L’Organisation mondiale de la santé estime à quinze millions - soit environ une personne sur cinquante - le nombre de patients souffrant d’une infection chronique causée par le virus de l’hépatite C en Europe, et à 112 500 le nombre de décès résultant d’un cancer du foie ou d’une cirrhose liés à cette maladie chaque année. À travers le monde, environ 70 millions de personnes vivent avec cette pathologie. MSF soigne des personnes infectées par le virus dans onze pays, dont le Cambodge, le Pakistan et l’Ukraine.
L’arrivée de nouveaux médicaments contre l’hépatite C – appelés antiviraux à action directe (AAD) constitue une avancée majeure dans le traitement de cette maladie en comparaison des médicaments précédents : des taux de guérison de plus de 90% contre 50% auparavant et une cure plus rapide. Le sofosbuvir est le composant essentiel de la plupart des combinaisons thérapeutiques contre l’hépatite C. Pourtant, l’accès à ces nouveaux traitements reste très limité au niveau mondial en raison des prix élevés, qui forcent les gouvernements et les professionnels de santé de nombreux pays à les rationner et à en limiter l’accès aux seules personnes qui sont à des stades avancés de la maladie.
« J’ai passé trois années terribles à attendre pour avoir enfin accès au sofosbuvir », raconte Clare Groves, membre de l’association Just Treatment au Royaume Uni, qui a été traitée avec succès contre l’hépatite C. Le service public anglais de santé a été forcé de rationner l’accès à ce médicament en raison du prix élevé. « Mon médecin me répétait que j’étais malade, mais pas assez pour avoir droit au traitement du programme public de santé. Je ne veux pas que d’autres personnes se voient refuser l’accès au sofosbuvir à cause de son prix exorbitant, c’est pourquoi je continuerai à me battre pour l’accès au traitement contre l’hépatite C ».
Gilead a fixé jusqu’à 43 000 € le prix pour un traitement de 12 semaines au sofosbuvir en Europe. Dans le même temps, les pays où le médicament n’est pas breveté ont pu baisser le prix de la cure de sofosbuvir à moins d’une centaine d’euros grâce à la concurrence entre les producteurs de médicaments génériques. Des études ont démontré que la fabrication du médicament coûte moins de 1 euro par comprimé.
Pour la première fois en Europe, l’opposition de la société civile face à de telles pratiques a permis d’attirer l’attention sur cette injustice, à la fois sur les budgets de santé et sur l’accès des populations à des médicaments essentiels. Des oppositions contre les brevets du sofosbuvir et d’autres AAD ont été déposées dans plusieurs pays, et des brevets importants du sofosbuvir ont déjà été révoqués en Egypte, en Chine et en Ukraine. Des décisions sont attendues sur ce sujet dans d’autres pays, notamment l’Argentine, le Brésil, la Russie et la Thaïlande.
« Médecins Sans Frontières (MSF) est témoin au quotidien des conséquences des monopoles sur les médicaments essentiels qui restreignent l’accès », déclare Gaelle Krikorian, responsable de la « Campagne d'Accès aux Médicaments Essentiels » de Médecins Sans Frontières. « MSF a pu élargir la prescription du traitement pour les personnes vivant avec l’hépatite C dans les pays comme le Cambodge et l’Inde uniquement une fois que les génériques de qualité à des prix raisonnables ont été disponibles. Il est grand temps que l’OEB et les offices de brevets du monde entier examinent de plus près l’attribution de monopoles sur les médicaments et reconnaissent l’impact négatif que les brevets injustifiés ont sur la santé des personnes. La révocation du brevet de Gilead permettrait de lever le monopole en Europe, ouvrant la voie à l’accès à des versions génériques et abordables. Cela enverrait aussi un signal fort aux autres pays pour qu’ils contestent des brevets injustifiés quand la santé et la survie des populations est en jeu » conclut Gaelle Krikorian.