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Syrie : « Le système de santé est à terre après des années de guerre »

Syria’s humanitarian situation after 14 years of war
Dons de matériels médicaux urgents à deux hôpitaux et trois centres de santé de la ville de Homs, dans le centre de la Syrie.   © Abdulrahman Sadeq/MSF

Depuis la chute du régime de Bachar Al-Assad le 8 décembre 2024, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) déploient une aide médicale et matérielle dans plusieurs régions anciennement contrôlées par Damas. Hakim Khaldi, coordinateur d’urgence, et Ahmed Rahmo, coordinateur médical, ont pu visiter les principaux hôpitaux des grandes villes syriennes.

Quel est l’état du système de santé dans les régions que vous avez visitées ?

Ahmed Rahmo : Nous nous sommes rendus à Damas, Alep, Hama, Deir ez-Zor, Tartous et Lattaquié, mais aussi à Idlib, où MSF travaille depuis plus de dix ans. C’est une région qui était déjà contrôlée par Hayat Tahrir al-Cham (HTC), le groupe armé qui a entraîné la chute de Bachar Al-Assad et qui est désormais au pouvoir.

Le système de santé est à terre après des années de guerre. Les établissements médicaux que nous avons visités dans ces villes sont confrontés à de nombreuses difficultés, parmi lesquelles le manque de fournitures médicales, de médicaments et de personnel. Nous avons notamment constaté un manque important de personnel spécialisé, notamment d’anesthésistes et de chirurgiens. Ce n’est pas nouveau, car une partie du personnel médical avait quitté le pays dès le début de la guerre civile, qui a éclaté en mars 2011, et n’est toujours pas revenu en Syrie.

 

Par ailleurs, le ministère de la Santé syrien compte officiellement 82 000 employés, mais sur le terrain, il y a en réalité beaucoup moins de personnel médical. L’une des pratiques courantes du régime de Bachar Al-Assad était d’employer fictivement des personnes proches du pouvoir en les inscrivant sur les listes du ministère de la Santé, tandis que ces dernières servaient dans des milices ou cumulaient plusieurs emplois, dont certains étaient fictifs.

Hakim Khaldi : Au-delà de la corruption, des détournements massifs du régime, des pénuries et du manque de moyens, les sanctions économiques qui touchent encore aujourd’hui la Syrie sont le frein principal à la reconstruction du système de santé. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles la plupart des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté, qui est de deux dollars par jour.

 

Hôpital d'Al-Furat à Deir ez-Zor.
 © Hakim Khaldi/MSF
Hôpital d'Al-Furat à Deir ez-Zor. © Hakim Khaldi/MSF

Le salaire moyen d’un fonctionnaire aujourd’hui en Syrie est de 20 dollars par mois. Depuis le début de la guerre, la population a vécu au cœur d’un système économique cauchemardesque mêlant rationnement et marché noir : le prix du pain était par exemple régulé par le gouvernement, mais il fallait faire la queue pendant trois ou quatre heures pour en acheter. Une bouteille de gaz était autorisée par personne tous les trois mois, ce qui était largement insuffisant pour répondre aux besoins. Ces restrictions ont eu des conséquences sur l’état de santé général des Syriens et sur le système sanitaire. Aujourd’hui, le système de santé syrien est à reconstruire. Le gouvernement a aussi promis aux fonctionnaires une augmentation salariale de 400 %, qui doit se faire en plusieurs étapes. 

Quelles étaient les difficultés d’approvisionnement rencontrées par les structures de santé ?  

Ahmed Rahmo : Autrefois il y avait un monopole d’État pour les importations de médicaments et tout était centralisé à Damas qui approvisionnait tous les hôpitaux publics du pays. De plus, du fait des sanctions, et du fort niveau de corruption, les prix pratiqués étaient très élevés. Par exemple, une bouteille d’albumine de 50 ml coûte près de 100 dollars en Syrie, alors qu’en Europe, on peut la trouver pour la moitié de ce prix. 

L'État était la seule entité capable d’importer certains médicaments et équipements médicaux. Ce système, qui est l’un des héritages du régime de Bachar Al-Assad, n’a pas encore été réformé ce qui provoque des retards d’approvisionnement et des pénuries pour certains médicaments.

Une autre des pratiques mises en place par le précédent régime consistait à centraliser l’aide humanitaire, à la stocker dans des entrepôts et à la vendre au secteur privé. Les patients qui se rendaient à l’hôpital public, pour une dialyse par exemple, devaient acheter les médicaments et fournitures médicales au secteur privé. Des milliers de kits de dialyse ont ainsi été retrouvés dans des entrepôts, prêts à être vendus.

Hakim Khaldi : Les patients des hôpitaux publics doivent acheter tous les éléments nécessaires à leur prise en charge, y compris ceux de l’équipe médicale : les seringues, les gants, le coton, les pansements, les anesthésiants, les médicaments, et même le masque pour le médecin qui opère. Cela peut revenir plus cher au patient de se rendre à l’hôpital public plutôt que dans un établissement privé.

Hôpital universitaire d'Al-Mouwasat à Damas.
 © Hakim Khaldi/MSF
Hôpital universitaire d'Al-Mouwasat à Damas. © Hakim Khaldi/MSF

Certains entrepôts dans le nord du pays par exemple, une région qui n’était pas contrôlé par le régime, ne fonctionnent pas sur ce modèle de monopole d’État ; malheureusement, ils n’ont pas la capacité de fournir tous les hôpitaux situés dans les zones précédemment contrôlées par le régime. Le gouvernement en place doit mettre fin au monopole de l’approvisionnement et choisir ses fournisseurs de matériel médical et de médicaments. De notre côté, nous avons utilisé les réserves de notre entrepôt d’Idlib pour effectuer les premières donations médicales, notamment quatre kits de traumatologie à des hôpitaux d’Alep, de Deir ez-Zor et de Hama.

Après des années de guerre et des décennies de dictature, quelles sont les préoccupations des Syriens et des Syriennes que vous avez rencontrés ?

Ahmed Rahmo : C’est la sécurité : beaucoup d’armes circulent dans le pays et échappent au contrôle du gouvernement. Lorsque le régime est tombé, les entrepôts de l’armée ont été ouverts et beaucoup de personnes se sont servies. Les groupes armés et les milices sont nombreux et les Syriens ont peur d’une nouvelle guerre civile. Le pays est encore instable. Par exemple, on ne sait pas ce que vont donner les négociations entre le nouveau gouvernement et les forces kurdes, qui contrôlent une partie du pays. Il y a une encore une ligne de front dans le nord et des combats autour de Kobané ainsi que des tensions autour de Deir ez-Zor par exemple. 

Destructions dans la ville de Homs.
 © Hakim Khaldi/MSF
Destructions dans la ville de Homs. © Hakim Khaldi/MSF

Hakim Khaldi : Une autre préoccupation des Syriens concerne la situation économique et la reconstruction. La vie coûte très cher en Syrie, beaucoup plus qu'en Turquie par exemple. D’autre part, le pays compte plusieurs centaines de milliers de déplacés qui vivent dans des conditions précaires depuis des années. Un grand nombre d’entre eux viennent du sud d’Idlib, du nord de Hama et de la Ghouta. Ceux qui ont pu retourner dans leurs lieux d’origine, fortement affectés par la guerre, ont constaté l'ampleur des destructions. Ces personnes ont donc été obligées de retourner habiter sous une tente dans un camp de déplacés. Beaucoup ont perdu tout espoir de vivre à nouveau dans leur maison ou même dans leur ville. Pour l’instant, dans les camps, la situation est quasiment la même qu’avant la chute du régime. La population attend du nouveau gouvernement et des bailleurs qu’ils soutiennent la Syrie dans cette période de redressement. 

Dans ce contexte, quelles sont les actions menées par MSF ?

Ahmed Rahmo : Nous avons effectué plusieurs interventions d’urgences, avec des donations, comme à l’hôpital Yacine d’Alep, situé dans le quartier Cheikh Maqsoud et contrôlé par les combattants kurdes. Ce territoire est complètement isolé du reste de la ville et plusieurs centaines de milliers de personnes y vivent. Nous avons alors débuté un soutien de trois mois à l’hôpital public à travers la fourniture de carburant, qui permet de faire fonctionner les groupes électrogènes de l’hôpital, des médicaments et nous prenons en charge le salaire de certains professionnels de santé (chirurgien, anesthésiste, médecin et infirmier des soins intensifs).

Hôpital universitaire d'Alep.
 © Hakim Khaldi/MSF
Hôpital universitaire d'Alep. © Hakim Khaldi/MSF

Hakim Khaldi : Nous nous concentrons également sur la région de Deir ez-Zor, qui est le territoire le plus marginalisé que nous avons visité en Syrie. Il y a seulement deux hôpitaux partiellement fonctionnels dans cette ville. Nous leur avons également fourni l’équivalent d’un mois de médicaments et de consommables de laboratoire et un kit de prise en charge de traumatologie. Une équipe biomédicale va également travailler à la réparation de plusieurs appareils médicaux essentiels, comme les concentrateurs d’oxygène ou ceux nécessaires à la radiographie. Le nouveau gouvernement n’a pas les moyens de financer ces réparations. Nous avons aussi rédigé une proposition de projet pour soutenir un hôpital situé au sud de Deir ez-Zor, dans la ville de Mayadine. Si la proposition est acceptée par les autorités, cela permettrait de décharger les deux autres hôpitaux de Deir ez-Zor. Les habitants de cette région ont peu d’alternatives pour se faire soigner, et se rendre à Damas depuis cette région coûte très cher.

Dernièrement nous nous sommes rendus sur la côte méditerranéenne à Tartous et Lattaquié. Nous avons visité plusieurs hôpitaux, dont les trois hôpitaux publics de Tartous et celui de la ville de Banias. Nous y avons trouvé des services en berne, comme le centre de dialyse de Tartous. Il y a aussi des besoins au niveau de la prise en charge des enfants malnutris dans l’hôpital pédiatrique ainsi que dans la maternité de cette ville. Nous travaillons actuellement à la rédaction d’une proposition de soutien à ces structures. 

Ahmed Rahmo : Nous avons également proposé au ministère de la Santé d’intervenir dans la prise en charge des grands brûlés, l’un de nos domaines d’expertise. Cela comprend un soutien aux unités de prise en charge des brûlés des hôpitaux de Damas, d’Alep, de Tartous et de Deir ez-Zor. Cette proposition répond à un besoin lié aux conditions précaires dans lesquelles vit une grande partie de la population, qui se chauffe avec du carburant, souvent de mauvaise qualité, ce qui augmente le risque d’explosion et d’accident domestique (eau brûlante, électrocution, etc.). D’autres équipes de Médecins Sans Frontières travaillent dans les territoires anciennement contrôlés par le régime de Bachar Al-Assad, notamment à Damas, où elles ont effectué des donations médicales sont en discussion avec le ministère de la Santé pour soutenir plusieurs hôpitaux à Alep, Damas ou Homs.

 

Notes

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