Interview du chef de mission : « La Centrafrique est dans une situation d’urgence sanitaire »

République Centrafricaine
République Centrafricaine © Anna Surinyach/MSF

Olivier Aubry est chef de mission pour MSF en République centrafricaine (RCA). Il fait le point sur la situation humanitaire et sanitaire dans ce pays.

Où en est-on aujourd’hui en Centrafrique après la signature des Accords de paix et du processus de désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR) qui s’ensuit?

Depuis juillet 2011, la quasi totalité des groupes armés d’opposition ont signé les accords de paix. Mais certains demeurent actifs, en particulier un groupe armé tchadien installé dans le Nord du pays. Dirigé par Abdel-Kader Baba Ladé, les Forces Populaires Républicaines (FPR) ne génèrent pas d’insécurité pour le moment mais on peut se demander ce qui motive leur présence à la frontière entre les deux pays. L’Est du pays est très instable : le pays se trouve pratiquement coupé en deux sur un axe Est-Ouest. Un conflit oppose notamment deux groupes rebelles, la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP) et l’Union des Forces pour la Démocratique et le Rassemblement (UFDR), pour le contrôle de zones diamantifères. Les derniers accrochages en date à Bria ont causé la mort d’une quarantaine de personnes et bien que des accords aient été signés en octobre dernier, le contexte dans cette zone reste très volatile. 

Dans l’Est du pays, en proie à l’insécurité, l’accès à certaines zones est complètement fermé aux acteurs humanitaires, donc on a du mal à avoir des informations sur la situation de ces populations. En revanche, dans le Nord, et plus particulièrement la région de Paoua où MSF travaille depuis 2006, le processus de démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR) est effectif depuis août 2011 et l’on n’a observé aucun accrochage en 2010. Mais il reste un certain nombre d’interrogations, car même si la ville Paoua est sous contrôle des FACA (Forces Armées Centrafricaines) avec une administration en place, la disparition de l’APRD (groupe armé d’opposition) laisse un vide du point de vue de la sécurité. L’APRD était certes un groupe rebelle mais celui-ci assurait un certain contrôle dans la région. Aujourd’hui on peut s’inquiéter d’un retour de l’insécurité par des coupeurs de route sur certains axes, d’actes de banditisme de la part d’anciens combattants de l’APRD qui n’auraient pas obtenu satisfaction ou qui se trouvent sans source de revenu  après leur démobilisation.

Quelle est la situation sanitaire du pays ?

La situation sanitaire en Centrafrique est extrêmement dégradée et ce, depuis longtemps. Elle était déjà très fragile avant le dernier coup d’état en 2003 et n’a fait qu’empirer depuis. Le système semble complètement en panne. On constate d’énormes dysfonctionnements à tous les niveaux. Le ministère de la Santé est quasiment absent en dehors de Bangui, la capitale. Très peu de structures de santé fonctionnent. Les comités de gestion, responsables de ces structures, sont soit inexistants soit non fonctionnels. L’accès aux soins est de fait très limité voire inexistant dans certaines régions. Le cadre législatif est lui aussi défaillant. Les ressources humaines sont très limitées et les compétences rares – il faut noter que plus de la moitié de la population du pays est analphabète. Le pays ne dispose que de très peu de spécialistes et on estime à 300 environ le nombre de médecins pour tout le pays, pour une population d’environ 5 millions de personnes. Et la plupart d’entre eux sont à Bangui.

Un système de santé laminé par des années d’instabilité politico-militaire, des problèmes structurels gigantesques, une insécurité dans toute la moitié est du pays… Tout ça donne un état sanitaire catastrophique et un accès aux soins de base extrêmement limité pour la grande majorité de la population.

MSF a mené récemment plusieurs enquêtes de mortalité – quels en sont les résultats et quelles conclusions doit-on en tirer ?

L’étude menée par Epicentre à Carnot dans le Sud-Ouest du pays montre des taux de mortalité qui dépassent largement les seuils d’urgence – aussi bien les taux bruts que chez les enfants de moins de cinq ans. On note des taux 3 ou 4 fois supérieurs au seuil d’urgence. Il semble que les dysfonctionnements structurels soient tels qu’on en arrive à une situation de crise et d’urgence sanitaire. Ces études, mais aussi les statistiques relevées dans nos structures de santé, indiquent que les causes de cette mortalité très élevée sont les pathologies habituelles : paludisme, infections respiratoires, diarrhées, etc. Mais pour arriver à des taux comme ceux-là, on a un peu de mal à croire que ces simples facteurs soient la seule cause. On se demande aujourd’hui si la déstructuration du système de santé n’engendre pas une telle situation d’urgence ou encore s’il n’y a pas un facteur sous-jacent qu’on n’a pas encore mesuré.

La situation est très grave à Carnot et la grande question est de savoir si dans le reste du pays il y a d’autres régions où le taux de mortalité puisse atteindre ce niveau.

Que font les autres acteurs de l’aide présents dans le pays ?

C’est l’un de nos plus gros problèmes. La Centrafrique se trouve dans une phase qu’on pourrait qualifier de post-conflit. Or cette transition entre la phase d’urgence et le début du développement est toujours une période un peu compliquée pour les urgentistes comme MSF. Le problème en RCA, c’est qu’il n’y a précisément pas d’acteurs du développement qui ont investi dans le pays. Et donc les organisations comme MSF se trouvent en sortie de crise confrontées à des problèmes de développement pour lesquels nous n’avons ni l’expertise, ni les compétences. Donc on se retrouve un peu démunis, obligés d’intervenir seuls sur des terrains qu’on ne maîtrise pas. Et on ne parvient pas non plus à attirer ces acteurs du développement pour qu’ils prennent le relais. Par ailleurs, ce qui rend les choses encore plus compliquées pour les organisations humanitaires comme MSF, c’est que la situation demeure toujours volatile et que ces organisation ont toute leur place en Centrafrique, donc il ne s’agit pas non plus pour nous de quitter le pays.

Quelle place MSF occupe-t-elle dans la carte sanitaire ?

Si l’on considère les différents projets menés par les trois sections de MSF présentes dans le pays, notre budget est presque équivalent à celui du ministère de la Santé. Donc MSF est un acteur très important pour la population et le système de santé du pays.

Nous couvrons la partie Nord du pays avec trois hôpitaux d’une capacité d’une centaine de lits et gérons également une vingtaine de dispensaires à travers le pays. Nous intervenons également sur la prise en charge du VIH et de la tuberculose. En 2010, MSF a mené environ 250 000 consultations sur l’ensemble de ses projets.

Tout cela représente en effet un volume d’activités très important à l’échelle du pays.

Quelle prise en charge du VIH dans nos programmes et quels défis particuliers à la Centrafrique ?

La situation du VIH en RCA est aujourd’hui très alarmante. Les taux de prévalence sont à la fois très élevés et continuent d’augmenter. La situation est loin d’être sous contrôle. Le programme national a de très grosses difficultés pour se mettre en place. Le Fonds Mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, qui le soutient, a gelé ses fonds depuis la fin de l’année dernière pour cause de dysfonctionnements et de mauvaise gestion de ces fonds par le système national. Nous sommes très inquiets quant à la capacité du programme national à pouvoir assurer la prise en charge des différents volets du VIH. MSF se retrouve donc à développer des programmes verticaux dans un pays où le programme national de lutte contre le sida ne fonctionne pas.

Et on est dans une situation identique pour la prise en charge de la tuberculose et du paludisme. Il y a eu récemment des ruptures de traitement anti-tuberculeux dans le pays de plus de quatre mois – avec tous les problèmes que cela engendre en termes de résistance de la maladie. Depuis quatre mois, MSF est le seul acteur à disposer d’anti-tuberculeux dans le pays. Pour compléter le tableau, le Fonds Mondial finance aussi la lutte contre le paludisme et là aussi, on observe la même situation avec très peu d’acteurs investis dans un pays où la maladie fait des ravages.

Face à ces trois pathologies – VIH, tuberculose, et paludisme – très peu d’acteurs de l’aide sont mobilisés, les programmes nationaux fonctionnent complètement au ralenti et voient leurs perspectives de financement de plus en plus incertaines. MSF risque de se retrouver à la fin de l’année 2011 le seul fournisseur de traitement anti-VIH et anti-tuberculeux dans le pays.

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