Secourus en Méditerranée par MSF, des migrants témoignent

Un migrant secouru en Méditerranée à bord du Geo Barents le 20 septembre 2021.
Un migrant secouru en Méditerranée à bord du Geo Barents le 20 septembre 2021. © Pablo Garrigos/MSF

Depuis le 13 mai 2021, disposant de son propre bateau le Geo Barents, Médecins Sans Frontières est de retour en mer pour sauver des vies. Le 20 septembre, deux nouvelles opérations de sauvetage ont permis de secourir 60 migrants. Une fois en sécurité à bord, certains rescapés ont décidé de raconter leur périple pour dénoncer les situations inhumaines qu'ils traversent, les abus et les violences qu'ils subissent. La Méditerranée centrale constitue la route migratoire la plus meurtrière au monde. Depuis le début de l'année, plus de 1 115 personnes sont mortes ou ont été portées disparues dans cette zone, tandis qu'environ 25 000 migrants et réfugiés ont été interceptés et renvoyés de force en Libye.

« C’était incroyable quand Bienvenu est né, en toute sécurité. »

Récit de Baptiste, Sophie et Bienvenu*

Un couple d'origine camerounaise et leur fils, secourus par MSF lors de leur traversée de la Méditerranée. 
 © Pablo Garrigos/MSF
Un couple d'origine camerounaise et leur fils, secourus par MSF lors de leur traversée de la Méditerranée.  © Pablo Garrigos/MSF

Baptiste* se remémore les mois qui viennent de s’écouler : « En 2021, Sophie* et moi sommes arrivés en Libye. Je n’avais jamais vu les gens se comporter d’une façon aussi inhumaine. Nous avons été traités encore plus mal que des animaux. Sur le chemin, j’ai été témoin de beaucoup de violence, de violences sexuelles et de viols en réunion. Dans un quartier de Tripoli, nous avons fini par trouver un hangar où vivre. Nous avons trouvé du travail et quelque chose à manger. C’étaient des moments très durs, je me sentais désespérément seul. Je continuais à vivre grâce au soutien de ma famille.

Pendant cette période, j’ai été kidnappé. On m’a emprisonné dans une petite pièce isolée. Les kidnappeurs m’ont forcé à appeler ma mère au Cameroun pour lui demander de payer une rançon, en menaçant de me tuer. Ma mère a dû vendre le petit morceau de terrain que nous possédions. C’était la dernière chose qui lui restait. Après que ma famille eut payé la rançon, ils m’ont à nouveau tabassé. Je suis resté emprisonné dans cette pièce pendant cinq jours, avant qu’un homme traite avec eux pour me faire sortir. Par la suite, il m'a aidé à prendre soin de moi.

Je me souviendrai toujours du jour où notre enfant est né, le 6 août. Ma femme Sophie a accouché “à la maison” car l’accès aux soins est inexistant en Libye pour les personnes noires. J’ai été traité comme un moins que rien, un chien a plus de valeur que moi. »

Marina Kojima, sage femme MSF, ausculte Bienvenu*, âgé de 6 semaines, à bord du Geo Barents.
 © Pablo Garrigos/MSF
Marina Kojima, sage femme MSF, ausculte Bienvenu*, âgé de 6 semaines, à bord du Geo Barents. © Pablo Garrigos/MSF

Sophie, la mère du nouveau-né, ajoute : « Le jour de la naissance, je me suis retrouvée sans soins médicaux. Pendant l’intégralité de la grossesse, je ne savais pas si mon bébé était en bonne santé. J’étais terrifiée. Le jour de l’accouchement, une voisine est venue m’aider, mais elle était encore plus nerveuse que moi, ses bras tremblaient en permanence. Après la naissance de Bienvenu*, nous sortions rarement tellement le risque de kidnapping était élevé. Mon enfant ne recevait aucune attention médicale. »

Baptiste finit par nous dire : « C’était incroyable quand Bienvenu est né en toute sécurité. Seul Dieu pouvait permettre cela. J’ai vu de mes propres yeux cette chose incroyable. Je ne peux pas décrire avec des mots ce que j’ai ressenti quand je l’ai pris dans mes bras. J’ai commencé à travailler encore plus dur pour avoir de l’argent pour les médicaments et la nourriture pour notre bébé. J’ai travaillé sur un chantier pour un homme. Quand j’ai appris qu’il envoyait des gens en Europe, je lui ai expliqué ma situation et il a accepté de nous aider à traverser la mer. »

« Ils nous torturaient en permanence »

Récit d'Ayaan*

Lorsqu'elle a été secourue par MSF, Ayaan* voyageait sur un petit bateau avec 54 autres personnes.
 © Pablo Garrigos/MSF
Lorsqu'elle a été secourue par MSF, Ayaan* voyageait sur un petit bateau avec 54 autres personnes. © Pablo Garrigos/MSF

Ayaan* raconte qu’elle est arrivée en Libye en janvier 2020, après un long voyage à travers la Somalie, l'Ethiopie et le Soudan. Elle a été retenue contre son gré par des passeurs dans une pièce sans fenêtre et n'avait pas droit à de la nourriture ou à de l’eau. Il n'y avait qu'une seule toilette pour toutes les femmes retenues en captivité dans un espace exigu et étouffant. Ayaan se souvient qu'une fois, elle n'a pas mangé pendant sept jours. « Les visages des passeurs étaient recouverts en permanence, on ne pouvait voir que leurs yeux. Ils restaient tout le temps devant la porte avec des armes. S’échapper était impossible. »

Ayaan explique que pendant sa captivité, elle était battue en permanence avec des câbles et de l’électricité : « Ils sont venus à l’intérieur de la pièce et ont jeté les femmes au sol. Ils leur ont pris leurs vêtements. Ils ont violemment tiré les cheveux d’une femme et l’ont frappée. Ils nous torturaient en permanence. » Elle raconte que de nombreuses personnes de son pays sont détenues contre leur volonté, et se rappelle que la plupart sont mortes sur leur lieu de captivité.

Elle se souvient : « Quand la pandémie de la Covid-19 a commencé, tout a empiré pour moi. » Elle explique que la torture et les coups ont augmenté et qu’elle était obligée de nettoyer les maisons des passeurs tous les jours. Elle se rappelle d’un jour où pendant qu’elle faisait le ménage, un des passeurs était occupé avec ses enfants et elle a pu profiter de ce moment pour s’enfuir. Malheureusement, elle s'est retrouvée dans une autre prison, à Zawiya. Cette fois, les passeurs les ont aidés, d’autres Somaliens et elle, à s'échapper. A ce moment-là, elle s’est blessée, en se coupant au front, ce qui a provoqué une grosse plaie.

Ayaan reçoit actuellement des soins médicaux à bord du Gero Barents. Elle nous explique qu’elle n’a pas pu contacter sa famille depuis six mois. Quand on lui demande ce qu’elle attend de l’avenir, elle répond : « Trouver un travail où je peux aider ceux qui en ont besoin. J’ai envie d’aider les gens. »

« Tu deviens effectivement fou »

Récit de Boubacar*

Boubacar est un Malien de 22 ans, qui a survécu à l'enfer de la Lybie.
 © Pablo Garrigos/MSF
Boubacar est un Malien de 22 ans, qui a survécu à l'enfer de la Lybie. © Pablo Garrigos/MSF

« Je suis arrivé en Libye en 2019. Rien que le mot "Libye" me fait peur maintenant. J'y ai passé beaucoup de temps, essayant toujours de m'échapper. Une nuit, nous sommes montés dans un bateau de 12 mètres, mais le moteur s'est arrêté et nous sommes rentrés en Libye. J'ai ensuite travaillé pendant cinq mois avant d'essayer de traverser pour rejoindre l'Europe une deuxième fois. Nous avons été attrapés en mer par des gardes armés au milieu de la nuit. Ils nous ont ramenés en Libye et nous ont enfermés dans un centre. Les conditions de vie y étaient dégoûtantes. Ils ont tué certains de mes amis les plus proches devant moi, c'était horrible. Ils comptaient beaucoup pour moi, après tous les coups et les abus que nous avions subis ensemble. Chaque jour, nous découvrions des blessés ou même des gens morts. Nous étions traités comme si nous n’étions pas humains. Après des mois d'emprisonnement, un jour une frappe aérienne a touché le centre de Tripoli. J’ai survécu.

J’ai tenté de traverser vers l’Europe à nouveau, mais les Libyens nous ont encore rattrapés et nous avons à nouveau été emprisonnés. J’ai passé encore cinq mois dans un centre de détention avec trois amis, qui sont tous morts là-bas. Vous comprenez ? Ils nous traitaient tellement mal, nous battaient tellement souvent que mes amis n’ont pas pu survivre. Nous devions utiliser un endroit horrible en guise de toilette et boire l’eau au même endroit. 

Par chance, on m’a nourri à un moment et je suis allé en ville, où tout le monde me connaissait et m'appelait « Grillé » car je réussis toujours à survivre à toutes sortes de choses dangereuses. Mais Dieu merci, j’ai effectivement survécu. J’ai tellement enduré de souffrances que je n’étais pas capable d’en parler à quiconque. Quand je m’asseyais dans un coin, les gens disaient "Cet homme est fou, éloignez-vous de lui" . Dans le centre de détention, tu deviens effectivement fou. Je suis resté fort et je me suis concentré.

Pendant le confinement en Libye, nous avons passé huit mois à survivre en vendant des canettes en aluminium pour acheter du pain. Puis, j’ai quitté la capitale et ai travaillé comme mécanicien, 24h sur 24, tous les jours. Je travaillais comme un esclave. Pendant six mois, le propriétaire ne m'a payé que la moitié de mon travail. C’était du travail forcé et en plus, nous étions également battus. Ces hommes étaient lourdement armés. Ils m’ont tiré dessus une fois, mais j’ai survécu, encore.

A Tripoli, on m’a enfermé dans un étage souterrain, en isolation totale. Après trois mois, ils m’ont finalement laissé sortir voir la lumière. Le jour où j’ai revu le soleil, j’ai remercié le seigneur. 

Dieu merci, je suis toujours en vie même si j’ai perdu des amis et des frères. J’ai quitté le pays sans perdre mon âme, sans perdre ma conscience, ni mon esprit. »

*Les prénoms ont été changés pour protéger l'identité des survivants.

Notes

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