Urgence Gaza/Liban

Gaza : un rapport de MSF dénonce la campagne
de destruction totale menée par Israël

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« Il fallait faire quelque chose » : 20 ans de lutte pour l’accès aux médicaments essentiels

À New York, le 12 novembre 2015, à l'occasion de la Journée mondiale de la pneumonie, les volontaires de MSF ont  remis plus de 17 millions de dollars en fausse monnaie - l'équivalent d'une journée de bénéfices tirés des vaccins contre la pneumonie pour Pfizer - au directeur général de Pfizer, Ian Read. Le même jour, MSF a lancé une pétition mondiale demandant à Pfizer et à GlaxoSmithKline (GSK) de réduire le prix du vaccin contre le pneumocoque à 5 dollars par enfant (pour les trois doses) dans les pays en
À New York, le 12 novembre 2015, à l'occasion de la Journée mondiale de la pneumonie, les volontaires de MSF ont  remis plus de 17 millions de dollars en fausse monnaie - l'équivalent d'une journée de bénéfices tirés des vaccins contre la pneumonie pour Pfizer - au directeur général de Pfizer, Ian Read. Le même jour, MSF a lancé une pétition mondiale demandant à Pfizer et à GlaxoSmithKline (GSK) de réduire le prix du vaccin contre le pneumocoque à 5 dollars par enfant (pour les trois doses) dans les pays en développement. © Edwin Torres

Lancée en 1999, la campagne pour l’accès aux médicaments a permis des avancées décisives. Le Dr. Bernard Pécoul , l’un des principaux fondateurs et son premier directeur, et Dr. Els Torreele, son actuelle directrice générale, évoquent dans cet entretien les débuts de cette initiative et les raisons qui la poussent aujourd’hui à continuer son combat en faveur de l’accès aux médicaments. 

Qu’est-ce qui a poussé MSF à lancer la Campagne d’accès aux médicaments essentiels ?

Bernard Pécoul : Les besoins médicaux non satisfaits sur le terrain nous ont poussés à réfléchir à un moyen de surmonter les obstacles qui entravaient l’accès à de meilleurs traitements pour les patients.

Par exemple, dans les années 1980-90, MSF a été confrontée à la maladie du sommeil en Ouganda. Nous savions que les traitements existants, à base d’arsenic, étaient hautement toxiques et tuaient même 5% des patients. Mais nous n’avions pas le choix car sans eux, la maladie était mortelle dans 100% des cas ! Il existait une solution bien plus viable, mais ce médicament n’était plus produit, donc nos programmes sur le terrain ne pouvaient y avoir accès.

Pour les autres maladies, telles que la leishmaniose viscérale, la méningite, la shigellose, nous faisions face à une pénurie de produits, ou à un manque d’accès aux produits, ou aux deux. Après le 25ème anniversaire de MSF en 1996, nous avons créé un groupe de travail pour en comprendre les causes.

Els Torreele :  Non seulement par nécessité médicale, mais aussi par frustration. Le personnel de MSF sur le terrain faisait face à de nombreux enjeux – incapable de fournir des traitements adéquats aux personnes mourant du VIH/Sida, de la tuberculose, du paludisme et de maladies tropicales négligées parce que les nouveaux médicaments ou médicaments existants étaient hors de portée, inefficaces, toxiques, non adaptés à nos lieux de travail, ou simplement n’existaient pas.

Nous savions qu’il fallait faire quelque chose. Mais quoi ? Et comment ?

Bernard Pécoul : La première étape consistait à comprendre exactement où se trouvaient les problèmes et à accumuler l’expertise nécessaire pour faire face et surmonter les entraves à l’accès et à la R&D [recherche et développement] – c’était le rôle de la Campagne.

Els Torreele : Ces lacunes n’étaient pas dues à des limites scientifiques ou techniques. Elles résultaient de choix politiques conscients sur la manière d’organiser et de financer l’innovation médicale et l’accès aux moyens de santé à l’échelle mondiale. Ancrée dans un système économique et politique mis en avant par des gouvernements riches, l’industrie pharmaceutique multinationale exerce un pouvoir incontrôlé sur les prix par le biais de brevets et d’autres monopoles imposés au niveau mondial par des lois commerciales privilégiant les bénéfices à la santé des personnes. « Les médicaments ne devraient pas être un luxe » est, et reste, le cri de ralliement le plus poignant de la Campagne.

Quels changements a suscité la création de la Campagne pour MSF ?

Bernard Pécoul : En tant qu’organisation médicale, MSF ne remettait pas en cause les contextes politique et juridique qui régissaient l’accès aux médicaments. Nous nous occupions de l’aspect logistique et avions réalisé de grandes avancées dans la fourniture de médicaments et de vaccins sur le terrain, nous savions comment nous les procurer et les fournir. Mais il fallait qu’on trouve une solution pour les situations où nous ne pouvions ni acheter ni fournir de médicaments !

Prenons le VIH par exemple : il était clair que la propriété intellectuelle constituait un enjeu majeur, et que la tarification des traitements était bien trop élevée. Il était urgent d’éliminer les barrières liées à la propriété intellectuelle. Mais dans le cas de la maladie du sommeil ou de la leishmaniose, le problème, c’était le manque de R&D. On ne peut pas résoudre les problèmes de propriété intellectuelle et de R&D avec les mêmes outils. La Campagne est la structure qui a permis de comprendre les problèmes en profondeur, et de proposer des solutions.

En cela, nous sommes tous redevables à Jacques Pinel. C’était mon mentor, il est la raison pour laquelle je me suis posé tant de questions sur le sujet.

Quelles ont été les premières réussites de la Campagne d’accès aux médicaments essentiels ?

Bernard Pécoul : Nous débarrasser du traitement toxique contre la maladie du sommeil a été notre premier succès. Lors d’un voyage aux États-Unis, j’ai vu à la télévision une publicité pour une crème de réduction de la pilosité contenant de l’éflornithine, médicament que nous tentions de nous procurer depuis de nombreuses années, sans succès.

 

Alors que des malades exposés au risque de décès étaient privés d’accès à ce médicament essentiel, il était disponible à la vente sous forme cosmétique !

Nous avons porté cette histoire à la connaissance de journalistes du New York Times et de 60 Minutes [programme d’information télévisé américain]. Cela a été le début d’un long processus, qui a mené à d’immenses progrès dans le traitement de la maladie du sommeil.

La Campagne a également été leader dans la lutte contre le paludisme. Dans les années 1990, nos équipes sur le terrain ont commencé à constater que la chloroquine n’était pas efficace. Mais il y avait de la réticence à faire bouger les choses. MSF et Épicentre [branche de recherche de MSF] ont mené une série d’études pour documenter cette résistance, et c’est de là que le slogan « ACT NOW » (agissons maintenant) a été créé, en faveur d’un changement de traitement et de la mise à disposition de combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA, ou ACT en anglais) partout dans le monde. Cette campagne a fait pression sur l’Organisation mondiale de la santé et mené à l’adoption de ces combinaisons thérapeutiques.

Pour le VIH, la Campagne a également fait avancer les choses. En externe, elle a milité pour réduire le prix du traitement de 12 000 dollars par an à un dollar par jour. En interne, cela a fortement contribué à réduire la réticence de MSF à soigner le VIH, car cela paraissait désormais faisable. Et en tant que délégué principal d’un groupe d’experts idéalistes favorables au changement, la Campagne a également mené à la création du DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative – organisation de recherche visant à concevoir de nouveaux traitements contre les maladies négligées). Après avoir étudié les problèmes du côté de la R&D, nous nous sommes rendu compte que pour élaborer des solutions, nous devions créer une initiative à part, qui puisse présenter un modèle alternatif, une manière différente de penser la R&D, et proposer des solutions efficaces. Les succès du DNDi sont également ceux de la Campagne !

Els Torreele : D’autres succès ont suivi, de l’accroissement de l’accès aux tests de dépistage rapide et aux combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine pour le traitement du paludisme, à la diminution des prix pour le vaccin pneumococcique conjugué et les médicaments contre l’hépatite C, en passant par la promotion de la recherche et du développement (R&D) pour les maladies les plus négligées – y compris la création de la DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative), qui célèbre aujourd’hui le lancement du fexinidazole, nouveau traitement entièrement par voie orale contre la trypanosomiase africaine.

Chaque avancée reflète la nature multidisciplinaire unique de la Campagne. Notre personnel combine les analyses techniques et politiques basées sur les données médicales de MSF et son expérience opérationnelle, avec la promotion stratégique en partenariat avec nos alliés à travers le monde – pour fournir des outils sanitaires adéquats aux populations qui les nécessitent le plus, et initier un changement systémique global pour ne pas devoir mener sans cesse les mêmes luttes d’accès.

Jacques Pinel, pionnier de la logistique humanitaire

Jacques Pinel, décédé en 2015, était un pilier de MSF depuis 1979. Pharmacien de formation, il a joué un rôle clé dans la mise en place de mesures logistiques, pharmaceutiques et médicamenteuses, notamment de lignes directrices et de kits d’urgence. Dans les années 1990, il a joué un rôle essentiel au sein du mouvement qui allait devenir la Campagne d’accès aux médicaments essentiels de MSF.

© Ludovic Weyland

Vingts ans plus tard, où en sommes-nous ?

Els Torreele : Malheureusement, même si nous avons remporté certains combats, les enjeux d’accès aux médicaments sont plus importants que jamais, car de nombreux médicaments, tests de dépistage et vaccins sont vendus à des prix de plus en plus élevés, les monopoles sont plus enracinés et le pouvoir des sociétés pharmaceutiques plus mondialisé que jamais. Sans compter que nous ne disposons pas des outils nécessaires pour maîtriser une résistance aux antimicrobiens de plus en plus forte, et faire face à d’importantes épidémies telles qu’Ebola.

Mais cette situation nous offre également de nouvelles opportunités. La crise de l’accès aux médicaments et de l’innovation ne concerne plus seulement les « populations pauvres » des pays en développement, mais le monde entier. Notre slogan « Les médicaments ne devraient pas être un luxe » s’applique à toutes les populations du monde, et la quête de solutions est un sujet de débat public et politique pour les pays riches comme pour les pays en développement.

« Les médicaments ne devraient pas être un luxe. » 
 © CAME
« Les médicaments ne devraient pas être un luxe. »  © CAME

Dans un monde en constante mutation, nous militons en faveur d’une R&D médicale et d’un accès aux médicaments axés sur les besoins qui relèvent de la responsabilité collective, les résultats de cet effort concerté étant considérés comme un bien commun en matière de santé publique, assortis d'un droit d'usage collectif. Étant donné que la R&D médicale est largement financée par des fonds publics, il est inacceptable que des monopoles incontrôlés privatisent et financent ce progrès scientifique commun, tandis que les systèmes de santé publique croulent sous le poids financier et que des malades succombent au manque de médicaments. L’accès à la santé, notamment aux médicaments, est une question de justice, et non de charité.

Ce vingtième anniversaire de la CAME est l’occasion de nous pencher sur ses enseignements, de réfléchir à cette nouvelle réalité, et de trouver de nouvelles façons pour MSF de transformer l’écosystème de l’innovation médicale et de l’accès aux traitements afin de mieux répondre aux besoins des personnes que nous soignons.

Notes

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