Dans le Nord du Mozambique, la population civile prise entre deux feux

Camp de déplacés d 25 de Junho  - Cabo Delgado
Camp de déplacés du 25 de Junho  - Cabo Delgado © Amanda Bergman/MSF

Depuis trois ans, la province de Cabo Delgado, dans le Nord du pays, est ravagée par des combats entre l’armée du Mozambique et le groupe armé Al Shabaab. La population encore présente dans la région est exposée aux violences extrêmes et aux combats entre ce groupe et l’armée mozambicaine. Et l’aide peine à attendre les 500 000 personnes déplacées dans les régions environnantes. Caroline Gaudron, conseillère aux opérations MSF sur place, revient sur la situation dans cette région.

Chaque jour, à Pemba, la capitale de la province où MSF intervient, les équipes voient arriver par bateaux, camions ou à pied des centaines, parfois des milliers de personnes qui fuient les violences. Elles ont tout laissé derrière elles pour rester en vie. Les “Shebab”, membres d’un groupe armé actif dans la zone depuis 2017, ont attaqué leurs villages, brûlé leurs maisons, emporté leurs maigres possessions. Le quotidien des habitants, pris entre deux feux, n'est fait que d'embuscades, d’assassinats, de pillages et d'enlèvements.

« J'ai perdu ma sœur et mon neveu. Ils ont été décapités, se souvient Sufo, déplacé dans le camp du 25 de Junho. Pour lui, retourner dans son village n'est pas envisageable. Nous ne sommes pas en sécurité. Je peux aller n'importe où tant que je ne retourne pas chez moi. » 

La population victime de violences extrêmes

Un demi-million de personnes ont déjà fui, mais nombreux sont ceux qui ne peuvent pas quitter leur village. Certains sont privés d'électricité depuis des mois. Les bâtiments administratifs, les écoles et les centres de santé sont fermés depuis plus longtemps encore. Tout déplacement pour récolter ou cultiver est un tel risque que peu l’entreprennent.

L'accès aux soins y est quasiment impossible. Le personnel de santé n'a pas été épargné par la violence : les groupes armés ont attaqué en mai dernier le centre de santé du district de Macomia où MSF travaillait. Certains membres du personnel qui étaient chez eux au moment de l'attaque ont dû s'enfuir avec leur famille dans la brousse, d'autres présents dans le centre ont dû fuir sans leur famille et se cacher. Ils ont assisté, impuissants, à l’incendie de leurs maisons. Il a fallu plusieurs jours pour que certains d'entre eux arrivent à Pemba dans un état parfois critique. 

Lorsque la population peut fuir, elle laisse tout derrière elle. La plupart des personnes qui partent sont des femmes et des enfants. Au péril de leur vie, ils marchent le plus souvent plus de 200 km, se cachant pour éviter les membres des Shebab qui pourraient les prendre pour cible et les soldats mozambicains qui pourraient les prendre pour des insurgés. Les deux factions portent le même uniforme et sont presque impossibles à distinguer.

« Rentrer chez moi est un grand rêve, j’en rêve tous les jours, raconte Jorge qui vit dans le camp du 25 de Junho depuis qu'il a été forcé de quitter sa maison à Quissanga, après l'attaque de son village par un groupe armé le 24 septembre 2020. Tout le monde a quitté le village ou s'est caché dans les buissons. Certains ont réussi à partir à pied pendant la nuit. D'autres ont essayé de retrouver les membres de leur famille... de savoir où ils étaient, si leurs enfants avaient tenté de s'échapper. Moi je ne suis parti que 3 jours plus tard, je cherchais ma famille. »

Parfois, les gens parviennent à voyager en chapa - taxis collectifs - ou en camion, entassés, aux côtés de paquets et d'animaux. D'autres choisissent d'embarquer sur un bateau de pêche qui menace à tout moment de couler sous le poids de ses trop nombreux passagers. Mais ces transports ne les protègent pas des attaques ni du danger. Le 1er novembre dernier, 40 personnes se sont noyées lorsqu'un bateau surchargé a heurté des rochers et coulé entre les îles Ibo et Matama. D'autres bateaux ont pu sauver 32 des passagers.

Dans les camps, les besoins humanitaires sont immenses

Et lorsqu'elles arrivent à Pemba ou dans les villes voisines, c'est pour y trouver un dénuement et une misère totale. Certaines personnes y sont accueillies par des parents ou amis, mais la grande majorité n'a pas cette chance. 

Des milliers de personnes se retrouvent dans des camps de fortune : écoles qui se remplissent rapidement, campements improvisés autour, sous des bâches en plastique ou des tentes occupées par plusieurs familles. Les installations sanitaires sont insuffisantes, et le manque d'eau potable est dramatique. Ces conditions favorisent les risques de transmission de maladies comme le choléra, la rougeole et la Covid-19 et l'arrivée de la saison des pluies fait craindre une flambée de paludisme. Sans parler des personnes atteintes de maladies chroniques, telles que le VIH, qui ne peuvent pas obtenir de médicaments.

Camp de déplacés 25 de Junho - Cabo Delgado
 © Amanda Bergman/MSF
Camp de déplacés 25 de Junho - Cabo Delgado © Amanda Bergman/MSF

Pour répondre à une partie de ces besoins, MSF intervient dans le camp de déplacés du 25 de Junho et offre des soins de santé primaire. Les équipes interviennent également dans le domaine de l'eau et de l'assainissement depuis octobre 2020 et ont lancé un programme de santé mentale depuis décembre. 

Dans d'autres parties de la province de Cabo Delgado, notamment à Pemba, Montepuez, Meluco et Balama, nos équipes gèrent des cliniques mobiles, restaurent les systèmes d'eau et construisent ou remettent en état des latrines et des forages.

Aucune de ces villes n'a les infrastructures ou les ressources nécessaires pour faire face à l'afflux de personnes déplacées : leurs champs ne produisent pas assez de nourriture, l'eau est rare, les installations sanitaires locales sont débordées. Malgré les efforts des autorités locales et l'intervention d'ONG locales et internationales, les besoins urgents sont loin d'être couverts.

« Je ne me sens pas en sécurité. Je n’ai pas de nourriture, sauf celle qui nous est donnée par les autorités. Je n’ai pas d’habits. Je n’ai pas d’ustensiles de cuisine, ni de tente pour me protéger de la pluie. J’ai besoin au moins de quelques bâches en plastique pour m’abriter du froid », explique Fatima, 80 ans, qui vit depuis trois mois dans le camp du 25 de Junho.

Face à l'ampleur des besoins des populations, l'aide reste à ce jour insuffisante. Pour pouvoir en augmenter rapidement l’acheminement, il est impératif que la communauté internationale reconnaisse l’urgence de la crise à Cabo Delgado, et que le gouvernement mozambicain facilite la réponse des organisations humanitaires.

Notes

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