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Méditerranée : 15 jours à la dérive, 7 jours sans vivres, 6 morts, les survivants témoignent

Un bateau vide en mer Méditerranée, après un sauvetage effectué en juillet 2022 par les équipes MSF à l'aide du Geo Barents. 
Un bateau vide en mer Méditerranée, après un sauvetage effectué en juillet 2022 par les équipes MSF à l'aide du Geo Barents.    © Lorène Giorgis/MSF

Les 13 et 14 septembre, à Pozzallo en Sicile, une équipe MSF a prodigué des soins de premiers secours psychologiques à 26 personnes ayant dérivé pendant 15 jours en Méditerranée, avant d’être finalement secourues et ramenées à terre. Après leur départ des côtes turques, leur embarcation est tombée en panne et elles ont rapidement manqué d'eau et de vivres. Six personnes sont mortes : trois enfants, deux femmes et un homme. L'équipe MSF a recueilli le témoignage des survivants.

« Lorsque nous sommes arrivés au centre d'accueil de Pozzallo, de nombreux survivants étaient encore sous le choc, certains ne comprenaient pas qu'ils étaient sur la terre ferme », explique la psychologue Mara Tunno, membre de l’équipe MSF de premiers secours psychologiques en Italie. Les survivants, tous syriens et afghans, ont pris la mer le 28 août et n’avaient plus rien à manger ou à boire après huit jours en mer.

« À bord, il y avait un homme accompagné de deux très jeunes enfants qui étaient sur le point de mourir de faim, détaille l’un des rescapés. Je leur ai offert un peu de ma nourriture pour les aider à se maintenir en vie. Malgré cela, les enfants sont morts. À un moment, ma femme aussi s'est sentie très faible, et j'étais convaincu qu'elle allait mourir. J'ai pensé à la nourriture que j'avais donnée à ces enfants, qui ne les avait pas sauvés, et qui ne pouvait plus nourrir ma femme. Je n'ai pas regretté mon action, même si je pensais que j'aurais peut-être pu sauver ma femme avec cette nourriture. Je me suis couvert le visage avec une chemise pour que personne ne puisse me voir pleurer. »

Après que le moteur s’est arrêté, le bateau a dérivé vers la Libye. Les passagers sont restés des jours durant entièrement exposés au soleil. « Après avoir vu plusieurs personnes mourir à bord, nous nous sommes tous demandé quand viendrait notre tour, raconte un autre rescapé. Nous avons commencé à prier. Une personne s'est couvert le visage avec ce qu'il a pu trouver. Il se préparait à mourir. Il nous a donné le peu d’argent qu’il avait dans ses poches en nous disant d’en faire bon usage. Nous lui avons alors dit : "Tu survivras, nous ne mourrons pas" ».

Désespérés, les naufragés ont commencé à boire de l’eau de mer, en essayant de la filtrer avec leurs vêtements. « Nous avons essayé de la mélanger avec du dentifrice, en pensant que ça pouvait l’adoucir. Nous avons aussi commencé à boire l’eau du moteur. Je savais que cela pouvait nous tuer, mais nous n’avions pas le choix », explique un Syrien, qui travaillait comme mécanicien en Turquie avant de prendre la décision de rejoindre l’Europe pour le bien de sa femme et de ses enfants. Certaines personnes à bord avaient besoin d'eau pour avaler des médicaments vitaux. « Regardez combien de pilules j'avais avec moi, témoigne un homme atteint d'épilepsie. Ma gorge était si sèche que je ne pouvais pas les avaler. »

L'une des personnes décédées était une femme âgée souffrant d'hypertension, sans que l’on sache si sa mort est liée à l'impossibilité de prendre ses médicaments. Un Syrien, également décédé, avait besoin de soins médicaux qu’il ne pouvait pas recevoir en Turquie. Après plusieurs années dans ce pays, il avait décidé de prendre la mer avec sa fille, qui travaillait comme interprète dans un hôpital. Un enfant de 11 ans est également décédé. Il voyageait sans ses parents. Les corps des défunts ont été traités selon les traditions religieuses, puis jetés par-dessus bord. « Au bout de trois ou quatre heures, leurs corps commençaient à sentir mauvais à cause du soleil et de la chaleur, raconte un rescapé. Nous avons prié, lavé leurs corps avec de l'eau de mer et essayé de les couvrir avec ce que nous avions sous la main. »

Alors qu'ils continuaient à dériver, les survivants ont été dépassés par un certain nombre de navires de taille plus importante. Chaque fois que cela s'est produit, le groupe s’est senti porté par l’espoir d’un sauvetage, avant de réaliser que les navires ne faisaient que passer. « Un seul navire s’est approché de nous. L’équipage a jeté de la nourriture et des bouteilles dans notre direction, mais tout est tombé à l’eau, hors de notre portée. Cela a anéanti nos espoirs de survie », témoigne un rescapé.

Après 15 jours en mer, dont 7 jours sans eau ni nourriture, les survivants ont finalement été secourus par un navire marchand, puis transférés sur un navire des garde-côtes italiens et débarqués à Pozzallo. « Quand le navire marchand a été assez près de nous, j'ai sauté à l'eau, raconte un rescapé. Je ne sais pas où j'ai trouvé la force, mais j'ai sauté pour essayer d'atteindre ce bateau. Pendant que j'étais dans l'eau, j'ai croisé le regard d'une personne à bord et, à son regard, j'ai réalisé qu’il avait un cœur. C'est comme ça que ça s'est passé, le bateau a fait demi-tour et nous a aidés. Ils nous ont donné des œufs, des pommes de terre, des légumes et de l'eau. Nous avons finalement été sauvés. »

Une fois sur la terre ferme, certains rescapés de l’embarcation à la dérive continuent de ressentir une anxiété profonde, comme ce jeune homme de 17 ans qui a « peur d’être expulsé et d’avoir vécu toutes ces horreurs pour rien. » Depuis le début de l’année, plus de 1 000 personnes seraient mortes ou portées disparues en Méditerranée et plus de 15 000 personnes auraient été interceptées par les garde-côtes et renvoyées en Libye. Ces situations d’horreur et ces morts inacceptables sont les conséquences des décisions politiques européennes qui visent à protéger les frontières plutôt que les vies humaines.

Notes

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