La colonie proche de leur maison existait déjà, elle a été construite dans les années 90. « Elle était plus petite à l'époque. Puis, ils se sont appropriés nos terres, celles de nos parents, et ils se sont étendus. Depuis l'Intifada, la cohabitation est encore plus difficile et tendue. Avant, on pouvait encore aller aux champs. Depuis, ils élèvent des sangliers qu'ils lâchent dans nos cultures pour les détruire. Ils sont venus ici des centaines de fois. Ils nous attaquent à cheval, comme des cow-boys. Ils rentrent dans la maison, par le toit. Ils viennent en pleine nuit, comme le soir où on a entendu une voiture se garer sur le chemin. Nous sommes allés voir, croyant que c'était un visiteur. Dans le noir, on a juste entendu le déclic lorsqu'il a chargé son arme. On a couru se réfugier dans la maison. Ils sont montés au second étage et ont tout cassé. Nous sommes seuls face à eux, même les autorités disent que l'on ne peut rien contre les colons. On se sent toujours menacés. »
Effets psychosomatiques. Le Dr Tareef, médecin MSF, rend régulièrement visite à cette famille. Il leur apporte leurs médicaments, ausculte et surtout prête une oreille attentive et compatissante. Il commence par examiner la mère. Elle se plaint d'avoir mal au dos. Elle ne dort que 3 ou 4 heures par nuit et se réveille toujours vers une heure du matin. Pourtant le soir elle tombe de fatigue, elle s'endort tout de suite, mais se réveille toujours ainsi, en sursaut, pour aller vérifier que portes et fenêtres sont bien fermées. Elle est épuisée : « je n'y arrive plus, je ne m'en sens plus capable ». A l'examen pourtant, tout va bien. Il faudrait qu'elle dorme, mais elle refuse de prendre tout traitement : « si je dors trop profondément, qui veillera sur les enfants, les protégera ? » Un peu contrainte par le médecin, elle avait essayé certains médicaments, légers, mais elle a fait une allergie. « Pourtant cela ne fait absolument pas partie des effets secondaires potentiels » constate le Dr Tareef, « c'est psychosomatique », comme son mal de dos, son insomnie... En ce moment, les enfants sont en vacances, ils ne sortent pas de la maison, « ils y sont en sécurité », alors elle accepte de reprendre un traitement, mais léger. « C'est vrai que je me sens très nerveuse. On a eu beaucoup de soucis ces derniers temps. L'autre nuit, j'ai entendu des voix à l'extérieur, j'ai sauté de mon lit et je suis tombée, mes jambes ne me portaient plus, en fait je dormais encore, je ne pouvais pas me contrôler, ni contrôler mes jambes. J'ai peur de tous les bruits, j'ai peur que ce soient eux, les colons. Même lorsque je les vois traverser la route au loin, je suis effrayée, j'ai peur qu'ils viennent vers ici. »
Cette patiente a récemment bénéficié d'une prise en charge psychologique par les équipes MSF. Elle se sent mieux. « Quand la voiture MSF arrive, on est contents. Personne ne vient sur cette route en dehors de vous, de l'armée et des colons. Vous écoutez, soignez, aidez. Vous vous intéressez à nous, vous nous voulez du bien. »
Ne plus pouvoir dormir, ni manger. Le Dr Tareef a apporté avec lui des médicaments pour le jeune fils de 13 ans. Celui-ci ne se montre pas. Il souffre d'énurésie. Ca a commencé après qu'un colon lui ait pointé son pistolet sur la tempe. Il a cru qu'il allait mourir. Sa sœur, âgée de 20 ans, a des attaques de panique. Elle a perdu beaucoup de poids. « Je suis fatiguée, j'ai faim mais quand je vois la nourriture je n'en ai pas envie. Je ne dors jamais profondément, je reste toujours sur le qui vive, même la nuit, à cause des cauchemars... La vie est triste, il n'y a pas d'espoir. » Le Dr Tareef lui a fait faire des analyses sanguines qui n'ont révélé aucune anomalie. L'autre sœur, âgée de 18 ans, s'inquiète, elle attend les résultats du baccalauréat. « Je vais comme ci, comme ça... Ca dépend des jours. Mais je me sens tout de même plus optimiste depuis que je suis sous traitement. C'est grâce à ça que j'ai pu passer mes examens. »
Il y a quelques mois, la famille était invitée à un mariage en Jordanie. Ils étaient heureux de pouvoir partir, même peu de temps. Mais, à la frontière, ils n'ont pas été autorisés à passer, leurs passeports ont été déchirés et ils ont été renvoyés chez eux. « Nous comptions les jours pourtant, on s'en faisait une telle joie : se changer les idées, faire la fête et revenir en forme. Si nous le pouvions, nous quitterions ce village. Avec un mur de protection autour de la maison, nous nous sentirions mieux, mais nous n'avons pas assez d'argent pour en construire un. Tout ce que l'on souhaite, c'est qu'ils nous laissent tranquilles ».
Retour au dossier "Naplouse : une nouvelle forme de violence"