Quelle est la politique de prévention et de gestion des crises alimentaires au Niger ?
Sans magnifier le passé, on peut affirmer qu'avant les années 1980, il
y avait un système contraignant de contrôle des prix sur les produits
vivriers. L'OPVN, l'office des produits vivriers du Niger, imposait,
parfois avec l'appui des forces de sécurité, le contrôle des prix face
aux commerçants.
Au cours des années 1980, les politiques d'ajustement
structurels ont conduit l'Etat nigérien à démanteler ce système qui
contraignait la libre loi des marchés. Pour le remplacer, les
principaux bailleurs de fonds (France, Union Européenne), les
institutions onusiennes (PAM, FAO,...) et l'Etat se sont associés pour
élaborer en 1998 un nouveau cadre de sécurité alimentaire dénommé " le
dispositif ". Ce dernier est doté d'un stock national de sécurité et
d'un fonds d'intervention.
En 2000, la stratégie opérationnelle de
sécurité alimentaire (SOSA) a précisé la philosophie du " dispositif ".
Elle en pose les deux objectifs principaux : l'un est l'amélioration
durable de la sécurité alimentaire et la prévention, l'autre est la
gestion des crises alimentaires. La SOSA précise qu'il ne doit pas y
avoir de hiérarchisation entre ces deux objectifs, la politique à long
terme, de développement et l'assistance à court terme, en cas de crise,
sont considérés comme complémentaires. Il est également écrit que " la
sécurité alimentaire est un service public ". C'est ce qui existe dans
les textes. Dans les faits, c'est tout autre chose.
Face à la crise alimentaire actuelle, quelle est la réponse ?
Presque sans caricaturer, on répond à une situation d'urgence en
construisant des digues pour développer l'agriculture irriguée ! Les
outils utilisés sont ceux du développement, souvent inadaptés à la
situation d'urgence actuelle. Par exemple les banques céréalières,
créées dans la précipitation, n'ont rapidement plus de fonds pour
fonctionner, le capital prêté au départ ne peut pas être remboursé. Le
dispositif utilise également les ventes à prix modéré. Mais les volumes
sont nettement insuffisants pour permettre de peser réellement sur le
marché. Cela n'a pas été efficace pour faire baisser le prix du mil.
Ensuite, ces ventes, ne sont pas adaptées pour permettre l'accès à la
nourriture aux populations les plus vulnérables. Qu'est-ce qu'une vente
à prix modéré ? C'est permettre à un agriculteur d'acheter un sac de
mil deux fois plus cher que le prix auquel il le produit soit 10000FCFA
à l'achat subventionné contre 4000à 6000 FCFA à la vente en octobre.
Mais on continue avec cet outil, parce que l'assistance d'urgence,
c'est-à-dire les distributions gratuites, sont considérées comme une
solution d'ultime recours que l'on répugne à utiliser. Ainsi, début
juin, lors d'une réunion de la Commission mixte de concertation,
l'organe décisionnaire du " dispositif " réunissant représentants de
l'Etat et bailleurs de fonds, le gouvernement du Niger a déclaré que
malgré la gravité de la crise alimentaire, il n'organiserait aucune
opération de distribution gratuite.
Du côté des bailleurs, la seule
réaction politique à cette déclaration est venue de l'ambassadeur de
France qui s'est félicité d'une " politique qui ne déstabilise pas les
marchés ". L'ambiance était presque surréelle : faisant fi de la
situation d'urgence alimentaire, le sort des populations en danger
était tranquillement subordonné à des impératifs de respect du jeu
économique. Comble de l'ironie, ce marché est déjà complètement
déstabilisé par les grands spéculateurs dont beaucoup sont étroitement
liés au pouvoir en place.
Pour résumer, la sécurité alimentaire, telle
qu'elle est appliquée au Niger, privilégie le long terme sur le court
terme, le développement sur l'assistance, le marché sur le service
public. Elle fait le choix d'abandonner les populations du temps
présent en prétendant préparer la protection des générations futures.
On entend beaucoup dire parmi les ambassades et les représentants des
institutions onusiennes, que la malnutrition a une cause culturelle :
au Niger, les enfants ne comptent pas, ils sont négligés donc la
malnutrition est forte. Pour se persuader du contraire, il faut
simplement visiter le CRENI de Maradi et observer les relations des
mamans avec leurs enfants. Au vu de la gestion de la sécurité
alimentaire par les institutions internationales et le gouvernement, on
peut se demander qui aujourd'hui néglige réellement le sort des enfants
nigériens.
Le système d’alerte précoce est pourtant chargé de veiller à l’état sanitaire de la population ?
Mais ce n'est pas l'état sanitaire qui est étroitement surveillé, c'est
le déficit céréalier ! Pourquoi connaît-on à la tonne près le déficit
céréalier et ne sait-on pas combien d'enfants souffrent de malnutrition
et où ? Les informations sanitaires n 'existent pratiquement pas depuis
que USAID a suspendu son soutien au Système National d'information
Sanitaire (SNIS) en 1997 ! Dans quelle mesure, ce manque de données ne
reflète t-il pas le désintérêt de la communauté internationale et de
l'Etat nigérien pour sa population ? Tout ce qu'on peut dire, c'est que
les moyens sont centrés sur la mesure de la production céréalière et
sur l'état du marché, pas sur l'état de santé de la population. Or l'un
n'est pas forcément représentatif de l'autre. D'abord parce que la
malnutrition dépend en partie de l'accès aux soins, pas uniquement de
l'accès à la nourriture. Ensuite on part du principe que la crise
alimentaire est liée aux mauvaises récoltes mais la réalité est bien
plus complexe. Enfin il ne faut pas oublier que le calcul de la
vulnérabilité est politique, puisque l'aide alimentaire va en dépendre.
Chacun a intérêt à ce que son village ne soit pas oublié. Donc les
zones de vulnérabilité sont définies avec des critères plus ou moins
pertinents. Les dates d'intervention aussi... Cette année, les ventes à
prix modérés ont débuté en novembre, un mois avant les élections
présidentielles. Ce n'est sans doute pas un hasard que les gens des
campagnes appellent les VPM " l'opération spéciale président ".
Si la crise n’est pas due uniquement au déficit céréalier, que s’est-il passé ?
C'est très complexe et toute réponse est nécessairement partielle. Mais
ce ne sont pas automatiquement les villages qui ont eu les plus
mauvaises récoltes qui ont le moins de ressources. Par exemple, au nord
de la zone agro-pastorale, l'exode est une importante source de revenus
qui complète et parfois dépasse la production agricole. Ce sont les
revenus de l'exode qui permettent de passer la période de soudure. La
perturbation des circuits migratoires en direction de la Côte d'Ivoire
ou du Togo peut avoir des conséquences directes sur la situation
alimentaire dans ces villages...
Et cette crise n'a pas débuté en 2004
avec les mauvaises récoltes ! Dans toute la zone sud, la zone agricole,
notamment Maradi, les agriculteurs vendent une partie de leur
production à la fin de la récolte, vers octobre. C'est la principale
source de revenus, pour avoir de l'argent pour les mariages, les
vêtements, enfin pour la vie sociale. Mais s'ils se trouvent à court de
réserve à la soudure, entre juin et septembre, ils doivent souvent
racheter du mil à des prix beaucoup plus élevés, des prix en pleine
explosion cette année. Au mois d'octobre le sac de 100 kilos est vendu
entre 4000 et 6000FCFA, cette année, au mois de juin, il est vendu
jusqu'à 23000FCFA sur les marchés.
Le pouvoir d'achat a diminué mais
comme le mil est un produit vivrier, indispensable, les agriculteurs
n'ont pas eu d'autre choix que de s'endetter. On revient alors au troc,
un sac de 100 kilos donné maintenant contre quatre ou cinq rendus à la
récolte. Un taux d'intérêt de 400 à 500% ! L'échec de la politique de
développement conjuguée au fonctionnement spéculatif du marché des
céréales se traduit par l'endettement de toute une partie de la
population.
La malnutrition ne dépend pas uniquement des ressources,
qui elles-mêmes ne dépendent pas uniquement de la production agricole.
Si
dans les textes, le dispositif ne renonce pas à porter secours aux
populations victimes de crise alimentaire, dans les faits, la priorité
est donnée à la politique de développement sur l'assistance à court
terme. De peur que l'aide aux victimes de crise alimentaire ne perturbe
la constitution d'un marché efficace, le dispositif répugne à recourir
à des mesures d'urgence de type distribution gratuite.
Photos : © Anne Yzebe / MSF