Mozambique : « des vies ensevelies », le témoignage d’une volontaire MSF

Destructions à proximité de la ville de Buzi. Mozambique. 2019.
Destructions à proximité de la ville de Buzi. Mozambique. 2019. © Giuseppe La Rosa/MSF

La coordinatrice médicale de MSF, Ana Leticia Nery, revient sur les histoires de ceux qui ont réchappé au cyclone Idai et sur les souvenirs de ceux qui ont tout perdu.

Rien ne symbolise mieux que les arbres les destructions causées par le cyclone Idai au Mozambique. Abattus, brisés, sans feuilles, ils témoignent de la force des éléments qui ont mis à terre des arbres parfois centenaires.

De manière inattendue, ces arbres ont aussi servi de radeaux de sauvetage. Dans des zones rurales ou en milieu urbain, des gens se sont réfugiés sur leurs branches alors que le niveau de l’eau montait et recouvrait les toits, dans l’attente de secours qui parfois ne sont jamais venus. Après avoir nagé désespérément vers des rivages sûrs, les gens m’ont dit leur déception en constatant que leur survie ne tenait pas à la bonté du ciel ou au courage, mais au hasard qui les avait amenés à s’accrocher à une branche plutôt qu’à une autre.

Les eaux marécageuses

Au-delà des arbres, de plus petits détails disent d’autres histoires. Dans la mer de boue que sont devenues certaines zones rurales, je suis perplexe face à un groupe de personnes qui marchent en rond en regardant le sol. Je comprends quand je vois quelqu’un se baisser pour déterrer quelque chose d’essentiel, invisible à mes yeux : des photos de famille, un tee-shirt, le miroir préféré d’une femme. Autant de souvenirs d’une vie qui a été ensevelie sous la pluie.  

Dans le district de Nhampoca, les rivières sont sorties de leurs lits. Un mois après le passage du cyclone, les eaux n'avaient pas encore reflué. Mozambique. 2019.
 © Ana Nery/MSF
Dans le district de Nhampoca, les rivières sont sorties de leurs lits. Un mois après le passage du cyclone, les eaux n'avaient pas encore reflué. Mozambique. 2019. © Ana Nery/MSF

En chemin sur la route conduisant au centre de santé de Nhampoca, je suis arrêtée par deux hommes âgés. « Le docteur peut-il venir voir quelque chose avec nous ? », me demandent-ils. Je sors mon matériel médical de mon sac à dos, prête à voir un patient malade. Mais alors que j’arrive près de la rivière, je suis étonnée en voyant des hommes rassemblés de manière solennelle autour de quelqu’un ou de quelque chose.

Je les écarte doucement et je vois sur la boue les affaires d’une personne qui racontent une histoire : une robe dont les couleurs autrefois vives se sont ternies et ont pris une teinte marron, des mains flasques décolorées par les eaux marécageuses. « J’arrive trop tard, nous sommes arrivés trop tard, je regrette, je ne peux rien faire. » Ils hochent la tête en silence.

Vulnérables au paludisme

Les gens s’alignent pour les consultations médicales de l’équipe mobile de MSF dans le petit village de Nhatiquiriqui. Quand l’agent de santé communautaire amène des patients dans notre petite zone de soins, nous nous asseyons sur des sacs de riz vides car plus personne n’a de chaises. Pour chaque patient, le diagnostic est le paludisme, plus de la moitié d’entre eux sont des enfants de moins de cinq ans.

Un enfant passe sur une route détruite entre Nhamatanda et Tica. Mozambique. 2019.
 © Mohammad Ghannam/MSF
Un enfant passe sur une route détruite entre Nhamatanda et Tica. Mozambique. 2019. © Mohammad Ghannam/MSF

Les inondations ont détruit les maisons mais ont aussi emporté les affaires à l’intérieur – moustiquaires, vêtements – ce qui a rendu les gens encore plus vulnérables face aux moustiques qui pullulent maintenant sur les terres inondées formant des lacs.

Une fillette, qui fait bien plus que ses neuf ans, s’assied près de moi avec ses deux petits frères. Ils ont tous le paludisme, je demande donc à parler à leur mère, pour lui expliquer le traitement à suivre et les mesures de prévention à prendre. L’agent de santé me prend doucement par le bras et me dit que leur mère n’est plus de ce monde.

Les premières fleurs

La phase d’urgence est sans doute finie mais alors que les eaux commencent à refluer, les arbres continuent de dire leur histoire. « C’est là que je suis resté accroché pendant quatre jours, dit un vieil homme à Nhampoca, cet arbre a sauvé la vie de ma famille. »

Des enfants jouent sur une balançoire accrochée à un arbre tombé lors du passage du cyclone. Mozambique. 2019.
 © Mohammad Ghannam/MSF
Des enfants jouent sur une balançoire accrochée à un arbre tombé lors du passage du cyclone. Mozambique. 2019. © Mohammad Ghannam/MSF

Chipendo, qui travaille comme infirmier dans le centre de santé local, ne doit pas son salut à une opération exaltante en hélicoptère mais à des pêcheurs courageux qui se sont servi d’une tronc d’arbre comme d’un canoë et sont venus à son secours après qu’il a passé deux jours sans nourriture agrippé à une branche, en risquant leur propre vie dans des courants très forts. Chipendo a demandé à ne pas rentrer chez lui, mais à aller directement au centre de santé. Il avait des patients à voir.

Les cultures recommencent à timidement sortir de terre à Nhampoca et je pense à toutes les histoires mêlant courage, force, résilience et abnégation que des rescapés m’ont racontées, mais aussi à tous ceux qui ont péri après s’être débattus. A ce stade vulnérable et fragile du rétablissement, les Mozambicains commencent à recoller les morceaux de leur vie, de leur famille et de leur maison. Je quitte le centre de santé et marche sur une route boueuse en lançant un dernier regard aux eaux stagnantes où de grandes plantes aquatiques commencent à pousser et, pour la première fois, je vois des fleurs dans ces eaux sombres.

Notes

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