« Je me souviens parfaitement de cette nuit-là. Nous étions au milieu de la Méditerranée. On ne voyait rien. Le ciel et la mer formaient une seule et même toile noire. Et puis, dans l'obscurité, nous les avons vus. Ils étaient une centaine entassée sur un canot pneumatique, prévu pour 20 personnes. Certains passagers avaient déjà été emportés par-dessus bord et s'accrochaient aux gonfleurs du pneumatique. Un peu plus loin derrière, un autre bateau émergeait, puis encore un autre.
C'était en 2016, je faisais partie de l’équipe médicale humanitaire à bord d'un navire de recherche et de sauvetage de MSF. Nous avions reçu un appel de détresse du Centre de coordination et de sauvetage maritime italien, nous demandant d'apporter assistance à plusieurs bateaux. Le lendemain matin, à 11 heures, nous avions secouru plus de 1 100 personnes.
Cette expérience reste ancrée dans ma mémoire : l’interminable attente pendant que nous cherchions les bateaux à la dérive, la montée d'adrénaline pendant le sauvetage, l'efficacité dont a fait preuve toute l’équipe dès que les survivants ont été hissés à bord, évaluant leur état de santé et prodiguant les premiers soins.
Après chaque sauvetage, nous avions l’habitude de discuter avec les survivants et survivantes et d’écouter leur récit : les horreurs endurées en Libye, la terreur de prendre la mer avec des bateaux défectueux, et la lueur d'espoir de rejoindre un endroit où la vie sera meilleure.