Octobre 2004. Une mission d'organisations internationales* indique un
déficit céréalier au Niger pour l'année 2004-2005 de 223 448 tonnes
soit 7,5% des besoins nationaux. Si, à l'échelle nationale, ce déficit
n'était pas énorme, la mission explique qu'il ne doit pas occulter
l'extrême vulnérabilité alimentaire de plus de 3 millions de personnes
dans quelque 3.000 villages. La mission recommande l'intervention des
pouvoirs publics et des organisations impliquées dans des programmes de
développement pour compenser le déficit céréalier.
Suite
à cette évaluation, le gouvernement du Niger adresse au Programme
alimentaire mondial (PAM), fin novembre, une demande de 78.000 tonnes
de céréales. Le Niger ne recevra que de 6.562 tonnes, soit moins de 10%
de la demande initiale...
Pendant les mois de janvier, février
et mars, le nombre d'enfants atteints de malnutrition sévère augmente
considérablement dans les centres de Médecins Sans Frontières. En
avril, différentes enquêtes nutritionnelles confirment la gravité de la
situation. L'Assemblée nationale du Niger lance à son tour un appel
d'aide alimentaire d'urgence à la communauté internationale.
Le
19 mai, l'Organisation des Nations unies demande 16 millions de dollars
afin de contenir la crise. Quelques jours plus tard, le Premier
ministre nigérien réitère l'appel de son gouvernement.
Nourriture payante pour les plus vulnérables…
Comment, malgré ces multiples signaux d'alerte, en arrive-t-on
aujourd'hui à une situation d'urgence ? Face à cette crise, la
principale réponse des autorités nigériennes appuyées par les agences
internationales et les organisations de développement a consisté à
mettre en place un système de "ventes à prix modéré" du mil.
De
septembre 2004 à juin 2005, 42.000 tonnes de mil ont été mises en vente
à prix réduits, en dessous de ceux du marché. Ces quantités, pour 3,4
millions de personnes vulnérables, sont tout à fait insuffisantes.
Elles représentent en moyenne à peine plus de 12 kg de mil par personne
pour 9 mois, alors qu'une personne consomme en moyenne 20 kg par mois !
Mais surtout, début juin, le Premier ministre nigérien a lui-même
reconnu l'inefficacité d'une telle action en signalant que, parmi les
3,6 millions de personnes menacées par la pénurie alimentaire, des
centaines de milliers sont démunies au point de ne pouvoir s'offrir les
céréales, même à bas prix. Les personnes les plus sévèrement frappées
par la crise alimentaire sont en effet les plus pauvres : des
agriculteurs ayant subi de mauvaises récoltes, mais aussi des éleveurs
et des artisans. Beaucoup ont déjà épuisé leurs ressources en vendant
biens et animaux pour se nourrir.
Le gouvernement a alors
proposé une autre "solution" : un prêt de céréales, remboursable après
la récolte. Cette mesure a certes le mérite de rendre immédiatement
disponible des vivres aux personnes en ayant le plus besoin, mais
grèvera fortement les réserves des familles pour l'année suivante et
poursuivra le cycle infernal de la pénurie.
Dans les faits,
ces mesures reviennent à faire payer l'aide aux personnes qui en ont le
plus besoin et qui ont le moins de moyens.
…et soins inaccessibles aux plus pauvres
Du côté de la prise en charge médicale des enfants sévèrement malnutris
(c'est-à-dire en danger de mort imminente), c'est vite vu : les soins
sont payants au Niger, inaccessibles aux plus pauvres et MSF est
aujourd'hui le seul acteur humanitaire à avoir mis en place un
programme de soins aux malnutris.
Les
enquêtes de mortalité rétrospectives effectuées par Epicentre et MSF en
avril dans les régions de Keita, Dakoro et Mayayi ont révélé, chez les
enfants de moins de 5 ans, des taux de mortalité déjà supérieurs aux
seuils d'urgence à une période de l'année où ils sont peu malades. Avec
l'arrivée de la saison des pluies en juin, les diarrhées et le
paludisme vont faire leur apparition et fragiliser encore davantage la
situation d'enfants déjà très affaiblis par le manque de nourriture.
Alors
qu'elles seraient selon nous la seule mesure capable d'éviter une
aggravation de la situation et de très nombreux décès, les
distributions alimentaires gratuites dans les zones les plus touchées
par le manque de nourriture provoquent toujours une forte réticence
chez les bailleurs de fond, les agences des Nations unies et le
gouvernement et ne sont toujours pas à l'ordre du jour. Le risque de
déstabilisation du marché, brandi par les différents acteurs pour
justifier leur refus, prend le dessus sur la nécessité de déployer des
secours vitaux afin d'éviter aux plus faibles de sombrer dans la
malnutrition et de mourir à très court terme. La gratuité des soins
médicaux pour les enfants de moins de cinq ans dans les régions les
plus frappées n'est pas non plus, à ce jour, mise en place, malgré la
promesse du ministre de la Santé nigérien.
Ce refus de
reconnaître l'urgence de la situation et d'envisager des mesures
exceptionnelles reviennent tout simplement à condamner les enfants des
dizaines de milliers de familles les plus pauvres du Niger à mourir de
faim.
Isabelle Defourny
Médecin, responsable adjointe des programmes MSF dans la région
* Mission conjointe menée par deux agences des Nations unies (Food and
Agriculture Organisation, Programme alimentaire mondial) et le CILSS
(Comité permanent inter Etats de lutte contre la sécheresse dans le
Sahel).