« La nuit sera chaude » avait ironisé Alaa, l’un des chauffeurs de MSF. Alors que les détonations des chars et des croiseurs israéliens résonnaient à quelques kilomètres de la base MSF, l’équipe chirurgicale partait en direction de l’hôpital Shifa où le personnel médical prévoyait déjà plusieurs afflux de blessés dans la nuit.
« J’ai suivi deux nouveaux patients hospitalisés aux soins intensifs du service des grands brûlés de l’hôpital : une jeune maman de 24 ans et un garçon de 10 ans. La jeune femme est restée douze heures ensevelie sous les décombres de sa maison, elle y a perdu sa fille et dix autres membres de sa famille. On a fait tout ce qu’on a pu, mais elle est décédée ce matin. » Adriana est médecin anesthésiste. Elle vient d’arriver à Gaza pour renforcer l’équipe d’urgence. Ce n’est pas la première fois qu’elle vient ici avec MSF, cette année, mais la situation était alors toute différente. « Le petit garçon a perdu son père. Sa mère était avec lui. Un missile a frappé leur maison qui s’est effondrée. Il souffre de brûlures, du crush syndrome (syndrome d’écrasement), de traumas et d’une centaine de blessures dues à des éclats d’obus sur tout le corps. » Après être passé au bloc opératoire, l’enfant a été admis aux soins intensifs de l’unité des brûlés de Shifa. Une petite plaie inquiétait Kelly, l’autre médecin anesthésiste de l’équipe d’urgence MSF. « C’était une petit blessure au ventre qui n’arrêtait pas de saigner. J’ai demandé un scanner de son abdomen et on a constaté qu’il avait une hémorragie interne : les éclats avaient provoqué sept perforations de son intestin grêle », raconte Kelly. « Elle lui a sauvé la vie » renchérit Adriana.
Cosimo, chirurgien MSF, a pour sa part réussi à extraire une balle de la veine cave supérieure (veine cardiaque) d’une jeune femme de vingt ans. « Les deux autres patients que j’ai opérés cette nuit avaient des blessures thoraciques dues à des explosions survenues près d’eux ». Beaucoup de blessés venant de l’hôpital Al Aqsa, bombardé un peu plus tôt dans la journée, ont été transférés à Shifa. « Un homme d’une vingtaine d’année était hospitalisé à Al Aqsa quand l’hôpital a été touché. Il est arrivé aux urgences de Shifa. Il a fallu l’amputer des deux jambes à partir du genou » raconte Kelly. « Son opération a duré presque trois heures ». Au bloc, la plupart des cas sont très graves et nécessitent l’intervention de plusieurs chirurgiens. « Hier il y a eu au moins deux cas de neurochirurgie » ajoute Kelly. Le service des urgences envoie tous les cas, même les plus désespérés, alors au bloc, il est parfois trop tard. « Une petite fille âgée de 8 ans a été transportée au bloc, elle avait perdu ses deux jambes dans l’explosion et souffrait de traumatismes multiples, dont un crânien. A part soulager sa douleur, il n’y avait plus rien à faire…» explique Adriana. Selon Cosimo, dans le service d’hospitalisation, 30% des patients sont des enfants.
Le service des urgences était quant à lui bondé d’enfants légèrement blessés. Par contre, cette nuit, en réanimation, il n’y avait que des adultes dont au moins cinq sont décédés à l’hôpital. Les blessés arrivent en salle de réanimation par vagues de 3, 4 ou 5. Les premiers venaient du quartier de Shuja’iyeh, toujours pilonné, et les derniers vus par l’équipe MSF arrivaient des alentours. Une frappe aérienne est effectivement tombée aux abords d’Al Shifa. « Tout le bâtiment du service des brûlés a vacillé, comme lors d’un séisme » témoigne l’équipe qui y était encore et se reposait au petit matin. De retour au bureau, chacun raconte sa nuit autour d’un café, baissant les yeux à l’écoute du bilan macabre de la nuit : encore 10 morts et 130 blessés selon les Nations Unies. Un chiffre dont l’équipe se demande s’il n’est pas sous-estimé compte-tenu de ce dont elle a été témoin cette nuit à l’hôpital Shifa.
En réponse à l’urgence, MSF soutient actuellement l’hôpital Al Shifa dans la ville de Gaza avec une équipe chirurgicale complète, de l’équipement et du matériel médical d’urgence. MSF a fait des donations (à partir de ses deux stocks d’urgence) à la pharmacie centrale pour le nord et le sud de la bande de Gaza. La clinique post-opératoire MSF ne fonctionne que de 10% à 30% de ses capacités car l’intensité des bombardements empêche les patients d’y accéder. Les activités régulières de MSF à l’hôpital Nasser de Khan Younis ont été interrompues par le conflit. MSF est présente à Gaza depuis plus de 10 ans pour y mener des activités médicales, chirurgicales et de soins psychologiques, et a répondu aux urgences de 2009 et 2012.
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