Rohingyas, le cycle sans fin des violences

Vue du camp d'Ukhiya à Cox's Bazar, au Bangladesh.
Vue du camp d'Ukhiya à Cox's Bazar, au Bangladesh. © Yunus Ali Shamrat/MSF

Depuis le mois de novembre 2023, de violents affrontements opposant l’armée séparatiste de l’Arakan et les forces militaires du Myanmar ont lieu dans l’état de Rhakine, dans l’ouest du pays. Alors que la situation continue de se détériorer, les Rohingyas fuient l’escalade de la violence en tentant de se réfugier au Bangladesh, où le manque d'accès aux services essentiels et la détérioration des conditions de vie menacent les réfugiés. Médecins Sans Frontières, qui fournit des soins de santé dans les camps de Cox’s Bazar au Bangladesh, demande que les réfugiés rohingyas aient un accès sans entrave à l'aide humanitaire, aux soins et à la protection.

Le surpeuplement des camps de Cox’s Bazar met en danger les réfugiés, qui se trouvent contraints de partager avec de plus en plus de personnes leurs rations alimentaires et leurs espaces de vie. L’accès aux soins de santé, à l’hygiène et à la protection ne sont plus suffisants.  Après avoir fui le Myanmar en quête de sécurité, ils sont de nouveau confrontés, à leur arrivée dans les camps du Bangladesh, à des conditions de vies qui menacent directement leur santé.

Qui sont les Rohingyas ?

Les Rohingyas sont une minorité ethnique majoritairement musulmane qui a vécu pendant des siècles au Myanmar, majoritairement bouddhiste, principalement dans l’État de Rakhine. Ils ont été exclus de la pleine citoyenneté par la loi sur la citoyenneté du Myanmar de 1982, qui les a laissés apatrides. En août 2017, une campagne concertée d’extrême violence et de meurtres menée par l’armée du Myanmar contre les Rohingyas a contraint environ 770 000 personnes à fuir vers Cox’s Bazar, au Bangladesh. Des centaines de milliers de personnes ont également fui vers des pays comme la Malaisie, l’Inde et le Pakistan, où elles restent apatrides.

 

Fuir la violence des combats

Le coup d’état militaire de 2021 a précipité le Myanmar dans une guerre civile, qui s’est intensifiée en novembre 2023 dans l’Etat de Rakhine, où l'importance du conflit pousse les Rohingyas à fuir la région. Au cours des derniers mois, des milliers d’entre eux ont quitté leur maison en espérant pouvoir survivre au Bangladesh voisin. « Avant les violences, je menais une vie simple avec ma famille dans un petit village » explique Zahir, un réfugié rohingya arrivé au Bangladesh au cours de l‘été. « En juillet, les affrontements ont atteint notre village. J'étais assis dehors avec un voisin lorsque des coups de feu ont soudainement éclaté. Une balle l'a frappé, le tuant sur le coup, et j'ai été touché dans le dos ».  

C’est à la fois pour échapper à cette violence mais également pour ne pas y prendre part que les habitants fuient la région, comme en témoigne Solim, 21 ans, lui aussi arrivé au Bangladesh durant l’été : « Avant de quitter le Myanmar, j'ai subi des pressions répétées pour rejoindre soit l'armée du Myanmar, soit l'armée de l'Arakan. Les deux camps attendaient des jeunes hommes rohingyas qu'ils se battent, car ils manquaient de personnel dans leurs rangs, mais je ne voulais pas participer à cette violence. Une nuit, alors que notre village était encerclé par l'armée, je me suis échappé avec mon jeune frère ». Pris au piège au milieux des affrontements, des milliers de rohingyas entreprennent de rejoindre le Bangladesh voisin, lors d’un voyage particulièrement dangereux. 

Un exil contraint et dangereux 

Dans un contexte où la violence est omniprésente, beaucoup d’entre eux doivent en plus lourdement s’endetter pour tenter un voyage risqué, qui laisse des séquelles non seulement physiques, mais également mentales. C’est ce qu’explique Solim lorsqu’il évoque le voyage entrepris pour rejoindre le Bangladesh : « Après plusieurs jours passés à fuir la violence, nous avons réussi à trouver un bateau qui pouvait nous emmener au Bangladesh. […] J'avais été blessée en chemin ; mes jambes étaient coupées et saignaient à cause des coquillages tranchants sur la plage. J'ai failli me noyer en tombant dans l'eau, car je ne savais pas nager. Je ressens encore la douleur de mes blessures, à la fois physique et mentale. Les coups de feu et la violence au Myanmar me hantent chaque jour. » 

C’est un exil particulièrement épuisant, d'une grande insécurité, durant lequel les Rohingyas qui fuient le Myanmar sont souvent blessés, perdent la vie ou des proches. Des familles sont fréquemment séparées lors de ce voyage, comme celle de Zahir : « Craignant pour nos vies, nous avons pris la décision déchirante de tout laisser derrière nous. Dans le chaos de la fuite, notre fils de trois ans s'est perdu dans la foule. Bien que nous ayons cherché désespérément, l'aggravation du danger nous a obligés à repartir avec nos autres enfants ». 

Shariful Islam est responsable des activités de santé mentale de MSF dans les cliniques de Kutupalong et de Balukhali, dans le district de Cox’s Bazar au Bangladesh. Il reçoit en consultation des réfugiés récemment arrivés, qui détaillent l’horreur de ce voyage et présentent des symptômes de stress, d’anxiété et de dépression : « Les gens racontent souvent leur pénible voyage du Myanmar au Bangladesh, un chemin semé d'embûches et de désespoir. Nombre d'entre eux ont été confrontés à des obstacles à la frontière, notamment des violences et des refoulements qui les ont empêchés de passer. Leur expérience se caractérise par une exposition prolongée aux traumatismes, à la violence, à la perte et à la mort d'êtres chers. » Arrivés au Bangladesh, ces violences ne cessent pas. Dans les camps de Cox’s Bazar, l’insuffisance des ressources allouées à la crise des réfugiés rend très difficile l'accès à la nourriture et aux soins. 

Des conditions de vies alarmantes dans les camps 

À leur arrivée, alors que les autorités bangladaises se sont engagées à subvenir aux besoins les plus urgents des réfugiés rohingyas, de nombreux obstacles persistent, comme l’explique Zahir : « Notre avenir ici est sombre. Nous n'avons pas de maison, pas de revenus et aucune certitude quant à l'avenir. La vie de mes enfants est assombrie par les difficultés [...]. Sans les documents nécessaires, nous n'avons pas accès aux services essentiels, y compris aux soins de santé. Mes besoins médicaux ne sont pas satisfaits et je crains pour ma santé et le bien-être de ma famille. » Ces craintes ne se limitent pas au manque d’accès aux soins, mais aussi à la sécurité, aux abris et à la nourriture : les personnes vivant dans les camps expliquent qu’elles partagent leurs rations alimentaires avec de plus en plus de personnes.  

Dans ce contexte, la santé physique et mentale des réfugiés est menacée. « Les conditions de vie dans les camps ne font qu'exacerber leurs problèmes de santé mentale. Les patients décrivent une atmosphère de plus en plus précaire, avec des rapports quotidiens de fusillades et de conflits entre différents groupes. La peur de la violence est omniprésente, créant un sentiment d'anxiété et d'impuissance omniprésent. » détaille Shariful Islam. Il est aujourd’hui primordial que les personnes qui vivent dans les camps et celles qui y arrivent puissent accéder à l’eau, aux abris, à la nourriture, aux soins de santé, à l’éducation et à la protection. 

Des réfugiés rohingyas se rassemblent pour discuter dans les rues des camps de Cox’s Bazar. Cox’s Bazar, Bangladesh, octobre 2023 © Ro Yassin Abdumonab
Des réfugiés rohingyas se rassemblent pour discuter dans les rues des camps de Cox’s Bazar. Cox’s Bazar, Bangladesh, octobre 2023 © Ro Yassin Abdumonab

Le manque d’accès aux services de base et le surpeuplement des camps créent des conditions de vie dangereuses pour les réfugiés. La fuite des rohingyas, après un voyage éprouvant jusqu’au Bangladesh pour tenter de se protéger des violences de la guerre civile, ne leur permet pas de vivre en sécurité. C’est pourquoi MSF demande un accès sans entrave à l'aide humanitaire, aux soins et à la protection pour tous les réfugiés rohingyas au Bangladesh. 

Notes

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