Yémen : « Nous recevons chaque jour des appels de patients qui ne peuvent atteindre nos hôpitaux »

Yémen : Témoignage du Dr.Dahi à Ad'Dhale
Yémen : Témoignage du Dr.Dahi à Ad'Dhale © MSF

Le Dr. Ali Dahi travaille pour Médecins Sans Frontières (MSF) à Ad Dhale, une région du sud du Yémen qui continue d’être le théâtre de redoutables affrontements en ville et de subir des bombardements aériens à mesure que les forces des Houthis progressent vers le sud. En raison de cette violence, de nombreuses personnes ayant besoin d’une assistance médicale dont dépend leur survie ne peuvent en bénéficier à temps. 

Nous avons eu deux ou trois jours relativement calmes la semaine dernière, mais une fois de plus les bombardements et les tirs nourris ont repris de plus belle dans la ville d’Ad Dhale. Nous recevons chaque jour des appels de patients dans un état critique, parfois des blessés de guerre, d’autres fois des personnes ayant de graves problèmes de santé, qui ne peuvent atteindre nos hôpitaux.

Des femmes enceintes meurent à des postes de contrôle

À trois reprises lors de ces deux dernières semaines, des femmes présentant de très sérieuses complications alors qu’elles étaient sur le point d’accoucher nous ont appelés depuis des postes de contrôle, fermés parce que les routes menant à notre hôpital étaient trop dangereuses. Deux de ces femmes et un enfant à naître sont morts en attendant la réouverture de ces points de contrôle.

Hier, lors d’un accouchement à domicile, une femme a été victime d’une grave hémorragie du post-partum. Mais, les combats s’étant intensifiés dans la ville d’Ad Dhale, elle a été refoulée à un poste de contrôle alors qu’elle était en route vers notre hôpital. Elle n’a pas réussi à atteindre un autre centre médical à temps. Elle aussi est morte.

À un autre endroit, une femme devait subir en urgence une césarienne qui leur permettrait, à elle et à son enfant à naître, de survivre. Mais la route était trop dangereuse pour que l’ambulance l’amène jusqu’à notre centre médical ou qu’elle fasse le déplacement jusqu’à un autre centre où l’on puisse pratiquer la césarienne. Pour lui sauver la vie, le médecin du village a provoqué l’accouchement, ce qui a entraîné la mort du fœtus. La mère a survécu.

Voilà les histoires qui rythment notre quotidien.

Traverser les lignes de front

Nous orientons les cas graves nécessitant des soins plus spécialisés vers d’autres établissements chaque fois que nous le pouvons, parfois de l’autre côté des lignes de front. Ces deux derniers jours, nous avons pu envoyer six patients de la ville d’Ad Dhale à l’hôpital MSF d’Aden, où nous disposons de capacités chirurgicales plus importantes et où une nouvelle équipe chirurgicale et des fournitures médicales ont réussi à arriver hier. Cependant, de violents combats sur la route nous condamnent trop souvent à garder des patients qui auraient besoin d’être orientés vers un autre établissement dans notre propre service à Ad Dhale, dans l’attente d’un moment où ils pourront être transportés de manière sûre. Parfois, nous y parvenons. Trop souvent, l’attente s’avère trop longue.

D’importantes pénuries dans la ville d’Ad Dhale et aux environs

Environ 60 % de la population a fui la ville d’Ad Dhale pour gagner les environs, un peu plus sûrs (du moins relativement). La ville est réellement fermée. Il y a pénurie de combustible et d’électricité, et d’eau également, puisque les pompes ne peuvent pas fonctionner. Cela représente un problème pour l’hôpital, mais le directeur vient tout juste de mettre en place un système de livraison par camion-pour nous permettre de poursuivre nos activités pour le moment.

Les hôpitaux du ministère de la Santé, aux alentours, commencent à manquer de fournitures. MSF fait don de matériel quand c’est possible, mais il nous faut faire rentrer plus de fournitures. Le ministère de la Santé étant à court de médicaments pour traiter les maladies chroniques, les patients nécessitant un traitement de longue durée, contre la tuberculose par exemple, risquent de voir ce traitement interrompu. Ceci favorise la résistance au médicament, notamment dans le cas de la tuberculose, et complique le traitement des patients à long terme. Les vaccinations ne peuvent être effectuées car, sans électricité, les doses ne peuvent être conservées au réfrigérateur : ceci crée également des risques à long terme par rapport à des maladies évitables. Il y a également pénurie de vivres dans la région.

Nous avons soigné plus de150 blessés de guerre à Ad Dhale depuis que les violences se sont intensifiées ici. Mais la violence entraîne également par d’autres biais la dégradation de la santé des populations prises dans le conflit. Il faut simplifier et accélérer les procédures permettant de faire entrer du personnel et du matériel médical au Yémen.
 

Au Yémen, actuellement, MSF travaille dans les gouvernorats de Sanaa, Aden, Ad-Dhale, Amran et de Hajjah et a pris en charge plus de 800 blessés de guerre à travers le pays depuis le 19 mars dernier

EN SAVOIR PLUS

► Consulter notre dossier sur la crise au Yémen.

Notes

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