Le système de soins médicaux est-il fonctionnel dans la partie orientale de la région d’Alep où vous étiez ?
L’effondrement du système de santé se voit à vue d’œil. Il y a trois à quatre mois, les gens pensaient que ça allait bien. Ils disaient avoir simplement besoin d’équipements plutôt sophistiqués comme des échographes ou des scanners. Pourtant depuis la fin mai, ils ne recevaient déjà plus de médicaments ni de matériel médical de Damas. Mais ils étaient persuadés que ces problèmes étaient temporaires. Maintenant le discours a changé, ils disent qu’ils manquent de médicaments de base, de compresses, de gants...
Dans la partie orientale de la région d’Alep, je suis allé régulièrement à El Bab et Manbij. Il y a un hôpital de district dans chacune de ces deux villes. L’hôpital de district d’El Bab a normalement une capacité de 220 lits. Mais plus rien ne marche à part le service de dialyse et le service de pédiatrie qui a rouvert fin octobre avec un soutien de MSF. Le personnel de l'hôpital était toujours sur place, mais le manque de moyens, en particulier de matériel et de médicaments, empêchait le service de fonctionner. Nous leur avons donc fourni des médicaments, du matériel médical, de l'argent pour le diesel qui fait tourner le générateur et nous avons installé un chauffage pour l'hiver. Du coup le service a pu recommencer à accueillir des enfants après plus d'un an de fermeture.
Dans l’hôpital de district de Manbij qui a une capacité de 250 lits, les urgences, les consultations externes et la pédiatrie fonctionnent tant bien que mal, en dépit d’un gros manque de moyens. Seulement une bombe est tombée dans la cour de l’hôpital début octobre, faisant des dégâts matériels, soufflant toutes les fenêtres, sans qu’il y ait eu de victimes heureusement. Depuis les gens ont pu revenir pour s’y faire soigner.
Le problème pour les patients est qu’ils repartent juste avec une prescription et qu’ils doivent se débrouiller pour trouver les médicaments ou le matériel nécessaire s’ils doivent subir une opération chirurgicale. Car ces hôpitaux ne reçoivent plus de médicaments, ni de matériel médical. Nous avons donc fait une donation de médicaments aussi à l’hôpital de Manbij.
Mais pour que ces hôpitaux de district soient vraiment fonctionnels, il faudrait s’y impliquer totalement, et donc y avoir une équipe d’expatriés. Or vu la taille de ces hôpitaux, ce serait un projet énorme que nous ne serions pas en mesure d’assurer étant donné la situation sécuritaire.
Comment fait le personnel médical pour travailler ?
Il y a encore un certain nombre de médecins et d’infirmiers, même si beaucoup sont partis. Le personnel médical qui est resté continue à travailler comme il peut. Damas leur verse toujours un salaire. Seulement pour le toucher, les personnels de santé doivent aller à Alep dans la zone tenue par les forces gouvernementales. Un seul passage est autorisé à partir des zones tenues par les rebelles, c’est un corridor où il y a des snipers. Chaque mois, des médicaux risquent leur vie en allant chercher leur salaire. Le salaire d’un médecin peut varier entre 100 et 200 dollars par mois, selon le taux de change de la livre syrienne, mais il est vital.
MSF apporte une aide à des médecins et des structures médicales. De quelle manière ?
L’un des deux volets de notre aide concerne la prise en charge des blessés. MSF soutient un groupe d’une trentaine de volontaires syriens dans le district d'Al Safira, au sud-est d'Alep. Ce sont soit des professionnels de la médecine, soit des personnes qui, depuis un an, ont appris à soigner les gens sous les bombes. Un médecin coordonne ce groupe qui soigne les blessés dans des postes médicaux avancés, situés à proximité des lignes de front, ni trop près pour ne pas trop s’exposer, ni trop loin pour que les blessés puissent arriver rapidement. Ils s’adaptent à une situation très évolutive : ils s’installent là où ils peuvent, ils bougent quand c’est trop dangereux et vont s’installer ailleurs. Ils ont par exemple déménagé une première fois le poste médical d'Al Safira lorsque celui-ci était devenu une cible de bombardements. Puis ils ont évacué la ville lorsque l'armée l'a reprise et ont rouvert un poste médical quelques kilomètres plus loin en moins de 24h.
En plus de formations médicales et de conseils d'organisation, MSF fournit à ce groupe de volontaires médicaux des médicaments, du matériel médical mais aussi du carburant pour leurs ambulances qu’ils avaient du mal à acheter avec le peu de ressources dont ils disposent. Et nous soignons bien entendu les patients qu'ils nous envoient dans l'hôpital MSF.
L’autre volet de notre action concerne les victimes indirectes du conflit. Nous fournissons des médicaments de base aux centres de santé pour assurer les consultations médicales, les soins pédiatriques et le traitement des maladies chroniques comme le diabète, l’épilepsie, l’hypertension. Nous faisons des donations régulières de médicaments à plusieurs centres de santé dans les districts d’El Bab et de Manbij pour que les personnes les plus démunies et les personnes déplacées soient soignées. Car les centres de santé gérés par le Croissant-Rouge syrien dans la zone contrôlée par l'opposition ne reçoivent plus rien depuis août.
Enfin nous appuyons une association médicale de la ville de Manbij qui s’occupe de la vaccination des enfants. Une équipe d’une douzaine de jeunes volontaires a commencé à vacciner en juin et nous venons d’accroître l’aide que nous leur apportions. Outre la fourniture des vaccins prévus par le programme national de vaccination, nous leur donnons depuis novembre du carburant pour qu’ils puissent aller dans les zones rurales et y vacciner les enfants.
Y a-t-il beaucoup de personnes déplacées dans cette région ?
Dans cette partie orientale de la région d’Alep, la situation des personnes déplacées est très préoccupante. Fin septembre, ces personnes se trouvaient déjà dans une situation précaire, les capacités d’accueil pour ceux qui avaient fui les zones bombardées étaient déjà saturées. Par exemple plus de 200 000 personnes déplacées avaient été enregistrées dans la seule ville de Manbij et ses environs immédiats, ce qui a doublé la population.
Et fin octobre, entre 15 000 et 20 000 familles ont débarqué du district d'Al Safira où les bombardements étaient intenses. Ce sont souvent des personnes qui avaient fui des zones attaquées plus au sud, puis quand la ville d’Al Safira a été attaquée, elles ont fui une deuxième fois pour s’installer en pleine nature. Et elles ont fui les violences une troisième fois, parfois sans pouvoir emporter autre chose que les vêtements qu'elles portaient, en allant vers le nord où elles se sont dispersées dans la campagne. Car beaucoup ont peur de se trouver dans des villes où le risque de bombardements est plus grand. C’est ainsi que des familles se retrouvent dans des hangars qui servait avant à l’élevage de poulets. Ce sont des bâtiments en tôle ondulée avec un sol en terre battue, sans latrines, où jusqu’à 25 familles peuvent s’installer. Les conditions d’hygiène sont déplorables. Mais la plupart sont dans des champs, sous des abris de fortune faits de sacs en toile de jute ou entassés dans des tentes s'ils ont de la chance.
Sinon d’autres familles s’installent dans des immeubles inachevés, dans des appartements sans portes ni fenêtres. Et il peut y avoir jusqu’à 10 familles par appartement.
Avec MSF et quelques rares autres acteurs humanitaires, nous essayons de leur venir en aide en leur donnant des tentes, des couvertures, des jerricans, des kits d'hygiène... Mais les besoins sont immenses. Et l'absence des grands acteurs humanitaires traditionnels dans les zones d'opposition rend la tâche très ardue.
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