Témoignage d'Anna, de retour de Syrie: « les blessés arrivaient de partout »

Anna lors de sa mission en Côte d'Ivoire en 2011.
Anna, lors de sa mission en Côte d'Ivoire, en 2011. © Nicola Vigilanti

Spécialiste en chirurgie générale, Anna Nowak a réalisé plus d’une vingtaine de missions pour MSF. Elle vient de rentrer de Syrie où elle a participé au lancement du projet. Entretien.

Faute d’autorisation officielle, comment avez-vous fait pour monter cette mission d’urgence ?

Par l’intermédiaire d’une association médicale syrienne, nous avons pu identifier un lieu où il nous est apparu possible d’opérer des blessés : après une première visite éclair, nous avons décidé d’investir une villa qui n’avait pas encore été habitée. Il restait quelques finitions à réaliser dans cette maison de huit pièces réparties sur deux niveaux, mais nous n’avions pas d’autre choix que celui-là. Pendant 6 jours, nous avons donc travaillé d’arrache-pied pour transformer ce lieu d’habitation en hôpital chirurgical doté d’une douzaine de lits d’hospitalisation, d’une salle de stérilisation, d’un bloc opératoire, d’une salle de déchocage pour les urgences et d’une salle de réveil. Au-delà des difficultés à recruter localement du personnel soignant, nous avons également dû solutionner les problèmes d’approvisionnement, sachant qu’il est aujourd’hui risqué d’importer ou d’acheter du matériel médical en Syrie.

Dans quelles conditions as-tu commencé à opérer des blessés ?

Les premiers patients sont arrivés le 22 juin, dès le lendemain de l’ouverture de l’hôpital. Au début, nous recevions surtout des blessés qui avaient déjà été opérés une première fois, malheureusement dans de mauvaises conditions d’asepsie qui se traduisent par un risque élevé d’infection. Au rythme des nouveaux combats, l’hôpital a néanmoins rapidement atteint ses limites. Au bout de quelques jours, nous avons accueilli jusqu’à six blessés en même temps, un chiffre relativement modeste mais pourtant élevé au regard de nos ressources et de nos capacités de prise en charge. Puis les blessés sont arrivés de partout. Il nous a fallu développer rapidement les possibilités d’hospitalisation, quitte à rajouter des lits sur la terrasse de la maison. Les blessés n’arrivent pas seulement de jour, pendant les combats et au moment où les trajets par la route sont risqués et restreints, mais aussi à l’aube. La fatigue s’en ressent, même si on peut compter sur l’aide spontanée de nombreux accompagnants de blessés, prompts à nous aider dans nos activités quotidiennes à l’hôpital. Leur disponibilité et leur sollicitude sont réellement poignantes.

Quels sont les types de blessures auxquels vous êtes confrontés ?

Il s’agit principalement de plaies par balle, par tir de mortier ou par éclat d’obus. Les membres, l’abdomen et le thorax sont les parties du corps les plus touchées. Si la majorité des patients sont des hommes, nous recevons aussi des femmes et des enfants, parfois trop tardivement. Actuellement, les zones de bombardement et de combats les plus proches se situent à une dizaine de kilomètres de l’endroit où nous sommes. Mais les blessés viennent parfois de loin, au risque de mourir ou de voir leur état de santé s’aggraver. Ce constat nous interroge sur les entraves rencontrées par les blessés pour se faire soigner aujourd’hui en Syrie dans de bonnes conditions, y compris pour ceux dont les blessures ne font que ressembler à des blessures de guerre : les accidentés de la route sont eux aussi suspects.

Quelles sont les difficultés d’une telle intervention ?

Pour limiter les risques, le personnel des hôpitaux classiques travaille aujourd’hui en Syrie de manière discrète et très aléatoire, tandis que les hôpitaux de campagne disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Dans ce contexte, l’existence d’une structure comme la nôtre est précieuse mais aussi très fragile pour des blessés en quête de soins et d’un suivi médical. Les contraintes sécuritaires nous imposent des ressources et des capacités limitées. Or, une blessure de guerre classique nécessite en moyenne cinq jours d’hospitalisation. A l’exception des cas les plus graves, nous avons parfois des difficultés à maintenir les patients en hospitalisation après ce délai. Les blessés qui vivent à proximité de l’hôpital ou qui sont hébergés chez un proche peuvent revenir pour être suivis médicalement ou obtenir une consultation. Mais si la solidarité des habitants joue à plein pour assurer temporairement l’hébergement des autres patients, certains d’entre eux quittent l’hôpital et ne donnent plus signe de vie.

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Notes

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