Réduire la mortalité maternelle : informer, soigner et accompagner les femmes et les filles

Dans de nombreux contextes, la grossesse et l’accouchement sont des événements à haut risque pour la santé des femmes. En 2020, selon l’OMS, près de 95 % des décès maternels sont survenus dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, et la plupart auraient pu être évités. Médecins Sans Frontières (MSF) travaille auprès de ces femmes, pour prévenir et traiter les complications. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Clémence Chbat, Spécialiste de la Santé des femmes à MSF, revient sur les enjeux de santé liés à l’accès aux soins maternels et les solutions mises en place sur les terrains d’intervention MSF.
En quoi l'accès à un suivi prénatal et à un accouchement sécurisé permettent de lutter contre la mortalité maternelle ?
Ce sont les 24 heures autour de l'accouchement qui constituent la période la plus dangereuse pour la santé de la femme et de son bébé. Un accouchement sécurisé, avec du personnel formé, un équipement adéquat et une disponibilité 24/7, est essentiel pour éviter les complications graves. Pour être efficace, les structures doivent être en mesure d’assurer sept fonctions essentielles : administration d’antibiotiques, d’anticonvulsivants et d’utérotoniques (médicaments servant à contracter l’utérus), utilisation de la ventouse obstétricale, aspiration manuelle, retrait manuel du placenta et réanimation du bébé.
Parmi les complications les plus mortelles au moment de l’accouchement figurent l’hémorragie, due à un décollement prématuré, une déchirure ou une mauvaise séparation du placenta, pouvant entraîner une perte de sang fatale en quelques heures. L’infection est un autre risque majeur, en particulier lorsque les pratiques d'accouchement sécurisés ne sont pas respectées. Les maladies hypertensives, si elles ne sont pas prises en charge, peuvent évoluer vers une éclampsie, provoquant des convulsions potentiellement mortelles. Enfin, le travail obstrué, fréquent chez les adolescentes ou les femmes malnutries, empêche le bébé de passer par le bassin. Sans geste chirurgical, cette situation peut conduire au décès maternel ou à des fistules obstétricales aux conséquences handicapantes.
En amont de l’accouchement, le suivi prénatal permet d’anticiper et de traiter de nombreuses potentielles complications graves. Nous dépistons des pathologies telles que l'hypertension artérielle, l'anémie, le paludisme, le VIH, la syphilis, ou encore la malnutrition, maladies qui compromettent la santé de la femme et de l’enfant si elles ne sont pas prises en charge. Un minimum de quatre consultations est recommandé pour un suivi optimal. Malheureusement, dans de nombreux projets menés par MSF, nous voyons souvent les femmes pour la première fois au moment de l’accouchement, trop tard pour prévenir des complications déjà installées.
Pourquoi les femmes et les filles enceintes arrivent-elles trop tard dans les structures de santé MSF ?
C'est un problème multifactoriel. D’abord, on peut parler du manque d’accès à l’information. Lorsque les femmes ne connaissent pas les signes de dangers (saignements, fièvre ou utérus douloureux par exemple), elles ne peuvent pas toujours réagir à temps. Même lorsqu’elles identifient ces symptômes, elles ne savent souvent pas où aller, quand consulter ou quel professionnel de santé solliciter.
À cela s’ajoute un problème de prise de décision. Dans de nombreux contextes, ce ne sont pas les femmes elles-mêmes qui décident de leur santé, mais leur mari, un homme de la famille ou la belle-mère. Même pour une urgence vitale comme une transfusion sanguine, le consentement des hommes de la famille est parfois nécessaire, retardant ainsi la prise en charge.
L’accès aux soins est aussi une question logistique. Dans de nombreux pays, les femmes possèdent bien moins de ressources financières que les hommes et en sont donc dépendantes pour, par exemple, payer un taxi et se rendre à l’hôpital. Elles ne disposent pas forcément d’un téléphone pour appeler un centre de santé. En Syrie, par exemple, malgré un bon niveau d’éducation, les femmes restent très dépendantes de leur mari ou des hommes de la famille pour ces démarches.
Dans les contextes de crise humanitaire, l’accès aux soins devient encore plus difficile. Les distances entre les lieux de vie des femmes et les centres de santé peuvent être considérables. Dans certaines régions comme la Cisjordanie, ce sont les checkpoints militaires qui ralentissent le trajet des femmes vers l’hôpital. Ailleurs, ce sont les conflits eux-mêmes qui rendent l’accès aux soins dangereux. Au Soudan, par exemple, le 10 janvier 2025, une accompagnatrice a été tuée dans une ambulance alors qu’elle transportait une femme enceinte vers un centre de santé.
Les catastrophes naturelles ont également un impact énorme sur l’accès aux soins. On peut prendre l’exemple des tremblements de terre de 2023 en Turquie, en Syrie ou en Afghanistan, qui ont coupé les routes et ont fait s’effondrer les systèmes de santé locaux. Face à ces obstacles, les familles préfèrent souvent laisser les femmes sans suivi médical plutôt que de risquer un trajet de plusieurs heures pour rejoindre un hôpital.
Même lorsque ces barrières sont franchies, encore faut-il que les structures de santé soient en mesure d’accueillir les patientes, notamment en cas d’urgences. De nombreux établissements ne fonctionnent pas en continu, et manquent de personnel qualifié disponible à toute heure.
Comment favoriser l’accès à un suivi prénatal et un accouchement sécurisé sur les terrains MSF ?
L’information joue un rôle crucial pour lever les barrières de l’accès aux soins et prévenir les complications. Chez MSF, on met beaucoup l’accent sur la promotion de la santé. Les agents de santé communautaires jouent un rôle-clé en diffusant des messages de prévention et en encourageant les femmes à consulter en centre de santé. Ils sont formés à expliquer, par exemple, l’importance des consultations prénatales et les signes de complications nécessitant une prise en charge médicale. Ces agents de santé communautaires sont des personnes qui connaissent très bien la communauté, ils connaissent donc la situation de chaque femme, ce qui permet de les accompagner de manière adaptée.
Le rôle des accoucheuses traditionnelles est également essentiel. Ce sont des femmes de la communauté qui n’ont pas de formations spécifiques. Généralement elles ont eu plusieurs enfants et leurs grossesses se sont bien passées. Elles ont donc cette “reconnaissance” pour leurs capacités à accoucher les femmes. On travaille avec elles pour relayer les messages et pour qu’elles reconnaissent les signes de danger chez des femmes enceintes afin de nous les emmener en centre de santé au bon moment. Ce sont des relais directs, de femmes à femmes. Leur autorité dans la communauté lève beaucoup de freins à l’accès aux soins.
Par exemple, dans le projet de Goyalmara au Bangladesh (dans le camp de réfugiés de Cox’s Bazar), nous travaillons étroitement avec les accoucheuses traditionnelles. Un système simple de gommettes rouges ou vertes collées sur les cartes prénatales leur permet de reconnaître les grossesses à risque et d’accompagner les femmes vers les centres de santé avant qu’il ne soit trop tard. Dans ces cas-là, elles attendent avec la femme dans l’hôpital, dans un endroit prévu spécialement pour les accoucheuses traditionnelles, puis elles les raccompagnent chez elles. Cela donne une indépendance et une sécurité aux femmes enceintes.
Dans cet hôpital à Cox’s Bazar, comme dans tous nos projets traitant de santé maternelle, les sages-femmes et les infirmières jouent un rôle prédominant. Ce sont elles qui suivent les grossesses, réalisent les accouchements et interviennent en première ligne pour prévenir et traiter les complications. En 2023, elles ont assuré plus de 48 000 accouchements, rien que dans les projets soutenus par la section française de MSF. Elles sont le plus souvent issues des communautés locales, connaissent les réalités des patientes qu’elles soignent, ce qui facilite la confiance et le lien avec les femmes. On se base sur un modèle de soin reconnu par l’OMS, qui s’appuie sur les sages-femmes pour garantir des soins de qualité, respectueux de la femme, de son bébé et de sa famille.
Plus généralement, le fait d'avoir des soins de qualité, avec du personnel formé, proche des communautés, équipé, qui respecte l'intimité et la confidentialité incite grandement les femmes et les filles à aller chercher des soins.