« De nombreux survivants portaient en eux des traumatismes antérieurs, résultats de violences et d'abus subis en Libye, dans leur pays d'origine ou au cours du voyage. L'attente prolongée a créé une forte détresse émotionnelle et psychologique. Les épisodes d'insomnie, d'anxiété et de détresse physique et psychologique sont devenus plus fréquents de jour en jour. Et de notre côté, nous n'avions aucune réponse à donner lorsqu'ils nous demandaient pourquoi nous ne pouvions pas débarquer », explique Stefanie Hofstetter, chef d'équipe médicale MSF sur le Geo Barents.
Youssouf* et Ahmed*sont deux des 214 personnes ayant dû rester à bord de façon prolongée. Dans l'après-midi du 7 novembre, ils ont pris la décision désespérée de sauter dans l'eau, pour atteindre le quai. Une troisième personne a sauté pour les aider, craignant qu’ils ne se noient et est finalement revenue à bord. Youssouf et Ahmed ont passé la nuit sur le quai, refusant de manger et de boire, attendant une décision des autorités italiennes. Après plus de 24 heures passées sur le quai, Ahmed a présenté une forte fièvre et des signes de déshydratation et a été transporté dans l'établissement de santé le plus proche pour recevoir une assistance médicale des autorités sanitaires italiennes.
« Après des jours et des jours sur ce bateau [Geo Barents], je devenais fou. J'avais l'impression que mon corps et mes rêves étaient en train de se briser. Je suis reconnaissant pour toute l'assistance que j'ai eue à bord, mais je ne pouvais plus supporter cette situation », a déclaré Youssouf au membre du personnel MSF qui l'a assisté sur le quai, devant le Geo Barents. « J'ai quitté le nord de la Syrie pour offrir une vie sûre à ma famille. J'ai quatre filles que j'ai laissées derrière moi, en espérant qu'elles puissent me rejoindre en Europe, bientôt. La plus jeune n'a que six ans. Elles ont vu des bombes tomber sur notre ville ces dernières années, et maintenant elles ne peuvent pas aller à l'école à cause de l'insécurité dans la région. Les groupes armés sont partout, ils enlèvent les gens pour obtenir des rançons. Je crains chaque jour pour leur vie. Je veux simplement trouver un endroit où elles pourront être libérées de la peur et se sentir en sécurité. C'est mon rêve, et je ne laisserai personne me l'enlever. »