Kenya : dans le bidonville de Mathare, le coronavirus met en péril les soins essentiels

Pour le demi-million de personnes vivant à Mathare, l'un des plus grands bidonvilles du Kenya, l'arrivée de l'épidémie de Covid-19 dans le pays apporte une menace encore plus importante que le virus lui-même : une offre de soins généraux qui se réduit, privant de nombreuses personnes de services essentiels. Dans ce contexte, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) fournissent des soins d'urgence et un accompagnement pour les victimes de violences sexuelles.
715 cas de Covid-19 et 36 décès étaient dénombrés au Kenya, au 13 mai. La plupart des habitants du bidonville de Mathare vivent déjà dans des conditions précaires, dans des habitations souvent bondées, avec un accès limité à l'eau potable, ce qui rend impossible d'adopter les mesures préventives contre le coronavirus. Résultat : une situation aux conséquences potentiellement dramatiques, où le besoin de soins augmente, alors que l'offre est considérablement réduite.

« De nombreuses structures de santé privées ferment à cause du risque de contamination et du manque d'équipements de protection individuelle pour les soignants. Nous savons qu'au moins un centre de santé public a été fermé et les membres de son personnel mis en quarantaine après que certains d'entre eux ont été testés positifs, explique le Dr Hajir Elyas, coordinateur de projet de MSF à Mathare. Certains hôpitaux refusent d'admettre des patients souffrant de problèmes respiratoires, même si le diagnostic du coronavirus a été écarté. De nombreux patients souffrant de tuberculose, d'asthme ou de pneumonie se retrouvent ainsi dans des centres d'isolement Covid-19, ce qui retarde leur traitement, et augmente considérablement les risques d'infection pour eux et leurs familles. »
Maintenir l'accès aux soins pour les patients non-covid
Mathare, comme dans de nombreux autres pays, MSF s'efforce d'adapter ses programmes pour maintenir ses activités médicales, notamment la prise en charge des urgences vitales. Jusqu'à présent, elles y sont parvenues. Néanmoins, pour MSF aussi, la disponibilité d'équipement de protection est indispensable pour protéger les patients et le personnel contre les risques d'infection. Or la pénurie mondiale de matériel de protection pourrait contraindre MSF à arrêter ses programmes - y compris ses activités d'urgence –. Le nombre de cas de coronavirus signalés est resté relativement faible jusqu'à présent, mais l'on s'attend à ce qu'il augmente, tout comme le nombre de victimes indirectes - les personnes sans accès aux soins pour tout autre maladie ou condition médicale.
En avril, 551 appels pour l'ambulance MSF et plus de 2 300 admissions aux urgences ont été enregistrés : des chiffres record depuis le début de l'année. Nos activités se sont élargies pour tenter de combler la réduction de l'offre de soins causée par l'épidémie : entre mars et avril par exemple, le nombre de trajets en ambulance pour des urgences obstétricales a plus que doublé (de 98 à 209) car les femmes enceintes peinent de plus en plus à trouver des moyens de transport la nuit.

« Aucun taxi ou véhicule de service public ne fonctionne après le couvre-feu, pas même les boda boda (taxis-motos) que les gens utilisent dans les bidonvilles. Pour les femmes enceintes, c'est un véritable défi, explique George Wambugu, directeur des activités médicales de MSF. Cela expose les futures mères à des complications obstétricales. L'accouchement commence parfois dans l'ambulance ou dans la salle de traumatologie. Récemment, une femme a accouché dans notre ambulance d'un bébé prématuré qui avait besoin de réanimation. Heureusement, le bébé a survécu et les deux se portent bien. »
Les victimes de violences sexuelles dans le bidonville sont confrontées à une situation particulièrement difficile également. Entre le manque de transport et l'insécurité qui règne la nuit, le nombre de personnes se présentant à la « Lavender House », le centre MSF dédié aux victimes de violences sexuelles, a diminué alors que plusieurs éléments suggèrent une hausse du nombre d'incidents. « Nous savons que le nombre de cas est en augmentation, explique le Dr Elyas. Nous avons reçu des appels de femmes ou d'enfants livrés à leur agresseur, sans aucun moyen de s'enfuir ni d'accéder aux soins. »