Tchad : face à l’insécurité alimentaire chronique

Bria et ses enfants mangent sous le porche à l'extérieur de leur maison.
Bria et ses enfants mangent sous le porche à l'extérieur de leur maison. © Lys Arango

Après plusieurs interventions d’urgence en partenariat avec le ministère de la Santé tchadien pour renforcer, durant les mois les plus critiques, les capacités de prise en charge des enfants sévèrement malnutris à N'Djaména, les équipes MSF s’investissent désormais à plus long terme contre la malnutrition infantile dans la capitale. En novembre dernier, Séverin, un an et demi, a passé six jours à l'hôpital. Voici son parcours.

Généralement associée aux zones rurales sahéliennes sujettes à la période de soudure agricole, la malnutrition infantile représente aussi un problème majeur dans la capitale tchadienne, N’Djaména. Dans cette ville de près d’un million et demi d’habitants, de nombreuses familles, et surtout les mères, peinent à joindre les deux bouts et à couvrir les besoins essentiels de leurs enfants dans un contexte de marasme économique et d’insécurité alimentaire chronique.

Bria est l'une de ces mères. Lorsque son plus jeune fils, Séverin, âgé d’un an et demi, a montré des signes de faiblesse de plus en plus marqués, elle s'est rendue à l'hôpital de district de Tukra, dans le 9ème arrondissement de N’Djaména, où MSF gère l’unité nutritionnelle. Élevant seule ses enfants, elle n'a eu d'autre choix que d'y amener les sœurs de Séverin, Elise, deux ans et demi, et Brenda, huit ans. La famille est présente à l’unité thérapeutique nutritionnelle de l’hôpital depuis 6 jours.

Des médecins vérifient l'évolution de l’état de Séverin et confirment qu'il pourra sortir très bientôt.
 © Lys Arango
Des médecins vérifient l'évolution de l’état de Séverin et confirment qu'il pourra sortir très bientôt. © Lys Arango

Bria a quitté son village d'origine, dans le sud du pays, pour tenter sa chance dans la capitale. Logée chez sa tante, elle a pu y poursuivre ses études un temps puis se remarier. Mais depuis un an, son mari et le père de Séverin, Elise et Brenda, purge une peine de prison de quatre ans. Mécanicien de profession, c'est lui qui assurait les entrées d'argent du foyer. 

Quand Séverin est tombé malade, Bria a pu compter sur le soutien d’une tante qui lui a donné une petite somme d’argent pour payer les dépenses en médicaments et consultations au centre de santé. La santé de Séverin ne s’est pas améliorée, elle s’est alors dirigée vers l’hôpital de district.

Un médecin de l'unité de nutrition thérapeutique (UTN) de l'hôpital de district de Toukra marche dans une des allées de l'établissement.
 © Lys Arango
Un médecin de l'unité de nutrition thérapeutique (UTN) de l'hôpital de district de Toukra marche dans une des allées de l'établissement. © Lys Arango

A l’hôpital de district de Toukra, les soignants de l’unité nutritionnelle ont admis 1 471 enfants âgés de six mois à cinq ans l’année dernière. Ces enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère avec des complications nécessitant une hospitalisation : ils sont généralement dans un état grave et extrêmement affaiblis. Si les niveaux de malnutrition infantile aiguë demeurent élevés toute l’année, la phase la plus critique s’étend de mai à septembre, lorsque la période de soudure s’associe à une prévalence accrue du paludisme, des diarrhées et d’autres infections dans le sillage de la saison des pluies.

Bria quitte l'hôpital le jour où son fils est suffisamment rétabli pour sortir du programme hospitalier de malnutrition de MSF et être suivi à domicile.
 © Lys Arango
Bria quitte l'hôpital le jour où son fils est suffisamment rétabli pour sortir du programme hospitalier de malnutrition de MSF et être suivi à domicile. © Lys Arango

Après une semaine d’hospitalisation, l'état de santé du jeune Séverin s'est amélioré. Il va maintenant poursuivre son traitement à domicile jusqu'à son rétablissement complet. En partant de l'hôpital de Toukra, Bria reçoit des conseils nutritionnels et des rations d’aliment thérapeutique prêt à l’emploi, à base de pâte d’arachide et enrichi en nutriments pour répondre aux besoins spécifiques des enfants souffrant de malnutrition aiguë.

Bria boit de l'eau provenant d'un seau disposé dans une pièce à l'extérieur de la maison où elle habite dans la concession appartenant à l'oncle paternel de son mari, depuis environ six mois. Elle a rendu visite à son mari en prison deux fois, et aimerait y aller plus souvent mais le coût du trajet et les multiples tâches du quotidien pour tenter de subvenir aux besoins de ses enfants l’en empêchent.
 © Lys Arango
Bria boit de l'eau provenant d'un seau disposé dans une pièce à l'extérieur de la maison où elle habite dans la concession appartenant à l'oncle paternel de son mari, depuis environ six mois. Elle a rendu visite à son mari en prison deux fois, et aimerait y aller plus souvent mais le coût du trajet et les multiples tâches du quotidien pour tenter de subvenir aux besoins de ses enfants l’en empêchent. © Lys Arango

Chez Bria, la famille mange de la bouillie le matin, un plat le midi et des restes le soir. Ce jour-là, elle prépare du moringa séché, une plante dont les feuilles et les jeunes gousses sont appréciées dans la région et conseillées pour la récupération thérapeutique. Elle y ajoute du poisson fumé, de l’ail, de l'oignon, un cube Maggie, de l’huile d’arachide - ainsi que de la pâte d’arachide pour enrichir le plat, selon les recommandations de l'équipe médicale.

Certains jours, quand elle travaille tard, les enfants attendent son retour pour manger.

Bria prépare les repas de ses enfants à la maison, quelques jours après la sortie de Séverin de l'hôpital pour malnutrition aiguë sévère.
 © Lys Arango
Bria prépare les repas de ses enfants à la maison, quelques jours après la sortie de Séverin de l'hôpital pour malnutrition aiguë sévère. © Lys Arango

Devenue marchande ambulante, Bria vend essentiellement des citrons. Elle est associée avec trois autres femmes, avec qui elles achètent 15 000 FCFA (environ 23 euros) de citrons et génèrent un bénéfice d’environ 750 FCFA (environ 1,15 euro)  chacune. Depuis un mois, devant s’occuper de son fils malade, elle n’a pas pu travailler et devra certainement s’endetter pour reprendre son activité. Faute d'argent, sa fille Brenda n’est pas allée à l’école cette année.

Bria vend des citrons et de la citronnade dans la rue, c'est son seul moyen de subsistance. Certains jours sont plus difficiles que d'autres pour nourrir et s'occuper de ses enfants.
 © Lys Arango
Bria vend des citrons et de la citronnade dans la rue, c'est son seul moyen de subsistance. Certains jours sont plus difficiles que d'autres pour nourrir et s'occuper de ses enfants. © Lys Arango

Son histoire n’est pas unique – d’innombrables familles se démènent entre petits boulots et réseaux de solidarité pour prendre soin de leurs enfants et s’efforcer de leur fournir une alimentation suffisante, dans un contexte marqué par une insécurité alimentaire chronique, des niveaux élevés de malnutrition infantile et un accès limité aux soins pédiatriques et à la vaccination.

Pour les soutenir, MSF, en partenariat avec les autorités sanitaires tchadiennes, continue à renforcer la prise en charge gratuite des enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère et de complications médicales à l’hôpital de district de Toukra, tout en développant des activités de prévention et de traitement précoce de la malnutrition dans quatre quartiers de la ville.

Ces activités reposent notamment sur l’implication active des mères et des membres de la famille dans l’identification des symptômes de la malnutrition et sur le rôle des unités nutritionnelles ambulatoires. Situées au sein de centres de santé, ces unités permettent de suivre les enfants sévèrement malnutris avec un traitement à domicile et des consultations régulières au centre de santé, limitant l’apparition de complications qui entraîneraient leur hospitalisation et mettraient encore plus sérieusement leur vie en danger. Il est essentiel que ces unités aient les moyens de fonctionner et soient suffisamment approvisionnées en aliments thérapeutiques prêts à l’emploi, clés de voûte du traitement ambulatoire.

Notes

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