En dépit de conflits communautaires et confessionnels, de l'assassinat d'agents de santé, d'une insécurité persistante et de l'impossibilité d'accéder à certaines régions du pays, les acteurs humanitaires présents en République centrafricaine continuent aujourd'hui de travailler et d'appeler des secours en renfort.
Six interventions d'urgence, à l'ouest et au centre du pays en particulier, sont ainsi venues se greffer aux sept programmes réguliers menés par Médecins sans frontières (MSF) depuis le début de l'année. Au mois d'août, plus de 400 000 consultations avaient été réalisées, dont 171 000 pour des cas de paludisme. Partout, le niveau d'activités des structures de santé soutenues par l'organisation est en augmentation par rapport aux années antérieures.
Pourtant, l'appel à l'intervention massive des agences onusiennes et des organisations d'aide a jusqu'à présent rencontré peu d'écho. La situation d'urgence n'a pas mobilisé les bailleurs de fonds. Quant à la résolution qui vient d'être adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies, elle mise exclusivement sur la protection des populations par le déploiement d'une force armée, décidé à la suite d'un effet de sidération provoqué par la magie d'un mot : génocide.
Voilà pourtant près de deux ans que nous interpellons Etats et organisations de secours sur la situation humanitaire désastreuse de la Centrafrique, où le manque d'assistance est la première forme de violence.
Dans un appel à l'aide diffusé en décembre 2011, MSF révélait déjà des taux de mortalité parfois très largement supérieurs aux seuils d'urgence. Nous soulignions à l'époque la situation médicale déplorable d'un Etat fantôme, corrompu et dont le sort des populations n'intéressait à l'époque ni la France, ni les Nations unies.
DÉSASTRE SANITAIRE ET HUMANITAIRE
Au cours des deux dernières années, la situation sanitaire n'a fait qu'empirer. Les structures de santé ont été dévastées et le personnel médical a déserté ou a fui vers Bangui. Au plus fort du pic de paludisme, première cause de décès dans le pays, la mince chaîne d'approvisionnement en médicaments et matériel médical est rompue. Les structures de santé n'ont pu reprendre leurs activités et les systèmes de surveillance ne fonctionnent plus.
Dans le sillage du coup d'Etat de décembre 2012, des civils continuent d'être tués, attaqués et dépouillés de leurs biens. Des équipes de MSF ont été les témoins directs d'exécutions sommaires, de meurtres ou de villages incendiés. Elles ont également recueilli les récits de patients et de personnes déplacées évoquant des atrocités, des massacres et des assassinats ciblés.
Partout dans le pays, les bâtiments et les structures publiques sont pillés. Malgré les appels à l'aide de plusieurs ONG, les agences onusiennes ont déserté, interviennent essentiellement à Bangui ou à partir de Yaoundé, au Cameroun. Toutes les ONG ont été touchées par des incidents de sécurité. A Bangui, des bureaux des Nations unies et des organisations internationales ont également été saccagés.
Exposés à la violence, les habitants se retrouvent dans l'impasse. Les Nations unies estiment à 395 000 le nombre de Centrafricains qui ont fui pour se cacher en brousse : à présent privés d'assistance, de soins, d'abris, de nourriture et d'eau potable. Sur les quelques sites de regroupement de population, le sort des personnes déplacées n'est guère plus enviable : elles vivent dans la promiscuité et dans des conditions d'hygiène déplorables.
Sur une population totale estimée à 4,6 millions de Centrafricains, plus d'1,6 million d'habitants auraient besoin d'une assistance humanitaire immédiate. En dépit des possibilités réelles d'aider et de soigner les habitants d'un pays exsangue, la communauté internationale se dérobe aux secours face à la violence, quand le manque d'assistance en est l'un des aspects.
Connus de tous et depuis des années, l'abandon des populations, la privation d'assistance, son inégale répartition comme l'inégalité d'accès à l'aide et à la protection observée en RCA, participent d'une forme de violence qui ne dit pas son nom.
C'est aussi ce type de violence qu'il est urgent d'interroger, et d'enrayer. En 1994, MSF prenait la parole au Rwanda pour souligner son incapacité à agir en face d'un génocide. Aujourd'hui en RCA, il est possible d'agir. Il n'y a pas de génocide, mais une situation de violence – parfois extrême – et des risques. Assumés par les rares ONG qui interviennent et qui en payent le prix aujourd'hui, ces risques sont aussi la conséquence de l'inaction du système de l'aide internationale, observée depuis des années.
Par le Dr. Mego Terzian, Président de Médecins Sans Frontières.
Tribune publiée le 6 décembre 2013 sur lemonde.fr