Le Geo Barents s’apprête à reprendre ses opérations de sauvetage, après son blocage au port de Catane

Vue du Geo Barents lors d'une opération de sauvetage en octobre 2022
Vue du Geo Barents lors d'une opération de sauvetage en octobre 2022 © MSF/Candida Lobes

Le navire de sauvetage de Médecins Sans Frontières, le Geo Barents, a quitté le port de Catane jeudi 10 novembre, et se prépare à repartir en mer pour reprendre ses opérations de sauvetage. Ces opérations sont et resteront la réponse aux politiques européennes et nationales irresponsables de non-assistance en mer, condamnant des personnes à se noyer et refusant de les accueillir en lieu sûr.

Après 10 jours en mer, tous les rescapés à bord du Geo Barents, qui avaient fui la Libye, ont finalement pu toucher terre mardi 8 novembre dans le port de Catane, à l’issue d’une attente de trois jours dans le bateau et d’un processus de tri inédit et illégal.

Les autorités italiennes n'ont dans un premier temps autorisé le débarquement que de 357 personnes, sur les 572 qui se trouvaient à bord. Après ce premier tri, l'état psychologique et physique de certains des 215 rescapés restés à bord s'est dramatiquement détérioré. Un survivant a été évacué dans la nuit du 6 au 7 novembre en raison de fortes douleurs abdominales, d’autres ont été pris de crises d’anxiété.

« Le processus de débarquement sélectif fondé sur l'état de santé des survivants et le débarquement tardif effectué par les autorités italiennes sont inhumains, inacceptables et illégaux, puisque, selon le droit maritime international, les personnes secourues en mer doivent être débarquées dans un lieu sûr dans un délai raisonnable. Les États côtiers responsables doivent faire tout leur possible pour minimiser le temps que les survivants passent à bord du navire d'assistance » explique Juan Matias Gil, chef de mission de recherche et sauvetage de MSF.

« De nombreux survivants portaient en eux des traumatismes antérieurs, résultats de violences et d'abus subis en Libye, dans leur pays d'origine ou au cours du voyage. L'attente prolongée a créé une forte détresse émotionnelle et psychologique. Les épisodes d'insomnie, d'anxiété et de détresse physique et psychologique sont devenus plus fréquents de jour en jour. Et de notre côté, nous n'avions aucune réponse à donner lorsqu'ils nous demandaient pourquoi nous ne pouvions pas débarquer », explique Stefanie Hofstetter, chef d'équipe médicale MSF sur le Geo Barents.

Youssouf* et Ahmed*sont deux des 214 personnes ayant dû rester à bord de façon prolongée. Dans l'après-midi du 7 novembre, ils ont pris la décision désespérée de sauter dans l'eau, pour atteindre le quai. Une troisième personne a sauté pour les aider, craignant qu’ils ne se noient et est finalement revenue à bord. Youssouf et Ahmed ont passé la nuit sur le quai, refusant de manger et de boire, attendant une décision des autorités italiennes. Après plus de 24 heures passées sur le quai, Ahmed a présenté une forte fièvre et des signes de déshydratation et a été transporté dans l'établissement de santé le plus proche pour recevoir une assistance médicale des autorités sanitaires italiennes.

« Après des jours et des jours sur ce bateau [Geo Barents], je devenais fou. J'avais l'impression que mon corps et mes rêves étaient en train de se briser. Je suis reconnaissant pour toute l'assistance que j'ai eue à bord, mais je ne pouvais plus supporter cette situation », a déclaré Youssouf au membre du personnel MSF qui l'a assisté sur le quai, devant le Geo Barents. « J'ai quitté le nord de la Syrie pour offrir une vie sûre à ma famille. J'ai quatre filles que j'ai laissées derrière moi, en espérant qu'elles puissent me rejoindre en Europe, bientôt. La plus jeune n'a que six ans. Elles ont vu des bombes tomber sur notre ville ces dernières années, et maintenant elles ne peuvent pas aller à l'école à cause de l'insécurité dans la région. Les groupes armés sont partout, ils enlèvent les gens pour obtenir des rançons. Je crains chaque jour pour leur vie. Je veux simplement trouver un endroit où elles pourront être libérées de la peur et se sentir en sécurité. C'est mon rêve, et je ne laisserai personne me l'enlever. »

Youssouf a finalement été autorisé à débarquer le soir du 8 novembre, avec les autres survivants initialement exclus du débarquement sélectif.

Akhtar*, un jeune homme de 21 ans originaire du Bangladesh, a quitté son pays il y a presque deux ans. Son voyage l'a d'abord conduit en Syrie, en Libye et finalement en Méditerranée, où il a risqué sa vie sur un bateau en bois surpeuplé. 

« Je suis resté en Libye pendant plus d'un an, dans un camp. Je dormais avec neuf personnes dans une pièce de dix mètres carrés avec une seule toilette pour plus de 200 ou 300 personnes. La police est arrivée au camp, a arrêté beaucoup d'entre nous et m'a emmené en prison. Ils m'ont donné un téléphone au bout de quelques jours et m'ont dit d'appeler ma famille. Je n'oublierai jamais ma mère hurlant au téléphone alors que les gardes menaçaient de me couper la main avec une machette pendant que je filmais. Ma famille a fini par envoyer tout l’argent qu'elle avait pour me libérer. Je ne me pardonnerai jamais d'avoir causé toute cette douleur à ma mère. Je n'ai plus eu de nouvelles de ma famille depuis. Je veux juste les appeler et leur dire que j'ai survécu », a expliqué Akhtar.

Depuis le début de l’année, 1270 personnes au moins sont décédées ou portées disparues en Méditerranée centrale, en tentant de fuir la Libye.
« En tant qu'organisation humanitaire, nous poursuivrons les opérations de sauvetage en mer, conformément au droit maritime international, selon lequel nous avons mené nos activités jusqu'à présent. Un sauvetage commence par la sortie des personnes de l'eau, et se termine lorsque tous les survivants débarquent dans un endroit sûr », ajoute Juan Matias Gil.

*Les noms ont été modifiés

Notes

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