Dès l’annonce du cessez-le-feu illimité, les rues de Gaza, jusque là seulement parcourues par d’héroïques ambulanciers, se sont emplies d’une foule en liesse. Puis sans attendre, les étudiants reprennent les cours, les commerces leur activité et les pêcheurs, la mer. La population de l’enclave sort pourtant hébétée de 50 jours de stress intense, et découvre une agglomération mutilée. Les centaines de milliers de déplacés qui s’étaient abrités dans les écoles ou dans les hôpitaux regagnent leur domicile, quand il existe encore. Si la ville de Gaza a été relativement épargnée, certains quartiers tels que Beit Hanoun et Shejaaia sont presque anéantis.
Les habitants s’entassent désormais à plusieurs dizaines dans des logements conçus pour une seule famille, sans eau courante ni électricité. « Nous constatons maintenant une augmentation des accidents domestiques comme les brûlures ou les électrocutions, directement liés à la dégradation de l’habitat » explique le Dr Abu Abed, référent médical de Médecins Sans Frontières à Gaza.
MSF apporte son soutien à l’hôpital Al-Shifa, la plus grande structure hospitalière de Gaza, depuis le début des affrontements. Dr Kelly Dilworth, anesthésiste pédiatrique, témoigne : « Le plus difficile était d’enchaîner les nuits blanches pour prendre en charge les blessés graves qui arrivaient par dizaines, sans savoir quand tout cela allait s’arrêter. Nos collègues palestiniens font un travail fantastique mais là, c’était trop. »
Les équipes peinent encore à prendre un repos mérité. « Les blessés les plus atteints vont nécessiter plusieurs dizaines d’opérations dans les mois qui viennent » raconte le Dr Jan Swinnen, chirurgien vasculaire. « Il y a beaucoup de polytraumatisés qui cumulent des membres déchiquetés, des brûlures graves, des lésions internes, des problèmes neurologiques, sans même parler de l’aspect psychologique. » Le corps médical palestinien est aussi victime du blocus, et dans l’incapacité de se maintenir à niveau sur de nombreuses spécialités, comme par exemple la chirurgie plastique reconstructrice.
Près de 200 patients sont déjà admis dans la clinique de soins postopératoires gérée par MSF depuis 2007 dans le centre ville de Gaza. Une deuxième est en cours d’ouverture à Khan Yunis, 20 kilomètres plus au sud, où les besoins sont similaires. Les salles de pansements et de physiothérapie ne désemplissent pas. Tous les deux jours, Amal Daban y amène son fils de 5 ans dont les blessures nécessitent des soins spécialisés. Le petit Mohammad a vu le mur de sa chambre s’écrouler sur lui après un tir d’obus, et lui briser le fémur. Il sera bientôt évacué vers l’Allemagne afin de bénéficier d’une ostéosynthèse, opération trop peu pratiquée à Gaza au regard de l’énorme demande. Mais peu de patients ont cette chance.
Plus de 500 décès d’enfants on été recensés au cours de l’opération « bordure protectrice », sur un total supérieur à 2 000 morts. Les séquelles psychologiques des survivants sont palpables, entre agitation anormale et profond mutisme. Bisan Daher, sept ans, vivait à Shejaaia avec ses parents, trois frères et deux sœurs. Le 21 juillet, un missile aérien a frappé leur immeuble. Secourue après plus de six heures enfouie sous les gravats, elle est l’unique survivante. Sa blessure au front n’inquiète plus vraiment les médecins mais la gamine silencieuse demeure l’objet de toutes leurs attentions. « Je ne peux m’empêcher de pleurer en pensant à elle. Je vois ma propre fille », dit d’une voix brisée Mohammad Wadi, infirmier depuis sept ans avec MSF à Gaza.
« Dans n’importe quel autre conflit, les civils se seraient réfugiés en masse dans un pays voisin » analyse Nicolas Palarus, responsable des activités de MSF pendant toute la durée des combats. « A Gaza, il n’y a nulle part où aller se mettre en sécurité. Tout le monde devient une cible potentielle, d’où la forte proportion d’enfants parmi les victimes. »
Les Palestiniens de Gaza sont désormais condamnés à reconstruire leur propre prison dont même le ciel, clos par un essaim de drones bourdonnant, n’est pas ouvert. Le mince tissu industriel local, construit en grande partie le long de la frontière avec Israël, a été durement frappé. L’impact économique est lourd en termes de production et d’emploi et va encore renforcer la dépendance vis à vis de l’extérieur.
Si chacun profite de ce répit tant attendu, le pessimisme semble général. Pour Nicolas Palarus : « Rien n’est résolu sur le plan politique et la précarité de la situation à Gaza s’est encore aggravée. Dans l’esprit des gens, ce n’est pas une période d’après-guerre qui s’ouvre, mais plutôt d’entre-deux-guerres. »
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