RDC : des violences sexuelles endémiques, amplifiées par les conflits, et un manque critique de prise en charge

Une survivante de violences sexuelles, dans l'hôpital général de référence de Salamabila, où travaillent les équipes MSF. République démocratique du Congo.
Une survivante de violences sexuelles, dans l'hôpital général de référence de Salamabila, où travaillent les équipes MSF. République démocratique du Congo. © MSF/Carl Theunis

Pour la seule année 2020, les équipes MSF qui travaillent en République démocratique du Congo (RDC) ont pris en charge près de 11 000 victimes de violences sexuelles. Que ce soit dans des provinces touchées par des conflits armés (Ituri, Sud-Kivu, Nord-Kivu) ou d’autres zones considérées comme plus stables (Kasaï central, Maniema, Haut-Katanga), les violences sexuelles sont endémiques, et les victimes peinent à trouver des soins et une prise en charge adéquate. Une récente analyse des données de MSF met en exergue l’ampleur de ces urgences médicales et la faiblesse de la réponse dans ce domaine.

Ce sont quelque 10 800 dossiers qui ont été étudiés par les équipes de Médecins Sans Frontières, afin de cerner les dynamiques à l’œuvre dans la prise en charge des violences sexuelles en RDC. Compte-tenu de la stigmatisation et de la pression qui pèsent sur les victimes, ces chiffres sont toutefois loin de représenter l’ampleur réelle du phénomène. « Le problème des violences sexuelles en RDC est reconnu et dénoncé par de nombreux acteurs nationaux ou internationaux, souligne Juliette Seguin, cheffe de mission MSF. Pourtant, les actes concrets peinent à venir, que ce soit en termes de prévention ou de protection des personnes. »

« Je revenais d’un enterrement quand un homme que je connaissais m’a arrêtée et violée. Il m’avait demandé de l’épouser, j’avais refusé, explique Louise*, 28 ans, une habitante d’Ituri. Je suis une personne divorcée, mon mari ne remplissait pas ses obligations, il buvait et dépensait tout l’argent de notre ménage. Mon violeur n’était pas armé. J’étais très choquée. J’ai réussi à rentrer chez moi et à retrouver mes enfants. »

La quasi-totalité (98 %) des victimes de violences sexuelles prises en charge par MSF sont des femmes, et 19 % sont des mineures. Dans tous les cas, les victimes font face à de nombreux obstacles pour bénéficier d’une prise en charge, aussi bien à court terme qu’à long terme.

Une urgence médicale négligée

Plus d’un tiers des patientes (38 %), se sont présentées plus de 72 heures après l’agression sexuelle. Ce laps de temps est pourtant déterminant dans la prise en charge des victimes, car il permet d’administrer certains traitements efficaces. De nombreux obstacles s’opposent à la recherche ou à l’administration de soins, comme la stigmatisation, l’intimidation, les risques de représailles ou le manque de moyens financiers, certaines n’ayant pas les moyens de payer le transport jusqu’à une structure de santé. 

72 heures capitales pour les victimes

Une prise en charge d’urgence dans les 72 heures suivant l’agression sexuelle permet notamment d’administrer des traitements préventifs contre les maladies sexuellement transmissibles (prophylaxie post-exposition) telles que le VIH, la syphilis et la gonorrhée. Des vaccinations contre l'hépatite B et le tétanos peuvent également être fournies dans certains cas. Quant aux contraceptifs d'urgence, ils permettent d’éviter les grossesses non désirées : la pilule du lendemain peut être prescrite jusqu’à 120 heures après l’agression sexuelle.

© Candida Lobes/MSF

« Beaucoup d’enfants que nous recevons arrivent un ou deux mois après l’agression. Ils viennent parce qu’ils commencent à développer des changements de comportement. Lorsque nous parlons avec les enfants, ils nous racontent ce qu’il s’est passé et ce que l’agresseur leur a dit, qu’il allait les tuer s’ils parlaient », explique un membre des équipes MSF en RDC. 

Les conditions de l’agression retardent également l’accès aux soins. Certaines patientes sont arrivées après ces 72 heures, car elles étaient kidnappées ou détenues par leurs agresseurs : cela concerne une patiente sur dix dans la zone de santé de Masisi (Nord-Kivu). 

Les agressions sexuelles sont souvent accompagnées d’autres types de violences qui nécessitent des soins chirurgicaux ou psychologiques d’urgence. Beaucoup de survivantes expliquent avoir été battues, avoir subi des mauvais traitements et assisté au pillage de leur maison et de leur village, voire à l’assassinat de leurs proches, pendant qu’elles étaient violées. Les patientes présentent souvent des infections, des grossesses non désirées, des blessures physiques et des traumatismes psychologiques sévères.

Violences sexuelles et groupes armés

Les conflits armés, qui durent pour certains depuis des années, et la présence et les mouvements de groupes armés étatiques et non étatiques, contribuent à l’ampleur des violences sexuelles dans les zones d’intervention de MSF. Les témoignages recueillis sont nombreux, comme celui de Marie, 20 ans, une habitante du Nord-Kivu : « Je me rendais au champ. Autour de 15 heures, des hommes nous ont arrêtés en route. Ils ont demandé aux hommes de s’asseoir par terre. Ils ont dit, “ Vous, les femmes, descendez dans la brousse”. Ils ont alors commencé à nous violer l’une après l’autre. L’une d’entre nous a crié et a voulu résister. Mais ils ont commencé à charger leurs armes en disant qu’ils allaient nous tuer si nous continuions à résister. »

Des victimes de violences sexuelles attendent d'être prises en charge par les équipes MSF en République démocratique du Congo. 2018.  © MSF/Carl Theunis
Des victimes de violences sexuelles attendent d'être prises en charge par les équipes MSF en République démocratique du Congo. 2018. © MSF/Carl Theunis

Les deux tiers (67 %) des survivantes disent avoir été agressées par des hommes en armes. Les équipes MSF observent un rapport entre la dégradation de la situation sécuritaire de certaines zones et la proportion de patientes agressées par des porteurs d’armes. À Masisi (Nord-Kivu), la proportion d’agressions sexuelles perpétrées par des acteurs armés est passée de 60 % au cours du premier trimestre de l’année à 89 % au cours du quatrième trimestre, conjointement à l’aggravation de l’insécurité dans les lieux des agressions.

Les déplacements forcés, particulièrement fréquents en RDC en raison des conflits armés, accroissent la vulnérabilité aux violences sexuelles. Ainsi, une forte proportion de victimes de violences sexuelles s’identifient comme étant des personnes déplacées. Dans le Nord-Kivu, c’est le cas de 39 % des victimes prises en charge dans la zone de santé de Kibirizi. Certaines d’entre elles ont été agressées dans des lieux où elles devraient être protégées de la violence, comme dans les camps de personnes déplacées. D’autres le sont au cours de leurs déplacements, lorsqu’elles sont en quête de nourriture pour leur famille.

Des victimes exclues de la communauté

« Je ne suis plus la même aujourd’hui. Je ressens des douleurs partout, au dos, au bas-ventre...  Mais le pire, c’est le regard des autres et l’isolement, déplore Léonie*, 40 ans, une habitante du Kasaï. De retour à la maison, mon mari m’a signifié la fin de notre union. Il n’a pas supporté ce qu’il a vu. Il m’a répudiée et nous a chassés de la maison, les enfants et moi. » 

Ce que mettent également en avant les analyses et entretiens menés par MSF, c’est le rejet qui affecte durablement les survivantes de violences sexuelles. « Nous voyons des patientes qui ont été agressées sexuellement à plusieurs reprises. Elles nous disent qu’elles connaissent d’autres femmes qui ont été agressées, mais qui ne viennent pas à la consultation par peur d’être rejetées par leur mari. Elles souffrent donc chez elles, en silence. », indique un membre du personnel MSF.

Depuis mai 2017, les équipes MSF offrent des soins médicaux, qui comprennent une prise en charge psychologique, aux victimes de violences sexuelles dans l'hôpital provincial de Kananga.  © Candida Lobes/MSF
Depuis mai 2017, les équipes MSF offrent des soins médicaux, qui comprennent une prise en charge psychologique, aux victimes de violences sexuelles dans l'hôpital provincial de Kananga. © Candida Lobes/MSF

Félicité* est une jeune femme de 19 ans qui vit à Goma dans la province du Nord-Kivu. Après la mort de son père, elle est allée vivre chez son oncle. « Un jour, il est venu dans ma chambre et m'a apporté une bouteille de soda. Après l'avoir bue, j'ai perdu la tête : il y avait de la drogue dedans. Une fois réveillée, je me suis rendue compte qu'il m'avait violée. J’ai trouvé le courage de le dire à sa femme, mais elle m'a chassée de la maison en disant que j'essayais de créer un problème au sein de sa famille. Après cela, je ne savais plus quoi faire. Je n'avais nulle part où aller. Je n'avais que 17 ans et je devais trouver comment gagner mon pain quotidien. Pour survivre, je suis devenue travailleuse du sexe. »

Ce rejet s’accompagne d’un très fort impact économique et social sur les survivantes de violences sexuelles. De nombreuses femmes ne trouvent pas d'endroit où s'abriter et dépendent du soutien de programmes destinés à aider les survivantes. Cependant, sans financement pour créer ou maintenir ces programmes actifs, ce soutien n'arrive souvent jamais.

À Kananga, dans la province du Kasaï, MSF gère une clinique spécialisée où les survivantes de violences sexuelles reçoivent des soins médicaux et psychologiques gratuits. « Souvent, la patiente ne souffre d'aucune pathologie, mais prétend avoir "mal partout", explique Corneille Kangangila, superviseur de santé mentale pour MSF. C'est un point d'entrée pour commencer une prise en charge psychologique. La violence sexuelle n'a pas que des conséquences physiques. Ce qui me touche profondément, c'est le niveau de violence que subissent nos patients. L'ampleur du traumatisme lié au viol est exacerbée par le rejet de la victime. » 

Un manque de moyens et de financement

MSF constate dans ses zones d’intervention un nombre insuffisant de structures de santé capables d’offrir aux victimes de violences sexuelles une prise en charge complète. Souvent, lorsqu’une structure de santé est disponible, le nombre de kits de prophylaxie post-exposition est insuffisant, les dates d’expiration sont très proches et les équipes médicales manquent de formation. Du fait du manque d’intrants médicaux, la contraception d’urgence et certaines vaccinations essentielles comme le tétanos ou l’hépatite B ne sont souvent pas réalisées.

Au cours du premier semestre 2020, on estime qu’à peine une victime sur quatre en RDC a disposé d’une prise en charge médicale, 5 % d’une assistance psychosociale, 15 % d’une assistance juridique et seulement 0,5 % ont pu bénéficier d’une réinsertion socioéconomique.

« Les besoins immédiats et à long terme sont gigantesques, mais les approches et les financements qui permettraient d’y répondre font dramatiquement défaut. Là où nous intervenons, les besoins sont très loin d’être couverts. », conclut Juliette Seguin.

* Tous les prénoms ont été modifiés.

Notes

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