Myanmar : les Rohingyas pris au piège des combats dans l’Etat de Rakhine sans aide ni protection

Un Rohingya a perdu sa jambe dans une explosion alors qu'il entrait au Bangladesh. En raison de la gravité de ses blessures, il est admis dans la structure de MSF à Ukhiya, où le personnel de MSF lui prodigue des soins.
Un Rohingya a perdu sa jambe dans une explosion alors qu'il entrait au Bangladesh. En raison de la gravité de ses blessures, il est admis dans la structure de MSF à Ukhiya, où le personnel de MSF lui prodigue des soins. © MSF

La violence s'est intensifiée dans l'État de Rakhine au Myanmar, depuis la reprise des combats en novembre 2023 entre les forces militaires du Myanmar et l'armée séparatiste de l'Arakan. Pris en étau, sans protection ni assistance, les Rohingyas sont de plus en plus nombreux à venir se réfugier au Bangladesh malgré une frontière maintenue fermée entre les deux pays et des camps déjà surpeuplés aux conditions de vie extrêmement précaires.

« Nous avons entendu des explosions, des coups de feu et des cris, raconte Ruhul, un jeune Rohingya se remémorant les combats qui ont dévasté en mai la ville de Buthidaung. Ma famille et moi avons fui notre maison dans le chaos, cherchant à nous mettre à l'abri dans les collines voisines. »  

« J'ai été séparé de mes parents et j'ai passé plusieurs jours à me cacher dans la jungle avec mes cousins et d'autres jeunes, dans la faim et la peur. J'ai marché sur deux mines terrestres. La première ne m’a pas blessé, mais la seconde m'a arraché le pied. » Ruhul n'a pas reçu de soins médicaux pendant neuf jours jusqu'à ce qu'il puisse traverser la frontière du Bangladesh et atteindre un hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF) dans les camps de Cox's Bazar.  

Des villages entièrement rasés

Depuis novembre 2023, le nord de l'État de Rakhine, au Myanmar, est dévasté par l'intensification du conflit entre les forces armées du Myanmar et l'armée de l'Arakan, groupe séparatiste allié à d’autres groupes ethniques. L’usage de la violence extrême, (utilisation d'armes lourdes, frappes de drones,incendies criminels) a conduit à la destruction de villages entiers, tuant, blessant et déplaçant les civils. Les deux parties au conflit enrôlent des civils de force et attisent les tensions ethniques entre les communautés.  

La violence touche divers groupes ethniques vivant dans l’Etat de Rakhine, mais la communauté Rohingya, qui est l'un des groupes les plus persécutés depuis des décennies, se retrouve particulièrement prise en étau. Les 17 et 18 mai, à Buthidaung, des maisons et des biens civils ont été réduits en cendres et des milliers de Rohingyas (dont beaucoup avaient déjà été déplacés d'autres régions) ont fui la ville.  

Entre le 5 et le 17 août, les équipes de MSF dans les camps de Cox's Bazar au Bangladesh ont soigné 83 patients rohingyas souffrant de blessures de guerre. 48 % d'entre eux étaient des femmes et des enfants. Ils ont déclaré avoir traversé la frontière après avoir fui une attaque à Maungdaw.  

Ces patients qui sont arrivés dans les structures de MSF souffraient de blessures par balle, de mutilations dues à des mines terrestres. Certains se trouvaient dans un état critique en raison également du manque de médicaments pour traiter des maladies potentiellement mortelles telles que le VIH ou la tuberculose. Ces médicaments ne sont plus disponibles à Rakhine.    

L'accès aux soins de santé est quasiment inexistant

Le passage de la frontière entre le Myanmar et le Bangladesh, qui comprend la traversée de la rivière Naf, a été décrit par beaucoup comme particulièrement périlleux. La frontière étant officiellement fermée, les gens sont contraints de verser d'énormes pots-de-vin aux autorités, aux groupes armés ou aux passeurs pour pouvoir traverser.  

« Le voyage a été marqué par des difficultés à chaque étape, explique Mojibullah. Nous avons rencontré des passeurs qui nous ont demandé des sommes exorbitantes pour une traversée dangereuse en bateau et nous avons été confrontés à l'hostilité des gardes-frontières à notre arrivée au Bangladesh. Malgré nos appels à l'aide, notamment pour répondre aux besoins médicaux urgents de mes petits-enfants, nous avons été repoussés au Myanmar. »  

Dans le nord de la province de Rakhine, l'accès aux soins de santé est quasiment inexistant. Les centres de santé ne fonctionnent pas, ayant été endommagés par les combats, délaissés par le personnel médical qui a fui la violence, ou laissés sans fournitures médicales en raison des combats et de la difficulté à réapprovisionner les stocks.   

En juin, MSF a été contrainte de suspendre ses activités médicales pour une durée indéterminée dans les cantons de Buthidaung, Maungdaw et Rathedung, après l'incendie de ses locaux et de son stock de médicaments. Avant cette suspension, MSF a été témoin d'attaques dans des zones civiles très peuplées, comme des marchés et des villages, ainsi que d'attaques contre des établissements de santé.  

Un adolescent rohingya est arrivé à l'hôpital MSF avec une grave blessure à la jambe en provenance du Myanmar. Le personnel de MSF nettoie la zone de la blessure.
 © MSF
Un adolescent rohingya est arrivé à l'hôpital MSF avec une grave blessure à la jambe en provenance du Myanmar. Le personnel de MSF nettoie la zone de la blessure. © MSF

Une situation de plus en plus précaire

Les équipes de MSF au Bangladesh ont reçu 115 blessés de guerre rohingyas depuis juillet 2024, dont des hommes, des femmes et des enfants souffrant de blessures dues à des violences extrêmes. Si les Rohingyas nouvellement arrivés à Cox's Bazar ont réussi à fuir la zone de conflit et à accéder à un certain niveau de soins médicaux, ils sont contraints de se cacher constamment par crainte d'être expulsés vers le Myanmar.  

Dans le même temps, ils sont confrontés à une situation de plus en plus précaire dans les camps où vivent déjà 1,2 million de personnes. Outre la montée de la violence et des enlèvements dans les camps, notamment en vue d'un enrôlement forcé dans des groupes armés au Myanmar, ils sont nombreux à vivre dans la peur et l'angoisse de ce qu'ils ont vécu et du sort de leur famille au Bangladesh et dans leur pays d'origine.   

Après avoir atteint le Bangladesh, Mojibullah n'a pas encore trouvé la paix. « Ma famille et moi avons du mal à accepter la perte d'êtres chers et l'incertitude de notre avenir. »  

Selon les chiffres de l'ONU, environ 327 000 personnes ont été déplacées dans l'État de Rakhine et dans le canton de Paletwa, dans l'État de Chin, depuis la reprise du conflit au Myanmar en novembre 2023. En raison des vagues de déplacement précédentes, cela porte le nombre total de personnes déplacées dans l'État de Rakhine et le canton de Paletwa dans l'État de Chin à plus de 534 000.  

MSF appelle les parties au conflit à garantir la protection des civils contre les attaques directes et les dommages collatéraux, ainsi que l'interdiction des attaques indiscriminées. Nous demandons également aux autorités et à tous les acteurs présents des deux côtés de la frontière de faciliter un accès d’urgence à une assistance médicale et humanitaire pour toutes les personnes qui en ont besoin. 

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