Cancers au Mali : « Mon espoir, c’est de pouvoir soigner les femmes à temps »

Nene Sow, sage-femme, effectue un examen du col de l’utérus pour détecter toute anomalie chez sa patiente lors d'une consultation à l’hôpital Gabriel Touré.
Nene Sow, sage-femme, effectue un examen du col de l’utérus pour détecter toute anomalie chez sa patiente lors d'une consultation à l’hôpital Gabriel Touré. © Fatoumata Tioye Coulibaly

Le 4 février marque la journée mondiale de lutte contre le cancer. A cette occasion, des soignants du ministère de la Santé malien et de Médecins Sans Frontières (MSF) témoignent de leur combat quotidien contre cette maladie à Bamako, alors que le nombre de cas détectés en Afrique au cours des vingt dernières années a plus que doublé.

Depuis la fin de l'année 2018, les équipes de MSF mènent, en partenariat avec les autorités sanitaires maliennes, un projet d’oncologie pour améliorer la détection et la prise en charge des cancers du sein et de l’utérus, qui représentent presque la majorité des cancers au Mali, tous sexes confondus.

Une course contre la montre

Le cancer affecte de plus en plus de patientes ces dernières années. Dr Mama Sy Konaté, médecin chef du centre de santé de référence de la commune VI, l’une des plus peuplées de la capitale, et son équipe de sage-femmes mènent une course contre la montre. Au Mali comme ailleurs, les chances de rémission augmentent lorsque la maladie est dépistée à un stade précoce. « Mon espoir, explique la Dr Mama Sy Konaté, c’est de découvrir les femmes atteintes de cancer et de pouvoir les soigner à temps pour qu’elles s’en sortent. C’est l’espoir d’éviter les morts, de donner la chance à toutes les femmes qui le veulent d’avoir des enfants. »

La majorité des Maliennes ne sont à l’heure actuelle diagnostiquées qu’à un stade avancé de la maladie. C’était le cas de Mariam Dicko, originaire de Mopti et décédée en début d’année 2022 d’un cancer du sein. 

Lorsque Mariam découvre qu’elle est malade il y a un peu plus de trois ans, la tumeur a déjà beaucoup progressé. Après une première opération chirurgicale à Mopti, elle se résout à venir à Bamako avec un peu d’argent récolté auprès de ses proches, rapidement épuisé par les consultations spécialisées, les examens et une deuxième opération. Incapable de continuer à payer ses soins, puis abandonnée par son mari, Mariam se retrouve isolée. Elle raconte alors avoir eu l’impression d’être « devenue un problème de trop, une surcharge que tous cherchent à éviter. » Elle décide donc de « taper à toutes les portes pour espérer atteindre des personnes de bonne volonté », notamment en passant des annonces à la radio. C’est ainsi qu’elle est mise en contact avec MSF et devient en 2021 l’une des patientes du projet. 

Nene Sow, sage-femme, effectue une palpation mammaire pour détecter toute anomalie chez sa patiente lors d'une consultation à l’hôpital Gabriel Touré.
 © Fatoumata Tioye Coulibaly
Nene Sow, sage-femme, effectue une palpation mammaire pour détecter toute anomalie chez sa patiente lors d'une consultation à l’hôpital Gabriel Touré. © Fatoumata Tioye Coulibaly

La détection précoce est un maillon essentiel pour inverser la courbe et éviter les trop nombreux décès liés aux cancers du sein et du col de l’utérus. Nene Sow, sage-femme, s’y consacre depuis des années à l’hôpital Gabriel Touré. « Sensibiliser les femmes afin qu’elles sachent ce qu’est le cancer et les encourager à venir massivement se faire dépister est une partie importante de mon travail. Nous n’avons pas attendu Octobre rose pour le faire, rappelle Nene Sow, mais cette campagne nous a permis d’atteindre beaucoup plus de femmes. Il y a quelques années, je voyais des patientes sous traitement qui n’arrivaient pas à aller au bout de leurs parcours de soins car elles avaient du mal à payer tous les frais d’imagerie, d’examens, d’hospitalisation, et certains médicaments. Lorsqu’on leur demandait de faire des analyses, certaines femmes fuyaient l’hôpital et n’y revenaient plus à cause du coût exorbitant que cela représentait. Aujourd’hui, c’est en train de changer avec le soutien de MSF. »

Améliorer la détection précoce des cancers passe entre autres par des communautés informées, des soignants formés, des équipements disponibles et des examens financièrement accessibles aux patients. 

Dans un pays où plus de 40% de la population vit dans l’extrême pauvreté avec moins de 1,70 euro par jour, le prix d’un scanner, qui peut se chiffrer à plus de 100 000 francs CFA (environ 152 euros), s’avère prohibitif. MSF prend donc également en charge des frais liés aux examens pour les patientes avec suspicion de cancer. 

Dans le bloc opératoire de l’hôpital universitaire du Point G à Bamako, le professeur Cheick Boukadary Traoré réalise une biopsie du sein pour une suspicion de cancer du sein.

L’échantillon va être analysé avec des techniques spécifiques afin de poser un diagnostic précis qui permettra de décider des traitements les plus adaptés. 

Le professeur Cheick Boukadary Traoré poursuit l’analyse du prélèvement au microscope. 

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Dans le bloc opératoire de l’hôpital universitaire du Point G à Bamako, le professeur Cheick Boukadary Traoré réalise une biopsie du sein pour une suspicion de cancer du sein.

L’échantillon va être analysé avec des techniques spécifiques afin de poser un diagnostic précis qui permettra de décider des traitements les plus adaptés. 

Le professeur Cheick Boukadary Traoré poursuit l’analyse du prélèvement au microscope. 

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Un seul laboratoire, situé à l’hôpital universitaire du Point G, est en capacité d’analyser des biopsies et de diagnostiquer des cancers. Il a été rénové et équipé l’année dernière avec l’appui de MSF. Il est dirigé par le Pr Cheick Boukadary Traoré. « Mon rôle est d’examiner les prélèvements et de les analyser pour permettre un diagnostic précis lorsqu’il y a une suspicion de cancer. Après une intervention chirurgicale pour des patients atteints de cancer, nos examens permettent aussi d’évaluer le traitement, en vérifiant l’aspect des organes, tissus et cellules. »

Néanmoins, il rappelle que cette maladie n’est pas une fatalité : ​« Avec les efforts conjugués du ministère de la Santé et de MSF, nous avons les moyens de sauver certaines femmes si le cancer est pris en charge à un stade suffisamment précoce. »

« Ce n’est pas une maladie qu’il faut cacher »

Lorsque le diagnostic de cancer est posé, la nouvelle peut représenter un véritable effondrement pour la personne concernée. « Je pensais que j’allais mourir. Je me cachais pour pleurer afin que mes enfants ne remarquent rien. » se souvient Faye Koudiata Kanté, présidente d’une association de patientes - Les combattantes contre le cancer - et de la Ligue malienne contre le cancer. 

Modibo Cissé, psychologue dans le projet de MSF, reçoit en moyenne 3 à 4 patientes par jour dans son bureau de l’hôpital universitaire du Point G, en complément des séances de groupe et des visites à domicile. Les médecins font régulièrement appel à lui après l’annonce du diagnostic, lorsqu’une patiente est bouleversée durant les séances de chimiothérapie, ou lorsqu’il y a des nouvelles difficiles à partager avec la patiente et son entourage. 

Selon lui, « La famille de la patiente joue un rôle très important. La personne traverse une situation de vie particulière et a besoin du soutien de ses proches. Un de mes objectifs, c’est de participer à la qualité de ce soutien, à l’intégration sociale des patientes, car il reste encore des représentations négatives associées au cancer, qui serait une sorte d'envoûtement ou de sort. Il faut expliquer que c’est une maladie comme les autres, que ce n’est pas contagieux. Ce que je conseille souvent, c’est d’accepter de s’exprimer tout au long de ce parcours, de partager pour pouvoir être aidé. Même si c’est difficile. » 

Je ne voulais pas que cela arrive à d'autres.

« J’ai été amputée d’un sein. Au début, je pensais avoir été piquée par une fourmi. Quand je me suis aperçue qu’une partie de mon sein enflait, je suis allée à l’hôpital et on m’a dit qu’il s’agissait d’un cancer. C’était dur. Ce jour-là je me suis promis de créer une association pour les femmes si je guérissais. Ce n’est pas une maladie qu’il faut cacher. »

Faye Kadiatou Kanté, présidente de l’association Les combattantes contre le cancer

© MSF

Une prise en charge globale

L'un des volets du projet de MSF comprend l’accompagnement des patientes tout au long de leur parcours thérapeutique, notamment pour en assurer la gratuité. Aux côtés des soignants du ministère de la Santé, MSF réalise les séances de chimiothérapie et prend en charge les coûts liés aux interventions chirurgicales et à la radiothérapie. Soins palliatifs, suivi infirmier des plaies tumorales, soutien psychologique et social font partie intégrante de cet accompagnement. 

Zeinebou Tapa Danyoko travaille avec MSF au service d’hémato-oncologie de l’hôpital du Point G. Une quinzaine de patientes atteintes du cancer du sein ou du col de l’utérus s’y rendent chaque jour pour leur séance de chimiothérapie.

Une patiente atteinte d’un cancer du sein reçoit les médicaments qui lui sont prescrits et l’infirmière MSF lui explique la posologie et les possibles effets secondaires.
 © Fatoumata Tioye COULIBALY
Une patiente atteinte d’un cancer du sein reçoit les médicaments qui lui sont prescrits et l’infirmière MSF lui explique la posologie et les possibles effets secondaires. © Fatoumata Tioye COULIBALY

« La première fois, elles sont souvent très effrayées, constate l’infirmière. Je fais de mon mieux pour fournir des explications, pour rassurer. J’implique le psychologue quand c’est nécessaire. Ce qui me plaît, c’est d’aider des femmes comme moi, de les épauler dans ces moments difficiles, de les soigner. Il ne faut pas que les femmes qui ont un cancer se découragent et abandonnent, au contraire. C’est aussi important d’en parler dans notre entourage, auprès de nos mamans, nos sœurs, nos amies, et de les encourager à être régulièrement dépistées. »

En 2021, 1910 séances de chimiothérapie, 119 interventions chirurgicales et 105 séances de radiothérapie ont été effectuées ou prises en charge au sein du projet mené par MSF, et ont bénéficié à 645 femmes. 

Selon l’agence internationale de recherche contre le cancer, qui s’appuie sur le registre national des cancers du district de Bamako et des modèles épidémiologiques pour produire des estimations à l’échelle de la population du pays, il y aurait eu au Mali environ 14 000 nouveaux cas de cancer en 2020, parmi lesquels près de 4 400 nouveaux cas de cancer du sein et du col de l’utérus. Si derrière ces chiffres, encore sous-estimés, se cachent des réalités tragiques, la mobilisation des soignants et des patients contre le cancer est bien réelle et a besoin d’être soutenue. 

Notes

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