« Je suis arrivé en Libye en 2019. Rien que le mot "Libye" me fait peur maintenant. J'y ai passé beaucoup de temps, essayant toujours de m'échapper. Une nuit, nous sommes montés dans un bateau de 12 mètres, mais le moteur s'est arrêté et nous sommes rentrés en Libye. J'ai ensuite travaillé pendant cinq mois avant d'essayer de traverser pour rejoindre l'Europe une deuxième fois. Nous avons été attrapés en mer par des gardes armés au milieu de la nuit. Ils nous ont ramenés en Libye et nous ont enfermés dans un centre. Les conditions de vie y étaient dégoûtantes. Ils ont tué certains de mes amis les plus proches devant moi, c'était horrible. Ils comptaient beaucoup pour moi, après tous les coups et les abus que nous avions subis ensemble. Chaque jour, nous découvrions des blessés ou même des gens morts. Nous étions traités comme si nous n’étions pas humains. Après des mois d'emprisonnement, un jour une frappe aérienne a touché le centre de Tripoli. J’ai survécu.
J’ai tenté de traverser vers l’Europe à nouveau, mais les Libyens nous ont encore rattrapés et nous avons à nouveau été emprisonnés. J’ai passé encore cinq mois dans un centre de détention avec trois amis, qui sont tous morts là-bas. Vous comprenez ? Ils nous traitaient tellement mal, nous battaient tellement souvent que mes amis n’ont pas pu survivre. Nous devions utiliser un endroit horrible en guise de toilette et boire l’eau au même endroit.
Par chance, on m’a nourri à un moment et je suis allé en ville, où tout le monde me connaissait et m'appelait « Grillé » car je réussis toujours à survivre à toutes sortes de choses dangereuses. Mais Dieu merci, j’ai effectivement survécu. J’ai tellement enduré de souffrances que je n’étais pas capable d’en parler à quiconque. Quand je m’asseyais dans un coin, les gens disaient "Cet homme est fou, éloignez-vous de lui" . Dans le centre de détention, tu deviens effectivement fou. Je suis resté fort et je me suis concentré.
Pendant le confinement en Libye, nous avons passé huit mois à survivre en vendant des canettes en aluminium pour acheter du pain. Puis, j’ai quitté la capitale et ai travaillé comme mécanicien, 24h sur 24, tous les jours. Je travaillais comme un esclave. Pendant six mois, le propriétaire ne m'a payé que la moitié de mon travail. C’était du travail forcé et en plus, nous étions également battus. Ces hommes étaient lourdement armés. Ils m’ont tiré dessus une fois, mais j’ai survécu, encore.
A Tripoli, on m’a enfermé dans un étage souterrain, en isolation totale. Après trois mois, ils m’ont finalement laissé sortir voir la lumière. Le jour où j’ai revu le soleil, j’ai remercié le seigneur.
Dieu merci, je suis toujours en vie même si j’ai perdu des amis et des frères. J’ai quitté le pays sans perdre mon âme, sans perdre ma conscience, ni mon esprit. »