Qui sont les patients pris en charge par MSF à l’hôpital Communautaire de Bangui ?
"Jean-Louis : Principalement des hommes âgés de 18 à 30 ans ; 80% des patients je dirais.
Becky : Majoritairement des victimes, directes ou indirectes (blessées par des balles perdues par exemple), de violences. Les enfants âgés de moins de 15 ans étaient dirigés vers d'autres structures de la ville.
Quelle est la nature, le type de blessures que vous avez prises en charge ?
Becky : 99.9% des blessures étaient dues à la violence, aux affrontements entre groupes armés. Des plaies par balles, grenades, machette ou couteau.
Laurent : Des cas de torture aussi.
Jean-Louis : Si les blessures par balle sont les mêmes dans toutes les missions, celles par armes blanches que j’ai vues à Bangui sont vraiment « spectaculaires », mutilantes avec, pour les victimes, un degré de souffrance inimaginable.
Quels ont été les problèmes et éventuels obstacles que vous avez pu rencontrer dans votre travail ?
Becky : L’insécurité était le problème majeur. Nous ne pouvions pas assurer une présence continue sur l’hôpital. Nous devions partir à 18h, au moment du couvre feu. Aussi, les patients avaient des difficultés pour venir à nous, soit parce qu’ils n’étaient pas mobiles, soit parce que les déplacements en ville étaient trop dangereux. Pour les mêmes raisons, le personnel de l’hôpital ne pouvait pas toujours venir travailler. Les magasins étant fermés, certains matériels nous manquaient ; de plus, la fermeture des frontières a posé problème pour notre approvisionnement médical et logistique.
Jean-Louis : Pour ma part, je n’ai manqué de rien sauf la première semaine (drogues, consommables). Le chirurgien savait que je ne pouvais pas administrer la quantité d’anesthésiants nécessaire pour qu’il travaille dans des conditions idéales. Il le comprenait. Je m’arrangeais pour réveiller le patient des que l’
opération était finie. Le plus difficile pour moi était de laisser les patients, le soir, seuls en salle de réveil, toute la nuit, sans surveillance. Beaucoup de blesses n’avaient pas d’accompagnants. On ne savait pas si on allait les retrouver vivants le lendemain matin. Il me fallait les réveiller très vite et sûrement pas très bien…
Laurent : Oui, le manque de personnel, notamment la nuit pour veiller sur les patients, était un vrai problème.
Comment avez-vous fait quand il fallait évacuer l’hôpital et que vous étiez en pleine opération ?
Jean-Louis & Laurent : Nous n’avons jamais abandonné un patient sur la table d’opération. On se débrouillait toujours, des qu’on nous faisait part d’un souci de sécurité, pour accélérer le travail que ce soit côté chirurgie comme anesthésie.
En quoi cette mission était-elle difficile ? Différente des autres missions que tu as pu faire avec MSF ?
Jean-Louis : La charge de travail était lourde. Ne pas travailler aussi bien que ce que l’on voudrait. Laisser le patient seul le soir. La gravité des blessures qui font que les opérations sont difficiles. L’insécurité, à l’hôpital, à la maison. Les difficultés d approvisionnement aussi, même pour nous nourrir. C’est l’accumulation de tout cela qui a rendu cette mission difficile. Je n’arrivais pas à m’endormir le soir, je repensais à toutes ces images et pour la première fois, j’ai pris des comprimés pour pouvoir dormir. La fatigue s’accumulait sans que l’on s’en rende compte. C’est la première fois aussi que, alors que j’ai déjà connu ce genre de situation pourtant, je me suis posé la question
« comment tu vas faire pour oublier toutes ces images à ton retour ? » J’ai alors compris qu’il se passait quelque chose de différent, que cette mission n’était pas comme les autres.
Laurent : L’intensité du rythme des journées de travail ; le nombre important de cas reçus ; le degré d'atrocité des blessures étaient difficiles.
Becky : C’est vrai que certains patients étaient atrocement blessés, mutilés. En 2008 j'étais à Dogdori au
Tchad sur un programme de prise en charge de blessés de guerre. Bangui c’était plus difficile. Le niveau de violence m’a rappelé le Libéria d’où je suis originaire. La charge de travail était celle à laquelle je m’attendais dans ce genre de contexte. On travaille avec ce qu’on a et d’ailleurs on ne se contente pas de travailler : on fait de notre mieux avec le peu que l’on a, dans la situation dans laquelle on se trouve.
Est-ce qu’il t’est arrivé d’avoir peur ?
Laurent : Oui.
Jean-Louis : Bien sûr. Peur pour moi, pour mes collègues et pour les malades. J’ai connu des contextes de conflit en Bosnie, au Kurdistan, au Tchad, en
République démocratique du Congo... Des évacuations d’équipe aussi. Là j’ai eu peur en sortant de l’hôpital, lorsque ça tirait. Je n ai jamais paniqué, mais je sentais que notre sécurité était précaire. Il y a eu des périodes où on allait très souvent dans la « pièce sécu », prévue pour se réfugier en cas de tirs, de bombardements, de la maison MSF. Je me souviens m’être dit un jour
« ça va mal se terminer ». J’ai eu peur le jour où une balle perdue à traversé la pièce principale, passant tout près de ceux qui s’y trouvaient, dont moi.
Becky : Sur la route vers l’hôpital, la présence de l’armée française me rassurait. C’est la première fois que je vois des forces internationales en action sur le terrain. Les voir évoluer, leur équipement, leur stratégie, c’était fascinant à observer, un peu comme si on était devant un film".
Lire le témoignage de Jessie, coordinatrice de projet à l'hôpital communautaire, de retour de Bangui.
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