« Dans la capitale Sanaa, les avions de guerre qui volent au-dessus de nos têtes étaient la principale menace. Ces avions maintiennent les gens en alerte, empêchent les enfants de dormir, réveillent les bébés au milieu de la nuit, et surtout, tuent des personnes. Les Yéménites ont appris à vivre avec, nous avons fait de même. L’avion survole la ville, lâche une bombe et s’en va, et puis revient. Il peut rester dans le ciel pendant quatre heures, rendant tout le monde nerveux. Tout ce que les gens souhaitent, c’est que l’avion vide sa cargaison mortelle et s’en aille pour qu’ils puissent reprendre leur vie.
Avant une frappe aérienne, on entend un sifflement. La réaction est automatique : il faut trouver un abri. Il y a eu quelques nuits où je roulais sous mon lit, par peur que les fenêtres volent en éclats. Toute la maison tremblait. Tous les jours, des bombes sont lâchées au Yémen et c’est comme cela que tout le monde vit.
Un jour, des bâtiments situés en face de l’hôpital materno-infantile principal de Sanaa ont été lourdement bombardés par la coalition dirigée par les Saoudiens. Pendant que le personnel de l’hôpital était évacué, deux enfants sont morts – non pas à cause des frappes aériennes, mais par manque d’oxygène. Le principal impact de cette guerre n’est pas directement lié aux combats ; la plupart des morts sont causés par l’effondrement du système de santé. Ces deux malheureux enfants sont deux parmi tant d’autres.
Dans la ville de Taiz, dans laquelle je me suis rendue par la suite, la plus grand menace émanait des tireurs embusqués. Même quand vous ne les voyez pas, ils sont toujours là. Quand vous franchissez une ligne de front, ils sont dans vos pensées. Vous devenez hyper vigilant et très sensible aux bruits des coups de feu – vous savez dire si c’est un AK47 ou un tir de sniper. Vous apprenez vite dans cet environnement, vous êtes obligé car ça peut être une question de vie ou de mort.
Peu importe les mesures que vous prenez, vous pouvez soudainement vous retrouver au beau milieu d’une bataille. Un jour, nous étions en train de visiter les hôpitaux que MSF approvisionne à Taiz, ce qui impliquait de traverser des lignes de front. Quand nous avons pénétré dans le « no man’s land », nous avons vu que deux combattants avaient juste été abattus d’une balle dans la tête par des snipers. Avant que nous réalisions ce qui se passait, nous avons été pris dans des tirs croisés.
Nous sommes sortis de la voiture et nous avons essayé de trouver un endroit pour nous mettre à l’abri. Les tirs venaient de partout, atterrissaient à quelques mètres de nous. Nous nous sommes accroupis derrière un réservoir d’eau. Un collègue yéménite a réussi à se faufiler dans un minuscule espace entre le réservoir d’eau et un mur de brique – la montée d’adrénaline que tu ressens quand tu dois sauver ta vie te fait faire des choses que tu n’aurais jamais imaginées.
Après 20 minutes, une famille nous a gentiment laissé entrer dans sa maison. Le père était pieds-nus et ne portait que l’habit yéménite traditionnel ainsi qu’un débardeur blanc, et tenait une Kalachnikov, prêt à protéger sa famille et sa maison. Les enfants avaient l’air épuisés – ils n’avaient pratiquement pas dormi les jours d’avant à cause des combats et des cris de combattants blessés dans les rues. C’est devenu de plus en plus évident que nous devions offrir un soutien psychologique à la population yéménite et ce, le plus vite possible.
La fusillade a duré approximativement deux heures. Je n’oublierai jamais l’hospitalité de cette famille yéménite qui nous a sauvé la vie.
Les Yéménites sont incroyablement résilients
Quand vous voyagez à travers le Yémen, vous voyez comment ils s’adaptent pour vivre leur vie malgré la guerre. Les pénuries de carburant et d’eau affectent tout le monde. Chaque jour, vous apercevez de longues files de voitures qui attendent pour de l’essence, parfois pendant des jours. Vous voyez des familles marcher jusqu’au puit pour obtenir de l’eau, des personnes rouler sur des motos qui ont été trafiquées pour rouler au gaz naturel, des gens monter des chevaux ou des ânes au beau milieu de la ville de Sanaa – preuves que les Yéménites ont dû être créatifs afin d’être capables de continuer à vivre leur quotidien.
Les marchés sont toujours pleins à craquer, les fenêtres sont réparées, les vendeurs de glaces sonnent leur cloche au milieu des combattants lourdement armés, les poulets sont vendus à côté des checkpoints... Le business quotidien continue. J’ai demandé à l’une de nos médecins yéménites si elle avait des problèmes pour franchir la ligne de front. Elle m’a répondu : « bien évidemment, mais nous ne pouvons pas arrêter de vivre à cause de la guerre. »
J’ai rencontré et travaillé avec beaucoup de Yéménites. Ils sont très accueillants et ouverts aux autres, vous êtes directement impliqués dans leur vie personnelle. Chaque personne que j’ai rencontrée a perdu quelqu’un qu’elle aimait - un parent ou un ami - dans cette guerre. Les blessures yéménites sont grandes ouvertes et auront besoin de temps pour guérir. J’espère sincèrement qu’elles auront la chance de guérir bientôt. »