Niger : vers une crise nutritionnelle de grande ampleur

Le millet perlé est un aliment de base très apprécié dans le sud du Niger. En raison de la répartition inégale des pluies, la quantité récoltée diminue et la qualité varie, augmentant ainsi l'insécurité alimentaire. Octobre 2021.
Le millet perlé est un aliment de base très apprécié dans le sud du Niger. En raison de la répartition inégale des pluies, la quantité récoltée diminue et la qualité varie, augmentant ainsi l'insécurité alimentaire. Octobre 2021. © Mario Fawaz/MSF

Diminution des récoltes due à la sécheresse, insécurité croissante dans certaines zones du pays et impact de la covid-19 laissent présager une situation nutritionnelle critique pour 2022 au Niger. MSF travaille en appui au ministère de la Santé nigérien pour fournir des services médico-nutritionnels dans la région de Maradi, plus exactement dans le district de Madarounfa, frontalier avec le Nigeria. Interview avec Isabelle Defourny, directrice des opérations, de retour du terrain.

Quelles sont les perspectives pour l’année 2022 en termes de nutrition et de sécurité alimentaire à Maradi ?

L’année dernière, notre programme dans la région de Maradi a dû augmenter ses capacités en urgence pour prendre en charge 30 000 enfants hospitalisés, dont plus de 12 000 pour malnutrition aiguë sévère associée à des complications médicales. Sur la même période, les équipes ont également soigné 35 000 enfants sévèrement malnutris suivis en ambulatoire. Aujourd’hui, plusieurs indicateurs convergent pour présager d’une situation encore plus critique pour la période de soudure qui débute chaque année autour du mois de juin.

A travers le pays, les récoltes sont inférieures de 39% à la moyenne de production des cinq dernières années, selon les autorités. Ce déficit est principalement lié à la sécheresse de 2021 que les experts disent comparable à celles, exceptionnelles, de 2004 et 2011, qui avaient été suivies de crises nutritionnelles de grande ampleur. A cela s’ajoute l’insécurité sur certaines zones du pays, limitant les habitants dans leurs déplacements et la pratique de leurs activités agricoles. Combiné à l’impact collatéral de la covid-19 sur l’économie, cela entraîne une hausse générale du prix des denrées : mil, sorgho et maïs sont 25 à 31% plus chers que l'année passée à la même période. 

Ces tendances nationales se retrouvent à Maradi, où les prix s’envolent alors que l’insécurité progresse dans les villages frontaliers avec le Nigeria. Les vols, enlèvements et autres violences physiques contre les populations sont en hausse dans le district de Madarounfa. Et la frappe aérienne sur le hameau de Nachambé le 18 février, qui a causé la mort d’au moins quatre enfants, représente un nouveau palier dans cette escalade. De l’autre côté de la frontière, au Nigéria, la situation tant sécuritaire que nutritionnelle reste catastrophique à Katsina, où nous avons démarré une intervention d’urgence en juillet dernier. De nombreuses familles nigérianes continueront vraisemblablement de traverser la frontière pour que leurs enfants malnutris soient pris en charge au Niger. 

Selon les projections de l’IPC, initiative mondiale d’analyse de la sécurité alimentaire et de la nutrition, jusqu’à 3,6 millions de personnes pourraient être en situation de crise alimentaire (phase IPC 3 et plus) en juin 2022 au Niger, soit 15% de la population, et près de 1,3 million d’enfants en malnutrition aigüe. [1] 

Comment s’organise la réponse à la crise annoncée ?

Depuis plusieurs années, les fonds dédiés à la prévention et à la prise en charge de la malnutrition aiguë dégringolent. Aujourd’hui, les différents acteurs s’accordent sur la gravité de la situation mais les moyens pour y faire face n'ont pas encore été alloués. Le gouvernement nigérien a récemment partagé un plan de réponse pour les populations vulnérables. Les différentes agences onusiennes comme l’UNICEF et le Programme Alimentaire Mondial (PAM) alertent également sur l’ampleur de la crise alimentaire et nutritionnelle au Sahel, et au Niger en particulier. 

Il ne faut pas perdre de vue que les commandes et l’acheminement de vivres et de produits alimentaires thérapeutiques peuvent prendre plusieurs mois et que les enfants vont commencer à affluer dans les services nutritionnels à partir de juin. Du financement de ces différents plans et acteurs dépendra donc, en partie, le déploiement dans les temps d’une aide alimentaire adaptée. 

Par ailleurs, si une attention particulière est logiquement portée sur le sort des populations en zones de conflit à Tillabéry et Diffa, il ne faudrait pas que la réponse humanitaire délaisse les régions considérées comme plus stables, telles que Maradi et Zinder. Celles-ci représentent, en volume, les foyers les plus importants de malnutrition aiguë du pays.

Quelles sont les priorités de MSF pour les mois à venir ?

Nos équipes se préparent à nouveau à prendre en charge un nombre particulièrement élevé d’enfants dans les centres de santé et services hospitaliers que nous soutenons. Nous souhaitons élargir notre action à tous les enfants souffrant de malnutrition aiguë - pas uniquement les plus sévères - et renforcer les activités de prévention et de prise en charge du paludisme. Il faudra aussi rester vigilants sur l’évolution de la situation et les actions mises en œuvre par les différents acteurs pour que la réponse soit à la hauteur de la crise traversée.

Des progrès majeurs ont été accomplis au Niger pour réduire la mortalité infantile et combattre la malnutrition aiguë depuis près de vingt ans. Pour autant, devrait-on se satisfaire de l’hospitalisation de dizaines de milliers d’enfants malnutris en état critique chaque année ? Pourquoi se limiter à sauver ces enfants et aider leurs familles uniquement lorsqu’ils atteignent les stades les plus sévères de la maladie, engageant leur pronostic vital ? Des efforts de longue haleine, bien au-delà des seules capacités de MSF, restent encore à mener pour développer des campagnes de prévention plus efficaces et assurer l’accès à des suppléments nutritionnels ainsi qu'aux soins pédiatriques à plus grande échelle.

Notes

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