina : MSF lance un appel à épargner les civils et leur permettre de fuir la ville en sécurité

Les blessés de guerre soudanais fuyant les violences et le conflit à El-Geneina affluent vers l'hôpital d'Adré, au Tchad.
Les blessés de guerre soudanais fuyant les violences et le conflit à El-Geneina affluent vers l'hôpital d'Adré, au Tchad. © Johnny Vianney Bissakonou/MSF

Près de 900 blessés sont arrivés au Tchad. Ils racontent s’être fait tirer dessus et avoir vu des gens mourir en tentant de fuir les violences en cours à El-Geneina.

Alors que près de 900 blessés et 15 000 réfugiés soudanais fuyant la capitale du Darfour occidental et ses environs sont arrivés dans la ville tchadienne d'Adré depuis le 16 juin, Médecins Sans Frontières (MSF) alerte sur les témoignages de personnes ciblées ou tuées pendant leur fuite. MSF demande à tous les acteurs armés présents à El-Geneina et dans ses environs d'épargner la population civile et de permettre à celles et ceux qui souhaitent quitter la zone de le faire sains et saufs.

Après près de deux mois d’isolement et de violences intenses à El-Geneina, située à environ 35 km de la frontière tchadienne, des milliers de personnes tentent à présent désespérément de fuir la ville assiégée.

« Dans la nuit du mercredi 14 juin 2023, le gouverneur du Darfour occidental a été tué. À ce moment-là, nous avons su que la situation allait encore empirer et nous avons collectivement pris la décision de partir avec de nombreux habitants d'El-Geneina », explique Nour, un jeune homme de 25 ans originaire d'El-Geneina, arrivé le jeudi 15 juin à l'hôpital d’Adré. « La plupart des personnes ont d’abord fui à pied en direction du nord-est d'El-Geneina, mais beaucoup ont été tuées sur cette route. Je ne saurais dire combien, mais j'ai vu beaucoup de morts et de blessés gisant sur le sol. Il ne nous restait alors plus qu'à nous diriger vers l'ouest. Les gens ont commencé à marcher vers Adré, au Tchad, mais le voyage était très dangereux, car nous étions pris pour cibles. Jeudi à 11 heures, alors que je marchais près de la ville de Shukri, un homme m'a tiré une balle dans le visage, mais Dieu merci, j'ai survécu et je suis soigné ici, à l'hôpital d'Adré. »

Les tirs ne sont pas le seul danger sur la route pour les personnes risquant le tout pour le tout pour fuir El-Geneina. Le 15 juin, vers midi, Salma*, 18 ans, et ses deux sœurs, tentaient d’échapper au chaos de la ville. Leur fuite a été brusquement interrompue par six hommes armés à bord d’un bus qui ont arraché Soadd* à ses sœurs terrifiées et l’ont violée. « Ils l'ont gardée un certain temps à l'intérieur, puis ils l'ont jetée hors du bus et sont partis. Ma sœur n'a que 15 ans », déclare Salma. Aujourd’hui, la vie de Soadd est encore en danger alors qu’elle reçoit des soins d’urgence à l’hôpital d’Adré. Les trois sœurs sont traumatisées par les violences qu'elles ont subies, mais sont aussi angoissées d'être séparées de leurs parents en cette période difficile. Elles n'ont plus de contact avec eux. Leur mère se trouve à Nyala et elles ne savent pas où est leur père.

Depuis près de deux mois, El-Geneina, la capitale de l'État du Darfour occidental, est en proie aux combats. Les affrontements qui ont éclaté le 15 avril entre les forces armées soudanaises (SAF) et les forces de soutien rapide (RSF) à Khartoum se sont étendus à d'autres états. Depuis, le conflit a dégénéré à El-Geneina, les violences intercommunautaires impliquant des jeunes des tribus Masalit et Arabes ayant jeté de l'huile sur le feu.

« Les violences se sont intensifiées, les gens vivent dans la peur constante d'être pris pour cibles », explique Konstantinos Psykakos, coordinateur de projet de MSF, qui revient d’Adré, près de la frontière avec la ville d'El-Geneina, où il a attendu pendant deux mois de pouvoir accéder à la ville, en vain.

Après être arrivés à l’hôpital d’Adré, au Tchad, les patients racontent des massacres, des déplacements de population massifs, des pillages, des femmes obligées de fuir seules avec leurs enfants, et des cadavres dans les rues.

Nour se souvient de la difficulté de survivre à El-Geneina au cours des dernières semaines : « Personne n'avait le droit d'entrer ou de sortir. Nous n'avions pas d'eau potable à boire, car les groupes armés avaient détruit le réseau. Les gens allaient chercher de l’eau dans des cours d'eau, mais des snipers leur tiraient dessus. Puis des hommes sont arrivés en pick-up et à moto dans les quartiers, armés de mitrailleuses et de canons aériens fixés sur les voitures. Ils tuaient tous ceux qu'ils voyaient, pillaient les maisons et incendiaient les quartiers. »

Salima, 27 ans, originaire d'El-Geneina, s'est échappée seule avec ses cinq filles et ses deux garçons après avoir reçu une balle dans la jambe droite qui lui a causé de multiples fractures, alors qu’elle marchait dans une rue près de sa maison. « C'est arrivé il y a deux jours, le mercredi 14 juin 2023, et hier, un homme m'a transportée avec mes enfants dans son pick-up jusqu'à Adré, au Tchad. Je ne veux pas rentrer chez moi, ce qui s’y passe est impensable, des hommes et des garçons sont tués. Parfois les hommes armés laissent les femmes s'enfuir, parfois non », rapporte Salima. Elle n’a plus de nouvelles de son mari depuis son accident et ne sait pas où il se trouve.

MSF appelle toutes les parties au conflit à El-Geneina et aux alentours à épargner les civils, les infrastructures essentielles et à laisser les personnes qui veulent quitter la ville en sécurité. MSF lance également un appel urgent pour que les équipes humanitaires puissent accéder à la ville et fournir des soins aux blessés et aux malades.

* Les noms ont été changés

Notes

    À lire aussi