Au début de la révolution en Syrie, aucun des membres de ma famille ne pensait à quitter le pays, mais l'intensification du conflit nous a poussés à trouver refuge en Jordanie. Nous avons donc traversé la frontière en mai 2012. Je me souviens encore de l'odeur du feu dans notre quartier après la dernière frappe aérienne, qui a eu lieu la nuit de notre départ. Certains soirs, nous ne pouvions même pas fermer les yeux à cause des bombardements incessants. À cette époque, je venais de me marier et je n'avais pas encore d'enfants, mais je me rappelle les cris de mes neveux et nièces. Ils disaient : « Est-ce qu'on va mourir maintenant ? »
Dans la maison de mon père, il y avait une cave où tous les enfants se réfugiaient. Nous ne pouvions plus continuer à vivre dans cette cave. Nous avions même peur d'aller dans la cuisine ou aux toilettes ! Nous avons vécu comme ça pendant des mois, puis mon oncle a décidé qu'il était temps de traverser la frontière pour la sécurité des femmes et des enfants. Au début, mon mari refusait de partir. Il disait qu'il devait rester pour protéger notre maison et nos biens. Je suis donc partie avec ma mère, deux cousins et quelques voisins, laissant mon mari derrière moi et sans aucune idée de ce qui nous attendait de l'autre côté de la frontière.
Nous avons mis 12 heures pour atteindre le premier point d'accueil pour les réfugiés syriens en Jordanie. Nous avons ensuite rejoint le camp de réfugiés de Zaatari. Quelques mois plus tard, nous avons réussi à sortir clandestinement du camp. Nous voulions simplement vivre une vie normale. Le même jour, mon mari a traversé la frontière à son tour et nous a rejoints en Jordanie.
Nous avons loué un tout petit appartement dans le gouvernorat d'Ajloun, au nord du pays. Mon mari travaille comme journalier pour gagner de quoi payer le loyer. En décembre 2013, j'ai eu mon premier enfant. Il est né à l'hôpital MSF d'Irbid, situé à environ 35 km de chez nous. Malgré la distance, l'hôpital MSF était l'endroit le plus proche où nous pouvions recevoir des soins sans carte de réfugié.
Mon voisin à Ajloun, également réfugié en Syrie, m'avait dit que MSF fournissait des soins gratuits aux femmes syriennes enceintes. Mon mari et moi avons donc pris la route d’Irbid le lendemain. Pendant les semaines qui ont précédé mon accouchement, je me suis rendue plusieurs fois à l'hôpital MSF pour des consultations. J'ai donné naissance à une petite fille début 2014.
Malheureusement, ma deuxième grossesse n'a pas été aussi facile que la première. J'ai eu des complications qui m'ont fait accoucher prématurément. Cela s'est produit dans la soirée du 17 janvier 2015, le dernier jour de mon sixième mois de grossesse. J'avais des douleurs abdominales sévères et saignais énormément. Je savais que l'hôpital MSF d'Irbid était le seul endroit qui nous accepterait. Mon mari a donc décidé de m'y conduire. Le trajet d'Ajloun à Irbid dure une heure et demie. Il neigeait ce soir-là, il faisait très froid et la circulation nous a retardés. J'ai saigné pendant une heure et demie sur le trajet de l'hôpital MSF, mais je savais que c'était mon seul espoir !
Nous sommes arrivés à l'hôpital MSF, où les médecins ont décidé de pratiquer une césarienne. J'ai été immédiatement admise au bloc et Abdullah est né. Il ne pesait que 2,4kg. Il a ensuite été transféré à l'unité néonatale pour recevoir des soins et être mis en observation. Il a commencé à prendre du poids le mois suivant. MSF permet aux mères d'accompagner leur enfant pour l'allaiter. Je suis si heureuse que mon enfant ait eu une chance de survivre.