Yémen : explosion inquiétante des cas de rougeole

Nada Nasir, 4 ans, reçoit un traitement contre la rougeole dans le centre d'isolation de l'hôpital de Rada.
Nada Nasir, 4 ans, reçoit un traitement contre la rougeole dans le centre d'isolation de l'hôpital de Rada. © Majd Aljunaid/MSF

Au cours des trois dernières années, Médecins Sans Frontières a constaté une augmentation inquiétante du nombre d'enfants atteints par la rougeole au Yémen. Entre janvier et mars 2023, les équipes MSF ont reçu dans leurs structures 4 000 patients, trois fois plus qu'au cours de la seule année 2022.

En 2022, MSF tirait la sonnette d'alarme concernant la recrudescence de la malnutrition infantile au Yémen, qui affaiblit le système immunitaire, et rend les enfants encore plus vulnérables à l'impact mortel de la rougeole, particulièrement lorsqu'ils ne sont  pas vaccinés contre la maladie.

Le manque de soins de santé disponibles au Yémen ainsi que le manque d'argent ont eu un impact considérable sur la santé des Yéménites, particulièrement les plus jeunes d'entre eux. Cela a été le cas pour Abdullah, trois ans, qui a été hospitalisé à Abs, dans le gouvernorat de Hakkah après avoir contracté la rougeole. 

« Abdullah avait les yeux rouges, il souffrait de maux de gorge et d’une forte fièvre, puis une éruption cutanée rouge est apparue sur son corps, raconte Aisha à propos de son fils, Abdullah. Quand je l'ai emmené à la clinique, le médecin m'a dit qu'il avait la rougeole avec des complications et qu'il devait être hospitalisé. Abdullah avait déjà reçu des vaccins, mais certains manquaient. Il était difficile pour nous de continuer à aller à la clinique. Les transports étaient soit indisponibles, soit très chers donc nous n'avons pas fait tous ses vaccins ».

Aisha et son fils Abdullah, 3 ans et demi, dans une chambre d'isolement de l'hôpital général d'Abs soutenu par MSF.
 © MSF
Aisha et son fils Abdullah, 3 ans et demi, dans une chambre d'isolement de l'hôpital général d'Abs soutenu par MSF. © MSF

La rougeole est une infection virale très contagieuse qui peut facilement se propager dans les communautés densément peuplées. Elle affecte principalement les enfants de moins de cinq ans et est particulièrement dangereuse lorsqu'elle s'accompagne de complications ou pour les personnes ayant déjà des problèmes de santé. Bien qu'il s'agisse d'une maladie potentiellement mortelle, elle peut être évitée grâce à la vaccination. Pourtant, les patients arrivent souvent dans les hôpitaux soutenus par MSF avec des complications, notamment à un stade avancé de la maladie, qui pourraient être évitées grâce à des soins préventifs.

Bien qu'il soit difficile d’évaluer tous les potentiels facteurs favorisant la progression de la rougeole au Yémen, il est clair que les lacunes dans la vaccination de routine et l'accès limité aux installations de soins de santé de base jouent un rôle majeur.

« Nous avons vu le nombre de patients atteints de rougeole dans nos cliniques passer de 731 en 2020 à seulement 77 en 2019. Nous pourrions attribuer cela à la campagne de vaccination massive menée en 2019, explique Isaac Alcalde, chef de mission MSF au Yémen. L’augmentation spectaculaire que nous avons constatée ne peut être ignorée – le nombre de cas est passé à près de 4 000, augmentant la pression sur les installations médicales, qui sont déjà surchargées. Ce ne sont pas seulement des chiffres dont nous parlons - ce sont des vies d'enfants ».

Des médecins prennent en charge des patients atteints de rougeole dans le centre d'isolement de l'hôpital central de Rada'a à Al Bayda.
 © Majd Aljunaid/MSF
Des médecins prennent en charge des patients atteints de rougeole dans le centre d'isolement de l'hôpital central de Rada'a à Al Bayda. © Majd Aljunaid/MSF

Malheureusement, cette augmentation du nombre de cas de rougeole n'est pas un problème isolé. Les équipes médicales de MSF ont été témoins de la hausse et de l'impact dévastateur de la maladie dans les gouvernorats d'Amran, de Sa'ada, de Hajjah, d'Ibb, de Hodeida, de Taiz, de Marib et de Shabwah.

Les agences des Nations unies ont également souligné la forte augmentation des maladies évitables par la vaccination au Yémen, comme la rougeole mais aussi  la diphtérie et la coqueluche. Cette hausse de la prévalence des maladies évitables s'accompagne inévitablement d'une hausse des décès liés à ces pathologies. 

Dans certains des centres de santé que MSF soutient, les équipes ont adapté leurs activités pour répondre aux besoins accrus. Entre février et juin 2023, ce sont 1 784 cas de rougeole qui ont été pris en charge dans le gouvernorat d'Al Bayda. Seulement 12% des patients avaient été vaccinés avant leur admission, mettant en évidence la faible couverture vaccinale du pays, et près de 52% des patients ont eu des complications.

Ce taux de vaccination particulièrement bas est la conséquence directe d'obstacles logistiques, comme les restrictions sur les importations humanitaires, la faible présence d'établissements de santé capables de fournir des vaccins, ainsi que d'une absence de sensibilisation pour souligner le rôle essentiel que jouent les vaccins dans la protection des personnes contre les maladies comme la rougeole.

Un enfant recevant un traitement contre la rougeole dans l'hôpital d'Al Thawrah dans la ville d'Al Bayda.
 © Majd Aljunaid/MSF
Un enfant recevant un traitement contre la rougeole dans l'hôpital d'Al Thawrah dans la ville d'Al Bayda. © Majd Aljunaid/MSF

MSF a agrandi l'unité d'isolement de la rougeole à Abs pour répondre à l'augmentation du nombre de patients. À l'hôpital pour mères et enfants d'Al Qanawis, dans le gouvernorat d'Al Hudayda, plus de la moitié des personnes admises dans le service pédiatrique étaient des enfants atteints de rougeole, quelques jours seulement après son ouverture en mai 2023.

De même, en avril 2023, une augmentation substantielle des cas à Mocha, dans le gouvernorat de Taiz, a amené à  l'ouverture d'un nouveau service d'isolement dédié à  la rougeole.
La haute contagiosité de  la rougeole et son risque létal signifient que les mesures préventives pour ceux qui l’ont contracté, comme l'isolement, sont essentielles. Dans les différents gouvernorats où MSF traite la rougeole au Yémen, les équipes entendent parler de parents qui reconnaissent les symptômes de la rougeole et cherchent activement à protéger à la fois leurs enfants, mais également ceux de leurs voisins.

Layal, lors d'une consultation dans une des cliniques mobiles de MSF au Yémen.
 © Majd Aljunaid/MSF
Layal, lors d'une consultation dans une des cliniques mobiles de MSF au Yémen. © Majd Aljunaid/MSF

Ce fut le cas de Layal et de son frère Hussein, que leur mère a amenés à l'hôpital Ra'ada d'Al Bayda.

« Au début, Layal était en contact avec ses proches, puis, quand elle a commencé à développer des symptômes comme de la fièvre et des éruptions cutanées, j'ai isolé son frère, explique la mère de Layal et Hussein. Malheureusement, il avait déjà contracté la maladie et des symptômes ont commencé à apparaître. Mais grâce à Dieu, je les ai amenés à l'hôpital assez tôt et ils ont récupéré. Je suis consciente que la rougeole peut se propager rapidement et qu'elle peut aussi toucher d'autres enfants du quartier, c'est pourquoi j'étais inquiète au début.»

Pour faire face à cette grave crise sanitaire, une réponse globale et coordonnée est nécessaire. Afin de protéger les enfants yéménites de la rougeole, il est impératif de renforcer les mesures préventives, la participation communautaire et d'améliorer la prise en charge des cas. Les autorités, ainsi que les acteurs humanitaires et sanitaires au Yémen, doivent garantir la disponibilité des vaccins dans les structures de santé, accroître leur accessibilité ainsi que la capacité de prise en charge des établissements de santé.

Notes

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