"Vendredi 26
décembre, c'est la première fois que je découvre Bam. Cela fait quinze
heures que le terrible tremblement de terre a eu lieu.
La
veille, nous fêtions l'anniversaire d'Eric, l'autre médecin. Comme
j'étais de garde à l'hôpital, je suis rentré chez moi vers 2 heures du
matin. A 8 heures, le téléphone sonne : un ami m'informe de ce qui
vient de se passer à Bam. J'allume immédiatement la télévision et je
m'aperçois de l'ampleur du désastre.
J'appelle Eric pour savoir
s'il a plus d'informations : pas de réponse. Je file au bureau MSF où
j'annonce la terrible nouvelle. Première réaction de l'équipe :
téléphoner à la coordination de Téhéran qui n'est pas informée, le
vendredi est jour chômé en Iran. Une heure plus tard, Jean-François, le
chef de mission, nous rappelle, "c'est une urgence, départ impératif."
Nous préparons le matériel nécessaire pour la mission d'évaluation :
malle d'urgence, médicaments... Toute la ville de Bam est quadrillée
par l'armée et la police, il est formellement interdit de circuler. Il
nous faut donc faire toutes les démarches préparatoires auprès du
Croissant rouge iranien, pour obtenir l'autorisation de nous rendre
là-bas.
Il
est 17 heures quand nous partons - accompagnés par les membres du
Croissant rouge de Zahedan - 20 heures quand nous arrivons, après un
voyage laborieux. Il fait nuit, il fait froid et, dans les
embouteillages, nous avons perdu la voiture du Croissant rouge, alors
nous cherchons, en vain, le centre du Croissant rouge de Bam.
Les
gens nous voient, accourent, ils sont affolés, perdus. Ils se dirigent
vers nous, réclament du pain, ils ont faim et froid. Enfin, nous
repérons le centre, mais le trafic est démentiel, les ambulances
affluent de partout, impossible de continuer en voiture. La folie, la
panique, sont omniprésentes : hurlements, pleurs, bousculades... Dans
de telles conditions, la distribution de vivres et de couvertures est
irréalisable. Les locaux débordent de blessés, il y a un médecin pour
vingt patients, le personnel est épuisé. A l'extérieur, les cadavres
"tapissent" les jardins, quelques personnes tentent de se réchauffer
autour d'un feu, d'autres se blottissent sous les tentes. Les questions
se bousculent dans ma tête : Que reste-il de cette ville ? Quel est mon
rôle dans cette urgence ? Où se trouvent les grands blessés ? Ou est le
responsable du centre ? Les médecins apportent les premiers soins, les
blessés graves sont évacués vers d'autres villes, les deux hôpitaux de
Bam se sont entièrement écroulés, il y a un important besoin en
médicaments. Nous donnons antibiotiques, bandages, seringues,
tensiomètres, stéthoscopes et filons vers l'aéroport où ils ont
également besoin d'aide.
Un autre désastre nous y attend : la confusion est totale, l'obscurité me pénètre profondément.
Les
avions décollent et atterrissent en permanence. Sur le sol, des blessés
à l'infini. Nous participons au triage des blessés : les blessés graves
sont évacués en avion militaire, les autres reçoivent les soins sur
place. Les décès sont malheureusement fréquents, les corps sont alors
déposés derrière l'aéroport.
A trois heures du matin, nous
sommes en rupture de brancards et il n'y a plus d'avion disponible.
J'ai l'impression que cette catastrophe ne s'arrêtera jamais.
Nous
dormons dans la voiture, trois heures. Je suis frigorifié, les chances
de trouver des survivants s'amenuisent. C'est une grande tragédie."